« Juste incroyable de ne pas mettre cinq changements »

10 minutes

L’un entraîne au Luxembourg depuis plus de dix ans, l’autre vit sa première expérience. Pour cette reprise de BGL Ligue, Sébastien Grandjean, entraîneur du Fola Esch, et Stéphane Léoni, coach au Progrès se sont livrés dans un entretien croisé où, malgré une dynamique sportive différente, un consensus sur certains points du règlement a vite été trouvé.

Vous entraînez tous deux cette année dans un nouveau club. Comment se passe l’adaptation pour l’un et pour l’autre globalement ?

Sébastien Grandjean

Je n’ai pas eu de problèmes d’adaptations pour diverses raisons. Ayant un cabinet à Esch-sur-Alzette, je connaissais déjà beaucoup de gens du Fola – dont le directeur sportif Pascal Welter depuis longtemps – et un bon paquet des joueurs. Même si je n’y avais jamais travaillé, je savais où j’allais, comment c’était. Hormis le staff que j’ai appris a connaître, on ne peut pas dire que j’ai mis un pied dans l’inconnu.

Stéphane Léoni

C’est vrai que c’est différent pour moi puisque j’arrive dans un club ou j’ai appris à connaitre les gens. Ça se passe très bien, c’est un club familial, je suis en très bonne entente avec le président Fabio Marochi et le manager général Thomas Gilgemann. Tout se passe bien.

Vous abordez cette reprise avec deux dynamiques différentes sur le plan des résultats, mais sur la même longue période d’incertitudes et d’absence de matchs. Comment est ce qu’on réussit à garder la motivation intacte pour les joueurs quand on leur enlève le cœur de leur métier, à savoir les rencontres ?

S. G.

C’est vraiment pas facile. Maintenant, les joueurs sont assez adultes pour savoir qu’il y a des priorités dans la vie, à savoir la santé globale de la population. Tout le monde comprend la situation. L’accepter ou non c’est individuel, mais en tout cas il y a une prise de conscience globale de la part des joueurs. Ce qui est certain c’est que j’ai trouvé que la motivation restait intacte, y compris après chaque coupure. Je n’ai jamais senti une démotivation, ou unlaisser-aller dans le travail.

S. L.

Je pense la même chose. Après ce qui est difficile, c’est qu’évidemment quand on est coach ou joueur, on est compétiteur, et ne pas voir le match qui arrive en fin de semaine, c’est le petit bémol. Mais après, comme a dit Sebastien, la santé est la priorité, et les circonstances font que le football passe en second plan. Donc on s’adapte, on n’a pas le choix.

À titre personnel, l’un comme l’autre, comment voyez-vous la suite de la saison vis-à-vis de la crise sanitaire ? Pensez vous pouvoir aller au bout ?

S. G.

On a zéro élément qui nous permet de savoir si on va jouer un, deux, dix ou tous les matchs. On vit semaine après semaine en fonction de ce qui se passe en Europe et des décisions gouvernementales. La chance qu’on a, comparé à octobre dernier c’est qu’aujourd’hui, le gouvernement veut reprendre le sport élite, à l’image de ce qui se passe en Europe, et on ressent un désir des institutions d’aller au bout, ce qui est un grand changement. Après la suite… Bien malin celui qui pourrait le dire. On doit jouer une quasi totalité de championnat sur 3 mois et demi donc… Celui qui peut prédire ça, qu’il me dise comment il fait parce que ça m’éviterait pas mal de questionnements (rires).

S. L.

Je suis entièrement d’accord. Et encore vous, vous avez 21 matchs, nous il en reste 23 (NDLR : Le Progrès a deux rencontres en retard)… Dans les grands championnats européens, on peut être habitué à une telle cadence avec les matchs européens ou les différentes coupes, mais pour le Luxembourg, sept matchs en trois semaines… On ne va pas se plaindre, c’est pas le style de la maison, mais c’est sûr que c’est pas facile de gérer tout ça. Ajouté à cela que certains de nos matchs amicaux sont annulés à cause de la neige, on va se retrouver à jouer Dudelange en amical avec seulement treize joueurs. Et derrière, on va avoir 4-5 semaines « anglaises ». Les organismes des joueurs avec les reprises, coupures, etc… C’est compliqué. Alors se projeter dans le championnat, savoir si on va aller au bout, s’arrêter à la phase aller, être en repos forcé dans un match… Espérons qu’on puisse aller au bout, ce qui ferait du bien à tout le monde. Mais on n’est pas décisionnaire.

Non seulement les matchs reprennent avec une cadence infernale de rencontres à disputer, mais aussi dans des conditions climatiques dangereuses et avec des préparations tronquées. Comment minimiser le risque de blessures dans des conditions pareilles ?

S. G.

On va être mis face à des conditions qu’on ne connait pas. Ça ne va pas être facile pour nous, il va y avoir énormément de gestion, un travail sur la récupération plus poussée. Il va falloir gérer ça avec le plus de compétences possible, le plus d’avis aussi notamment des préparateurs physiques et des kinés qui vont avoir un gros rôle à jouer.

S. L.

Moi, personnellement, vu le nombre de matchs qu’on a, j’aurais aimé avoir cinq changements comme dans pratiquement tous les championnats européens. Ça aurait pu protéger les joueurs. Quand vous jouez tous les trois jours, ça permet de faire souffler les organismes. Avec notre cadence de rencontres, après quatre / cinq matchs, je sais pas dans quel état physique va être le groupe. Donc on va essayer de faire des séances d’entraînement assez courtes, axer sur la récupération, et voila… On a un calendrier qui est assez incroyable, on n’a pas le choix, mais c’est dommage de ne pas avoir accès à cette option…

S. G.

Je serais même encore plus dur par rapport à ça, parce que ces cinq changements sont une obligation. On ne devrait même pas en discuter. Les dirigeants devraient faire preuve de bon sens professionnel, et de bon sens humain en protégeant les joueurs. Je suis kiné, je sais de quoi je parle. On va avoir un nombre très élevé de blessés. Et l’argument avancé par la fédération disant que ces cinq changements avantageraient les grands clubs est faux, archi faux, archi archi faux ! Justement, les petits noyaux vont faire jouer tout le temps les mêmes joueurs qui vont être pressés comme des citrons, et je ne sais pas dans quel état ils vont pouvoir terminer les dernières rencontres. Lorsqu’ils vont jouer leur survie, ils auront peut-être trois, quatre cinq blessés, et des titulaires !

S. L.

Mais bien sûr !

S. G.

Il est clair que les grosses équipes auront peut-être un roulement relativement plus simple à faire, mais en même temps c’est logique, elles sont armées pour jouer le haut de tableau ! Je me fais encore plus de souci pour les clubs qui vont lutter pour le maintien avec des petits noyaux. C’est juste incroyable de ne pas mettre cinq changements, voila ! C’est inadmissible, non professionnel, malheureux et irresponsable ! Comment est-ce qu’on ne peut ne pas ouvrir le débat ? Prendre l’avis des gens de terrains, des médecins et autres kinés, et non pas rester sur un seul critère qui est « c’est encore les gros clubs qui vont être avantagés » parce que c’est archi faux !

S. L.

Je suis absolument d’accord. C’est clairement les petites équipes qui vont être pénalisées. Le jour où ces clubs vont devoir jouer sans deux ou trois de leurs titulaires qu’ils n’ont pas pu faire tourner, ils vont se retrouver en grande difficulté.S. G.On a pris le débat par le mauvais côté chez la FLF. Et ça c’est dommage… J’aimerais bien qu’ils le reprennent en prenant les avis pour, les avis contre, avec du bon sens. On veut tous le meilleur pour tout le monde. Améliorons les choses en ouvrant le débat.

Pensez-vous que la situation soit irrévocable, qu’il est impossible de passer à ces cinq changements ?

S. G.

C’est une décision qui peut être actée en une heure si on veut ! C’est juste une question de volonté et de bon sens ! Il suffit que la Fédération se réunisse lundi prochain, mette ce sujet sur la table, analyse les arguments « oui » et « non », regarde les résultats, et si les arguments en faveur dominent, tout simplement le faire ! Il n’y a pas besoin de trois semaines pour prendre une décision…

Les matchs vont reprendre sans public pour toute la BGL Ligue. Au-delà de la tristesse de jouer sans supporters, pensez-vous qu’il n’existe plus réellement à l’heure actuelle de match à l’extérieur ou à domicile, ou y a-t-il encore un avantage à jouer à la maison ?

S. L.

Sans spectateurs, jouer à domicile ou à l’extérieur… Ça n’a plus d’importance. Je ne sais pas ce qu’en pense mon homologue mais jouer le football dans ces conditions… À la rigueur je dirais que ça peut favoriser le jeu archi défensif. Les équipes à domicile n’auront plus la pression de tenter des choses sous la pression du public et pourront plus facilement garer le bus avec un bloc très bas.

S. G.

C’est clair qu’on change complètement la donne, comme Stephane dit. Le public à domicile veut voir du jeu, une équipe qui attaque, et ça c’est propre à tous les clubs. A la rigueur au niveau des vestiaires, des repères terrains… Il ne reste que ça. C’est vrai que quand on voit les matchs à la télé, on voit que l’intensité du football a quand même -je trouve – diminué dans les duels, dans les impacts, dans la vitesse d’exécution. On a parfois l’impression que le football est un peu plus ralenti, parce qu’il n’y a pas le boost d’adrénaline du public…

Stephane vous arrivez en plein hiver, sans rencontres, dans un club qui a très mal débuté sa saison et qui va devoir cravacher. Est-ce que la tâche est plus motivante ou inquiétante ?

S. L.

Motivante. De toute façon, quand on rejoint un club en milieu de saison, généralement c’est parce que le club est mal placé et a un manque de résultats, donc il n’y a pas de surprise. Dans ce genre de situation, l’objectif d’un coach c’est de remonter au classement, essayer d’imposer sa patte et retrouver une cohésion d’équipe. À l’heure actuelle on ne peut que prendre les matchs les uns après les autres, faire un bilan sur la fin des phases aller, et voir ce qu’on joue en fonction de nos résultats. Je pense en tout cas qu’on a très bien travaillé, aux matchs de commencer et de lancer une dynamique, dans cette cadence incroyable que je n’ai jamais connue dans ma carrière de joueur ou d’entraîneur. Il faudra réussir ça avec un noyau réduit de joueurs à cause des blessures, donner du temps de jeu à tout le monde, faire que chacun se sente concerné et aller chercher les points.

Quels conseils pourriez-vous donner personnellement à Stéphane qui débute en BGL Ligue, vous qui avez une certaine expérience ici ?

S. G.

(rires) Comme ça serait prétentieux de donner des conseils à Stéphane ! Qu’est ce que je pourrais dire ?

S. L.

Ah bah écoute je suis preneur ! (rires)S. G.Honnêtement je voudrais pas être à ta place ! (rires). Sa tâche va être difficile par rapport aux blessés, la cadence, les matchs amicaux annulés…

S. L.

Je viens de perdre mon capitaine sur une sale béquille, on a joué notre dernier match amical à 12 !

S. G.

J’ai la chance d’avoir un effectif plus fourni pour le moment donc je ne peux pas me plaindre. Mais pour ce qui est des conseils, c’est toujours la même chose : le travail paie, et le reste on verra… Ce sera sûrement ceux qui auront le mieux géré, avec une petite touche de chance, qui auront des résultats. Mais je pense que la différence entre les clubs cette année sera très très faible.

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