Moussa Maazou : ‘Il n’y a plus d’humanité dans le football’

9 minutes

Deuxième partie de notre entretien vérité avec la nouvelle recrue de la Jeunesse D'Esch Moussa Maazou, qui nous livre ici sans concession sa vision du football d'aujourd'hui.

Ta carrière est plutôt avancée : est-ce qu’aujourd’hui tu as des regrets, ou pas du tout ?

Oui il y a des choses que je regrette. Des choix de clubs, où on me mettait la pression pour les rejoindre, et où je n'aurais pas dû aller. Mais voila, comme on dit au Niger, ça fait partie de ton destin, tu ne peux pas y échapper. Et tout ça m’a rendu meilleur. Ça m’a beaucoup aidé à avancer en tant qu’homme.

On parle souvent de deux facettes dans le football. Une qui consiste à jouer au ballon, aux matchs, aux collègues de vestiaire et au jeu. Et puis il y a le football qu’on ne voit pas, avec les agents, les deals opaques, le trading… Tu en penses quoi de ce coté caché ?

C’est horrible. Les agents qui sont avec toi et dès qu’ils ont touché leur com, plus une nouvelle, rien… C’est dégoûtant. Aujourd’hui, tu peux avoir énormément de talent, si tu as pas le bon agent, les bons contacts, ça va être très compliqué. Il y a vraiment eu des moments où j’en pouvais plus. Le trading c’est une catastrophe. Les clubs ne cherchent plus à construire. Dès qu’un joueur est bon, boom on le revend. Avec tout le respect que j’ai pour des clubs comme Saint-Etienne ou Nice, c’est des crèches maintenant… Ce n'était pas comme ça avant. Il y avait des tauliers, des mecs qui s’identifiaient aux clubs, et quelques jeunes.

Mais aussi, regarde aujourd’hui, il y a des clubs qui font signer à des joueurs des « contrats titulaires ». Ça veut dire que l’entraineur a l’obligation de le faire jouer titulaire à tous les matchs, c’est dans son contrat. Qu’il soit bon ou mauvais, il joue. C’est quoi ça ? Avant t’étais bon, tu jouais, point. Ça fait des années que je ne regarde plus de match à cause de ça. Le plaisir je l’ai en jouant. Regarder… Les compétitions internationales, la Coupe du monde ouais. Mais la Ligue des Champions, les gros championnats, le foot business complet, non. Maintenant le weekend, je suis avec ma famille, on regarde les Simpsons, posé (sourires).

A la rigueur je peux continuer à regarder mes anciens clubs. Mais il n’y a plus d’humanité dans le foot. Tu peux être excellent et te faire dégager six mois plus tard. Plus d’attachement au maillot, ou l’ancienneté. Regarde Tuchel? Le mec se fait virer du PSG, et quatre jours plus tard il est à Chelsea! Comment c’est possible ça? Et Létang? Il était à Reims, après il se retrouve au PSG, ensuite président de Rennes, et maintenant il est à Lille (rires)? C’est quoi ça ? T’imagines Loulou Nicollin qui voit ça ? Comment ça peut marcher un truc pareil ? Comment tu peux t’investir émotionnellement ?

J’ai vu que tu avais des enfants : est-ce que tu aimerais qu’ils deviennent footballeurs ?

Non. Surtout pas. Ils peuvent jouer pour le plaisir, évidemment, mais je ne veux pas qu’ils en fassent une carrière. Jouer au football, pas de souci. Etre dans le football… C’est horrible. Il n'y a pas de garantie au football. Regarde : tu fais des études de médecine dix ans, c’est dur, mais à la fin t’as ton diplôme et tu fais ton métier. Le football? Tu n’as pas de garantie. Tu peux avoir fait toute ta jeunesse au Real Madrid et regarde ce qui t’arrive derrière… Rien. Combien de joueurs on a dit que c’était des phénomènes, et au final rien… Et pareil dans l’autre sens, des mecs qu’on a refusé des centres de formation et qui ont fait des grandes carrières. C’est trop risqué le foot. Le plus important c’est l’école.

Tout ce que tu dis parait très réfléchi et sage. Tu pensais la même chose plus jeune ?

J’ai toujours été comme ça. Mes parents m’ont eu très âgé. Ça m’a permis d’avoir un gros recul, des réflexions d’adultes qui ont déjà passé des moments clés dans la vie. Même mon grand frère a cinquante ans. Tout ça, ça m’a permis de réfléchir avec une vision différente que la plupart des jeunes qui avaient mon âge.

Si tu devais définir tes valeurs en tant que joueur et homme, ce serait quoi ?

Le respect de l’autre. Ça, au Niger on ne blague pas avec. Celui plus âgé que toi, tu dois le respecter. Quand je suis arrivé à Monaco et que je ne regardais pas les gens plus âgés dans les yeux, ils pensaient que c’était un signe de faiblesse. Mais non c’est juste par respect. C’est une valeur fondamentale.
L’entraide aussi. En Afrique tu peux aller demander du pain chez ton voisin, normal. Ça c’est des choses que j’essaye d’inculquer à mes enfants. Si tu respectes les gens, que tu les aides, tu peux vivre partout dans le monde. Et je sais que mon comportement va influer sur mes enfants, donc je dois montrer l’exemple. Et enfin être humble : quoi que tu fasses, qui que tu sois, sois humble. Mon père qui est mécano, il voit une voiture qui tombe en panne, il s’arrête en plein milieu de la route et il va sous la voiture. Moi je sais même pas démonter un pneu (rires). C’est quelqu’un de tranquille, gentil, peut-être même trop gentil. C’est ma mère qui portait la culotte à la maison (rires). Mon père c’est le genre de mec qui, si tu lui demandes de l’aide, il t’en donne dix fois trop! Mais ça m’a donné des valeurs à suivre. Entraide, modestie, respect de l’autre. Aussi simple que ça. D’ailleurs, j’ai vu une interview dans « Le Quotidien » qui dit que j’ai dit un jour que j’avais rien à envier à un joueur du Real ou du Barça. C’est quoi ça ? J’ai halluciné quand j’ai vu ça. C’est tout l’opposé de qui je suis. C’est le Graal du football mondial, comment un joueur pourrait ne pas avoir à envier quelque chose d’eux ? Jamais je ne peux parler comme ça. L’éducation que j’ai eu ne me le permet pas.

Qu’est-ce que tu aurais fait si tu n’avais pas été footballeur ?

Je ne sais pas… Sincèrement, moi je ne voulais que jouer au ballon. Après, la vie commence après le foot. J’ai déjà des choses en tête. Passer des diplômes ou l’immobilier, en particulier au Niger. Il y a beaucoup de choses à developper. Tout appartient aux Français pour le moment, c’est aussi à nous de faire de la concurrence (sourires).

Tu te vois rester dans le monde du sport ?

Pas du tout. J’ai toujours dit à ma femme que le jour où je m’arrête, je ne jetterai pas un regard en arrière. Quand je rentre au Niger, j’aime bien amener des ballons, les donner à des enfants, jouer avec eux, et rendre un peu. Mais c’est plus pour aider qu’autre chose. Mais non, rester dans le sport ça ne m’intéresse pas du tout.

Tu quittes le Niger, très jeune, à 15 ans. Est ce que tu ne ressens pas un paradoxe à ce moment ? Aller en Europe, on imagine que c’est la consécration, mais quitter la famille, se lancer dans l’inconnu, ça doit aussi faire peur ?

Non parce que j’avais un tuteur exceptionnel, Willy Vershoot, qui me suivait depuis que j’avais onze ans. C’était comme un père pour moi cet homme, qui est mort aujourd’hui, paix à son âme. Un très très grand homme. Tout ce que j’ai aujourd’hui c’est grâce à lui.

Est-ce qu’avec le temps qui passe, tu te sens différent vis à vis des jeunes joueurs, est-ce que tu vois un choc des générations ?

C’est difficile les jeunes aujourd’hui. Tu ne peux pas leur parler. Regarde moi : quand j’étais à Monaco et titulaire, avec Nicolas N’Koulou, on s’occupait du matériel. À la sortie de l’avion à 3h du matin, encore, on s’occupait du matériel. Va dire ça à un petit jeune aujourd’hui et regarde sa réponse. On fait des stars d’eux trop jeunes. Et puis aujourd’hui, on te voit tellement vite comme « vieux » : si tu as 30 ans, tu es déjà quasiment fini. C’est une des raisons pour laquelle j’aime bien le championnat italien. Si t’es bon, t’es bon, on s’en fout de ton âge. Et puis, si tu regardes les jeunes aujourd’hui, à 19 ans si ils jouent pas, ils stressent. Ils pensent déjà être passé à côté. C’est mauvais.

Tu penses quoi des réseaux sociaux ?

Rien de bien. Ça fait plus de dix ans que je n'ai pas touché à ces choses. Quand Facebook est sorti, je l’avais, c’était bien pour garder les contacts. Mais aujourd’hui c’est devenu n’importe quoi. Les réseaux sociaux sont catastrophique pour les footballeurs.

Pourquoi tu dis ça ?

Parce que quasiment tout le monde l’utilise pour s’inventer une vie. Mais tu ne peux pas te mentir à toi-même. Aujourd’hui tu vas voir les mecs dans les vestiaires, dès que l’entrainement est fini, ils sont direct sur Instagram, Snap, tout ça… Ça ne m’intéresse pas d’avoir des followers. Tiens, si t’as des gros problèmes, demande à tes followers de t’aider : tu crois quoi ? Ils vont pas te calculer. Les réseaux aujourd’hui, tu mets une photo, tout le monde peut t’insulter pour rien ou te dire qu’il t’aime. Tout est calculé. Et puis les fake news… Tellement de gens se fient à ce qu’ils voient. Au Niger, on fait des campagnes de sensibilisations au réseaux sociaux. Parce que tellement de gens croient tout ce qu’ils voient ! Tu prends les gens dans des villages, ils voient une information, forcément ils y croient. C’est dangereux. On ne sait jamais qui est derrière. Et les conversations sur Internet… T’as déjà vu deux personnes qui ne sont pas d’accord tomber d’accord sur le net ? Il n'y a pas de place pour le débat. Et après t’as les influenceurs. Eux c’est génial. Tu fais une vidéo avec des filtres où tu vends du maquillage, non mais tu te moques de qui (rires)? Et puis j’ai 32 ans, qu’est-ce que tu veux que je passe mes journées à prendre des photos de moi ? Faut arrêter…

Merci pour tout Moussa, et dernière question : qu’est-ce qu’on peut te souhaiter de meilleur ?

Beaucoup de buts, l’Europa League, et la santé. Je te la souhaite aussi d’ailleurs, et qu’on sorte vite de cette situation… Tu vois plus le sourire des gens sous les masques, c’est dur. Toute l’ambiance, les infos, ça commence à être difficile…

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