Faut-il encore présenter l’e-sport ? Regardé avec dédain par les plus vieux il y a de ça quelques années, l’explosion des joueurs et des revenus et la démocratisation de cette nouvelle pratique sportive ont largement contribué à légitimer cette discipline dans la diaspora du sport mondial. Avec plus d’un milliard de revenus en 2020, une audience tutoyant les 500 millions d’internautes et des événements sportifs attirant en masse les foules passionnées, cette activité est non seulement devenue plus trendy que jamais, mais elle est surtout en progression constante avec une augmentation de l’intérêt et des bénéfices exponentielle. Dans ce contexte de forte croissance, un nouveau marché émerge de plus en plus : l’e-sport mobile, auteur d’un énorme bond en avant en 2020 et de l’arrivée d’une scène compétitive au développement massif et soudain. Et parmi ce marché, un jeu ainsi qu’un joueur luxembourgeois, Krypto, débarquent sur le devant de la scène. Entretien avec Miguel Goses Monteiro, de son vrai nom, 19 ans et numéro un luxembourgeois de Clash Royale.
Quel a été ton parcours avant de rejoindre une équipe ?
J’ai toujours bien aimé jouer aux jeux vidéo, en particulier avec mes frères, et j’ai commencé à développer un certain niveau à Clash Royale. J’ai simplement vu qu’il y avait des tournois au Luxembourg il y a 2-3 ans, et je me suis dit « pourquoi pas y aller ? ». Je n’avais rien à perdre et il y avait quelques trucs sympas à gagner. Ça m’a permis de participer au championnat national de l’époque, et j’ai commencé à enchaîner quelques bons résultats. C’est vrai que ce qui m’a vraiment aidé, c’est ma qualification à l’ESWC (eSports World Convention) de Paris en 2018. Après, c’est aussi de belles performances dans les LANs* au Luxembourg qui m’ont permis de me retrouver dans mon équipe actuelle. Le reste s’est fait tout seul.
Si tu devais décrire Clash Royale à un néophyte ?
C’est un jeu de stratégie en un contre un, que je compare souvent aux échecs. On joue avec un deck de huit cartes, à disposer intelligemment pour détruire les tours ennemies. Celui qui réussit à détruire le plus de tours adverses remporte le combat. Il y a énormément de cartes et il faut savoir gérer toutes les mécaniques du jeu…
Quelles sont les qualités principales pour être un bon joueur de Clash Royale ?
Évidemment la connaissance du jeu, comme dans chaque discipline. Mais je pense qu’il faut surtout être patient, très patient, et bien maîtriser ses compétences.
Et tes axes de progression à toi ?
Une difficulté de Clash Royale est dans la part de chance non négligeable pour pouvoir l’emporter, ce qui peut être difficile à gérer. Mais au-delà de ça, je pense qu’il faut que j’améliore ma régularité. Il y a des jours où je vais être bien moins bon que d’autres. Et peut-être aussi réussir à maîtriser plus de decks, pour que mon jeu soit encore plus dur à lire. Enfin, il faudrait gagner encore en patience, être moins gourmand.
Tu parles de chance. En quoi se définit-elle, et n’est-ce pas frustrant de pouvoir jouer à un niveau impeccable et quand même perdre par manque de chance ?
Oui, c’est un gros souci. Il y a vraiment des parties où tu ne peux rien faire, et où ton adversaire a vraiment été doté de cartes parfaites pour contrer les tiennes. À moins qu’il ne fasse une erreur grossière, ton handicap de départ est alors trop difficile à rattraper, même si tu joues absolument parfaitement. Ça peut être très frustrant.
Te considères-tu comme un acharné de jeux vidéo en général ?
Avant oui, j’aimais jouer à beaucoup de jeux, comme FIFA ou Black Ops 2, entre autres. Mais à l’heure actuelle, je ne joue plus qu’à Clash Royale, qui me prend quand même pas mal de temps.
Il faut pratiquer tous les jours ?
Pas forcément. Actuellement j’ai commencé le stream, ce qui me permet d’offrir du contenu, gagner en visibilité, et maintenir mon niveau. Néanmoins, avant des grosses compétitions, j’ai tendance en effet à m’entraîner tous les jours avec beaucoup plus d’intensité.
N’y a-t-il pas un côté négatif à streamer, et donc de dévoiler ton jeu ?
Oui, évidemment, mais je ne vais pas nécessairement jouer de la même manière durant mes streams et les compétitions. Ayant un jeu très varié et beaucoup de possibilités de deck, j’ai toujours devant moi beaucoup de stratégies différentes, et me voir jouer en stream d’une telle manière ne garantit absolument pas que je ferai la même chose en compétition.
Tu as grandi dans une famille joueuse ? Que ce soit jeux vidéo, de société, de cartes, etc.
J’ai énormément joué avec mes frères aux jeux vidéo plus jeune, surtout à Call of Duty. Mais ils ont aussi joué à Clash Royale, en particulier mon frère, qui a aussi fait des petites LANs. Mon grand frère a commencé à jouer à LoL (League of Legends, ndlr), donc il devrait avoir une petite période d’apprentissage. Et mon petit frère, je ne sais pas trop en ce moment. Il était meilleur que moi à Clash Royale d’ailleurs, mais à un moment je l’ai dépassé.
Grâce au travail ou au talent ?
Je pense un mix des deux. Il est évident qu’il faut beaucoup jouer pour progresser, mais il faut aussi avoir une manière de penser différente qui permet alors de faire la différence.
Comment vois-tu l’évolution de l’e-sport au Luxembourg ?
Pour moi, dans un petit pays comme le nôtre, il y a énormément de potentiel. On ne peut pas nécessairement comparer, mais les prize money sont très intéressants ici. Concernant Clash Royale, en France, il n’y a pas la moindre LAN, alors qu’au Luxembourg, tu peux en voir avec des gains possibles de 5.000 euros. Donc il y a énormément de positif et ça n’est que le début. Je suis sûr que ça va continuer à se développer dans les prochaines années, avec plus de compétitions, voire de nouvelles ligues.
Pour continuer de grandir dans l’e-sport, rester dans une équipe luxembourgeoise, c’est possible ?
J’ai déjà joué dans une équipe espagnole, et une autre néerlandaise, donc j’avais d’autres options. Mais j’estimais que derrière mon équipe luxembourgeoise d’aujourd’hui se trouvait un gros projet, ambitieux. Aussi, il y a le plaisir de vraiment rencontrer les gens dans la vie réelle. L’argent m’intéresse moins que le fait de faire des rencontres et d’avoir des souvenirs, de l’expérience. C’est plus important pour moi que quelques sous par mois. Je connais les fondateurs, je sais que c’est quelque chose de sérieux et d’ambitieux.
À titre personnel, quels sont tes objectifs ?
Déjà, gagner la deuxième saison d’Esports Masters, que j’ai malheureusement perdue en finale l’an dernier à la suite d’un match très serré. Aussi, en termes de streaming, j’aimerais encore évoluer. Et pourquoi pas faire la Ligue des champions ? J’aurais pu faire les qualifications ce mois-ci, mais c’était le soir de la Saint-Valentin, donc j’étais un peu restreint (rires) ! Mais il y a quand même 1.600.000 euros à gagner, donc il faudra le retenter.
Pour les plus vieilles générations, l’e-sport a du mal à être considéré comme une discipline sportive. Qu’est-ce que tu as à répondre à cela ?
(Rires) Ça me fait rire parce que mon père est un peu comme ça. D’ailleurs, pour l’anecdote, il y a deux ans, les LANs étaient sponsorisées par Pizza Hut. Mon père me disait tout le temps que l’e-sport n’allait pas mettre de la nourriture sur la table… Je peux te dire que le jour où je l’ai invité à manger à Pizza Hut, il a fait un peu moins le malin (rires) ! Après, il y a eu d’autres choses, comme lorsqu’il m’a vu sur un bus ou dans le journal. Il a réalisé avec le temps que c’était quelque chose de sérieux. Que c’est pas n’importe quoi. Ce que je peux dire sur le sujet, c’est que je suis sûr que l’e-sport, c’est le futur. Voire même déjà le présent. On est encore au tout début et l’évolution n’est pas près de s’arrêter.
*Une LAN est un regroupement de joueurs dans le même lieu pour disputer une compétition de jeux vidéo.
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