Il fut l’un des gregari les plus appréciés du peloton. Sa lecture de la course et son sens du sacrifice ont notamment conduit Alberto Contador vers le sacre au Giro. Après une dizaine d’années passées dans le peloton professionnel, Laurent Didier travaille désormais pour les Ponts et Chaussées luxembourgeois.
GUIDON!
Comment s’est passée la transition entre le métier de coureur et celui que vous occupez aujourd’hui ?
LAURENT DIDIER
Plutôt bien. J’ai terminé ma carrière en octobre 2018 au Japon (Japan Cup), puis j’ai passé les examens de l’État en hiver. J’ai ensuite postulé aux offres d’emploi pour les Bâtiments publics et les Ponts et Chaussées. Et j’ai finalement été retenu dans la division des ouvrages d’art des Ponts et Chaussées. J’ai débuté en mars 2019.
GUIDON!
En quoi consiste exactement votre travail ?
LAURENT DIDIER
Je suis dans le service « projet» des ouvrages d’art des Ponts et Chaussées. Alors, il y a bien sûr les ponts ; leur construction, l’entretien, la maintenance et la surveillance. Ma division des ouvrages d’art est en plus chargée par exemple des aménagements
hydroélectriques, du port de Mertert ou des installations de la Sûre. Le patrimoine ne cesse de croître au pays.
GUIDON!
Quand avez-vous pris la décision d’arrêter de courir ?
LAURENT DIDIER
Juillet, août 2018, dans ces eaux-là. Je savais que je ne ferais pas du vélo pendant 20 ans.
GUIDON!
Mais une retraite, ça se prépare, non ?
LAURENT DIDIER
Oui. J’avais d’abord entrepris des études de mathématiques à Aix-la-Chapelle pendant deux ans, mais j’ai finalement terminé un bachelor en génie civil à Luxembourg.
GUIDON!
Disposer d’un diplôme quand on est un sportif d’élite, ça enlève une certaine pression, non ?
LAURENT DIDIER
Ah oui, clairement. On sait qu’il y aura une vie après le vélo, même si sur le marché de l’emploi, c’est parfois compliqué de trouver quelque chose qui correspond à ses attentes.
GUIDON!
Vous passiez pour quelqu’un d’intelligent. Est-ce que ça vous a permis de lire plus facilement une course ?
LAURENT DIDIER
Oui, j’ai souvent apprécié d’étudier les parcours en amont. De repérer les bosses, les risques de bordure, d’avoir l’œil, de bien se placer. Puis les oreillettes sont arrivées dès mon passage chez les Pros. Pour moi, ce fut un désavantage car j’avais l’habitude de me piloter seul. Lorsqu’il y a une échappée, ça change la donne de répondre à l’ordre de mener une poursuite ou de prendre la décision soi-même.
GUIDON!
Quel est votre rapport au vélo aujourd’hui ?
LAURENT DIDIER
Je ne fais presque plus rien. J’ai un fils de trois ans qui fait du vélo alors que moi je cours à côté. J’ai dû sortir mon vélo de course deux ou trois fois l’an dernier. Peut-être un peu plus le VTT.
GUIDON!
Parce que vous avez frôlé l’overdose en compétition?
LAURENT DIDIER
Non, pas du tout. J’ai des journées de travail bien chargées et la famille est passée assez en second rang lorsque j’étais coureur. Je lui donne maintenant plus de place.
GUIDON!
Peut-on vous imaginer un jour revenir dans une fonction liée
au cyclisme ?
LAURENT DIDIER
Ce n’est pas d’actualité.
GUIDON!
Et l’actualité des professionnels, la saison en cours,
vous la suivez ?
LAURENT DIDIER
Non. Il m’arrive parfois le week-end de regarder une course, mais c’est rare. Parfois un résumé en soirée. Et quand le beau temps revient, je sors dehors avec mon fils. En semaine, pendant le Tour de France, je bosse, donc la question ne se pose pas.
GUIDON!
Revenons à votre carrière. On vous a davantage rangé dans la catégorie des coureurs de courses à étapes plutôt que dans celle des courses d’un jour. Vous êtes d’accord avec ça ?
LAURENT DIDIER
Oui, tout à fait. On avait davantage de liberté pour se glisser dans une échappée ou pour perdre du temps si nécessaire. Les classiques, ça n’a jamais été mon truc. Par contre, j’ai adoré les courses en altitude. Particulièrement en Utah et au Colorado, où mon corps a toujours bien répondu.
GUIDON!
Vos facultés de récupération étaient aussi très bonnes, non ?
LAURENT DIDIER
Oui, c’était primordial pour passer les trois semaines d’un grand tour. Mon boulot consistait souvent à rouler pendant 80% de la course pour mon leader avant d’être lâché. Il me restait à rallier l’arrivée dans les délais. Lorsque j’ai couru avec Contador quand il
a gagné le Giro (2015), je n’ai fini qu’une seule fois dans le peloton. On avait comme consigne de nous relever dans les derniers kilomètres pour garder des forces pour le lendemain.
GUIDON!
Dans votre trajectoire, vous n’avez pas fait partie du casting Team Leopard-Trek lors de sa création. Une frustration ?
LAURENT DIDIER
On est déjà content quand on est professionnel. Un néoprofessionnel reçoit un contrat de deux ans pour ne pas crouler sous la pression la première année. C’est une obligation édictée par l’UCI. J’ai intégré la structure un an plus tard, et là, on était quatre Luxembourgeois.
GUIDON!
Un mot aussi sur l’expérience RadioShack, avec une mise en place difficile, non ?
LAURENT DIDIER
Oui, ce n’est jamais évident de fusionner deux équipes.
GUIDON!
Avec qui avez-vous gardé des contacts dans le vélo ?
LAURENT DIDIER
Je n’ai plus beaucoup de contacts. J’ai coupé les ponts. Je voulais m’investir dans mon nouveau travail et le reste de mon temps, je l’ai investi dans ma famille.
GUIDON!
Vous avez gagné une étape au Tour du Colorado. Peut-on comparer ça avec une victoire finale dans un rôle d’équipier dans le Giro ?
LAURENT DIDIER
Quand l’équipe gagne une course, c’est gratifiant. On se sent comme une pièce du puzzle, quelqu’un qui protège son leader. Alors, oui, c’est différent de se retrouver sur le podium d’un point de vue individuel. Au Colorado, je me suis retrouvé dans une échappée
et il faisait froid et pluvieux. C’était ma météo préférée! Comme à Bourscheid lors de Flèche du Sud.
GUIDON!
Avez-vous un regret en course ?
LAURENT DIDIER
Non. Ma chute dans le Giro 2017. J’avais déjà connu des chutes mineures, puis celle en Australie, où je me casse la main. Mais celle-là m’a coûté deux mois de compétition. Mais bon, c’est un fait de course.
GUIDON!
Les chutes font partie de la carrière d’un professionnel ? Vous en avez souffert physiquement, mais moralement, cela a-t-il changé votre façon de courir ?
LAURENT DIDIER
Oui, parfois on freine un peu plus tôt. Plus on vieillit, plus on réfléchit. On a parfois l’impression qu’un jeune n’a pas de freins.
GUIDON!
Avez-vous connu les freins à disques ?
LAURENT DIDIER
Oui, j’étais un des premiers à courir avec. J’ai bien aimé, mais au début, on était seulement cinq ou six coureurs à en disposer. Et un frein à disques ne réagit pas au quart de tour. C’était alors dangereux. Il faut faire un peloton complet avec disques ou sans
disques.
GUIDON!
On est à l’aube du Tour d’Italie, puis du Tour de France. Quels sont les points communs et les grandes différences entre les deux tours ?
LAURENT DIDIER
J’ai toujours préféré le Tour d’Italie. Il offre plus d’opportunités pour les échappés. Le Tour de France est plus bloqué, avec les Sky qui contrôlent. Un coureur qui est cinquième au général essaie d’attaquer en Italie ou en Espagne. En France, une cinquième place,
on court pour la garder.
GUIDON!
En tant qu’équipier, vous avez été épargné par le cirque médiatique. Ce n’était pas pour vous déplaire ?
LAURENT DIDIER
C’était surtout vrai au Tour de France. Mais ça fait partie du métier. Comme ailleurs, certains aiment le champ des caméras, d’autres moins.
GUIDON!
Vous avez couru aux quatre coins de la planète. Au Japon, en Australie, aux États-Unis… Un coup de cœur ? Une façon de vivre qui te correspond ?
LAURENT DIDIER
J’ai toujours aimé le Japon et l’Australie. J’y suis souvent retourné. Et les courses aux États-Unis m’ont plu.
GUIDON!
Richie Porte, Alberto Contador, les frères Schleck: vous avez côtoyé des champions au sommet de leur art. Quels souvenirs gardez-vous ?
LAURENT DIDIER
Qu’il faut un très bon mental pour arriver à forger ces résultats. Le temps qu’on investit dans l’entraînement compte, mais quand il y a autant de pression pour gagner, il faut être sacrément fort dans la tête. Sinon, chacun avait ses petits tics..
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