Alphonse Steinès, un Luxembourgeois aux origines du Tour de France

Plusieurs de nos compatriotes ont brillé sur les routes de la plus mythique des courses cyclistes. Mais en plus des cyclistes passés à la postérité comme Francois Faber, Nicolas Frantz ou encore Andy Schleck, saviez-vous qu’un Luxembourgeois est à l’origine du dessin du parcours des premiers Tours de France ? 

C’est à Ahn, aujourd’hui section de la commune de Wormeldange, que naît le 25 août 1873 Johann Stenges. On en sait peu sur sa prime jeunesse, si ce n’est qu’à l’âge de 14 ans, il quitte le Luxembourg pour rejoindre Paris. Sa première passion est la mécanique cycliste, et sur une selle, celui qui se fait désormais appeler Alphonse Steinès ne se débrouille pas trop mal. Mais c’est en tant que journaliste que sa carrière va prendre un autre tournant, et il débute sa carrière au Vélo, premier quotidien français consacré au sport. 

À l’époque, sa plume fait de lui un des principaux rédacteurs en matière de cyclisme. Et son influence l’amène à participer à l’organisation du premier Paris-Roubaix en 1896. Passé chez le concurrent L’Auto, il parcourt la France à la rencontre des correspondants du journal. À cette occasion, Alphonse Steinès répertorie les cols des Alpes et des Pyrénées, et c’est alors qu’une idée germe dans son esprit… Pour lui, le Tour de France récemment créé – et dont il dessine le parcours depuis 1903 – doit passer par ces massifs montagneux si difficiles à dompter. 

Il parvient à convaincre Henri Desgrange, fondateur de la Grande Boucle, du bien-fondé de son idée. En 1905, le créateur du Tour tente pour la première fois de faire passer sa course dans les contreforts alpestres entre Grenoble et Gap. Cette première l’ayant convaincu, Desgrange renouvelle l’opération en 1907 avec un passage au col de Porte. Mais pour Steinès, il faut aller encore plus loin dans l’effort en faisant passer le Tour par les Pyrénées. 

« Vous êtes des criminels ! »

En 1910, son souhait est exaucé. Mais le Luxembourgeois a donné de sa personne pour en arriver là. Envoyé en repérage par Henri Desgrange dans le massif montagneux, Steinès rencontre beaucoup de difficultés. Il s’y rend le 27 janvier 1910 et demande à un aubergiste des indications sur le Tourmalet. Celui-ci répond qu’il est à peine praticable en juillet, mais pratiquement impossible en janvier. Steinès loue malgré tout une voiture et grimpe le col. Près du sommet, il y a tellement de neige qu’il doit s’arrêter et continuer à pied. Il marche donc pendant la nuit et tombe dans un ravin. À 3 heures du matin, il est retrouvé par une équipe de recherche. Il lui est rapidement offert de la nourriture et un bain chaud. Le lendemain matin, il envoie un télégramme positif à Desgrange : « Passé Tourmalet. Très bonne route. Parfaitement praticable. Steinès. » Quand il est annoncé que les Pyrénées sont au programme de la course, 136 cyclistes sont inscrits. Après cette nouvelle, 26 se retirent de la liste de départ. 

C’est lors de la 10e étape que va se dérouler le premier passage pyrénéen de l’histoire du Tour de France. Le 21 juillet, les coureurs s’élancent de Luchon, avec 326 kilomètres à parcourir jusqu’à Bayonne. Une étape jalonnée par cinq ascensions désormais indissociables de la Grande Boucle : les cols du Portet d’Aspet, de Peyresourde, d’Aspin, le Tourmalet et l’Aubisque. C’est Octave Lapize, le vainqueur final de ce Tour 1910, qui va l’emporter ce jour-là, non sans avoir lâché cette phrase restée à la postérité : « Il y a que vous êtes des criminels ! Vous entendez ? Dites-le de ma part à Desgrange. On ne demande pas à des hommes de faire un effort pareil ! » Car, à ce moment-là, Henri Desgrange n’est plus directeur de la course. Fatigué et touché pour la première fois par la mort d’un concurrent – l’indépendant Adolphe Hélière, frappé de congestion en prenant un bain de mer, qui mourut à l’hôtel à Nice –, Desgrange a laissé sa place à Victor Breyer pour le reste de ce Tour 1910. 

Fondateur de la FLFSA

Mais l’influence d’Adolphe Steinès ne s’est pas seulement limitée au cyclisme. En 1908, il fonde la FLFSA (Fédération des sociétés luxembourgeoises de sport athlétique). Une association sportive qui, à l’époque, regroupe le football, l’athlétisme, la natation et le cyclisme. La FLFSA fera des petits puisqu’en 1912, elle engendrera le COL (Comité olympique luxembourgeois, ancêtre du COSL). En 1928, la FLFSA se scindera et donnera notamment naissance à la FLA (Fédération luxembourgeoise d’athlétisme), et en 1930 à la FLF (Fédération luxembourgeoise de football). Alphonse Steinès sera également fait chevalier de la Légion d’honneur, ainsi qu’officier de l’Ordre de la Couronne de chêne. 

Des hommages en pagaille

Au Luxembourg, il est considéré comme le précurseur du journalisme sportif et il fondera en 1929 l’ancêtre de sportpress.lu, l’Association luxembourgeoise des journalistes sportifs (ALJS), quelques années après avoir été le cofondateur de l’Association internationale de la presse sportive en 1924. En 2010, il sera honoré en France par le titre de « Gloire du sport », un honneur calqué sur le modèle nord-américain du Hall of Fame. Disparu le 22 janvier 1960, Alphonse Steinès repose au cimetière de Weimerskirch, où une plaque lui rendant hommage a été installée le 8 mai 2009. En 2018, c’est au sommet du Tourmalet qu’une autre plaque est mise en place. Elle est dévoilée lors de la 19e étape du Tour 2018, Lourdes-Laruns, en présence du ministre des Sports de l’époque, Romain Schneider, et du président de sportspress.lu, Petz Lahure. 

En 2019, c’est au tour de sa commune natale de Wormeldange de lui rendre l’hommage qu’il mérite. C’est sous la forme d’un arrêt de bus pour le moins original que ce clin d’œil va être réalisé, représentant le profil de la fameuse étape du 21 juillet 1910. 

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