Il n’est pas toujours fréquent d’être surpris, au moment de dresser le portrait d’un joueur étudié, analysé et disséqué. C’est pourtant le cas lorsque, après une bonne heure de conversation, Hassan M’Barki nous offre une petite anecdote croustillante : « J’ai fait ma formation en tant que défenseur jusqu’à mes 18 ans. En match, je jouais derrière, et à l’entraînement, j’étais aux avant-postes. Finalement, un entraîneur a décidé de me mettre dans un rôle de buteur en match, et c’est là que tout a commencé. » Ainsi, le meilleur buteur de BGL Ligue, loin de l’ivresse des pions qui s’enchaînent, a fait toute sa formation dans l’optique de bloquer les attaquants adverses.
Au-delà de cette information surprenante, il est fondamentalement proche de l’idée que l’on se fait de lui. Confiant, modeste et sans langue de bois. Grandissant dans le monde du ballon rond avec ses cousins Hadji, brillants en Ligue 1, M’Barki prend vite le virus du football. Très jeune, ce sport est une constante dans sa vie. Suffisamment pour aller toquer aux portes des clubs avec pour objectif de s’offrir une carrière dans le monde professionnel. Un rêve qui ne se réalisera pas malgré de nombreuses années à tenter sa chance. Avec du recul, le buteur né aux alentours de Forbach essaie d’expliquer cet échec : « Je dirais que la chance a manqué. Peut-être que quand j’étais jeune, je n’étais pas aussi bon que maintenant. À un certain âge, l’expérience joue quand même beaucoup. Est-ce que j’ai mes torts ? Je ne sais pas. J’ai du mal à savoir où j’ai loupé la porte du monde professionnel. J’ai fait des essais à l’ASNL où je suis arrivé en retard, ce qui était un très mauvais départ. Cela se joue sûrement dans des petits détails comme celui-là. » Une désillusion qui ne l’empêche pas, aujourd’hui encore, de penser que le monde professionnel n’était pas si loin, et que beaucoup auraient pu y trouver leur place. « Évidemment, certains joueurs sont au-dessus du lot : dès le premier contrôle, tu vois qu’ils ont un truc supérieur. Après, tu vois d’autres personnes, tu te poses des questions. Aujourd’hui, certains mecs en Ligue 1, bon… si je les compare avec ce que l’on a dans notre effectif, je me dis que certains pourraient y être. Je pense qu’il faut avoir été bon au bon moment, et avoir le comportement attendu. Maintenant, je n’envie personne. Si quelqu’un a réussi, alors tant mieux pour lui. Je crois au destin, il faut simplement l’accepter. »
La Coupe de France ou l’art de se sublimer
Après cette prise de conscience, « un été, vers 22 ans, où je me rends compte que je dois travailler pour vivre », M’Barki commence un parcours que tant de footballeurs amateurs connaissent. Travail, entraînements et vie de famille s’enchaînent alors sans répit, dans un rythme éreintant qui met forcément à défi la résilience. « Je l’ai fait toute ma vie, depuis mes vingt-deux ans. J’enchaînais les boulots, les entraînements et le retour à la maison. Comment fait-on ? Il faut vraiment aimer le football. Si ce n’est pas le cas, tu finis par lâcher. Mais aussi, le foot est quelque chose qui te fait changer d’air. Tu ne penses plus à rien, c’est aussi une des raisons pour lesquelles ce sport sert à quelque chose. Mais c’est difficile, c’est certain. Ce sont des sacrifices que l’on fait, et je les assume. » Dans cet agenda extrêmement chargé, M’Barki peut néanmoins compter sur un allié de poids qu’il cite à chaque interview : sa femme. « Elle a énormément joué sur mes choix. Elle a toujours été d’accord, présente, et m’a toujours soutenu. Un jour, elle m’a dit “Quoi que tu fasses, je te suivrai”. C’est magnifique. Je ne sais même pas quoi dire tellement il y a de belles choses à dire sur elle. Elle ne vient juste pas voir mes matchs qu’elle regarde en streaming. Elle n’a pas encore passé le cap de venir au stade (rires) ! Les prestations des joueurs ne peuvent qu’être bonnes si dans la vie privée, tout va bien. Si je suis bon depuis que je suis ici, c’est clairement grâce à elle. » Un soutien de taille qui va permettre au joueur de profiter du football toute sa vie et aussi de s’offrir de formidables aventures, notamment en Coupe de France, compétition préférée des joueurs amateurs. Doublé contre Dijon, frappe splendide face à Valenciennes ou encore triplé sur coup franc sur la pelouse du Soleil Bischheim… Pléthore d’exemples pour montrer qu’Hassan M’Barki se sublimait au moment de jouer ces rencontres à élimination directe. « Cette Coupe de France, c’est ce qui m’a donné envie de rester aussi longtemps dans l’Hexagone. Ce sont des moments inoubliables. C’est une compétition qui vous permet de jouer contre de vrais joueurs professionnels. C’est un stade rempli, qui vous pousse comme jamais… Et c’est un défi pour les amateurs de se comparer au monde professionnel. C’est là que l’on peut savoir si on est à la hauteur ou si on est clairement en dessous. » Des tests grandeur nature qui, au fil des années, auront majoritairement été passés avec brio. « De mon point de vue, que cela soit à Sarreguemines ou Hombourg-Haut, on avait le niveau de ces Ligue 2. À chaque fois qu’on a joué contre eux, ces clubs sont montés en Ligue 1, donc c’était vraiment le haut du panier. J’ai perdu deux fois contre ces clubs, sur dix rencontres. C’est quand même intéressant et valorisant. » Des résultats plus que positifs que le buteur met assurément sur le compte du surplus de motivation, lors d’un match qui permet de tutoyer un monde qui nous a été refusé. « C’est certain qu’il y a une motivation supplémentaire quand tu joues le monde pro. La motivation, l’intensité, c’est toujours plus fort. Et l’équipe adverse peut manquer un peu de respect, jouer avec le frein à main. C’est ce que l’on pouvait voir contre les clubs professionnels. Et c’était à nous d’en profiter. Les joueurs de National 3 sont passés par des centres de formation, ils sont très bons. Venir la fleur au fusil, c’est très risqué. Et ce stade qui vous porte… à la 80e, vous faites une accélération, vous ne savez même pas d’où sort l’énergie (rires) ! »
Des souvenirs extraordinaires, à l’image aussi de ce déplacement en Guadeloupe. Mais ce n’est pas que dans les coupes que l’attaquant a brillé, avec toujours cette statistique si marquante : avoir réussi l’exploit de monter dans la division supérieure dès sa première saison au sein d’un nouveau club . De DHR à DH avec Marienau, de CFA 2 à CFA avec Sarre-Union, de DH à CFA2 avec Sarreguemines et une promotion en R2 avec Hombourg-Haut. Et enfin, de PH à BGL Ligue avec son club actuel du FC Mondercange.
Comment s’explique l’arrivée tardive de l’actuel numéro 10 au sein du FCM ? Par l’insistance du club, déjà, mais aussi par la possibilité de côtoyer l’élite au sein du pays. « Il y a deux ans, Éric Breckler, le directeur sportif, et Teddy Da Silva m’ont approché. Je ne m’y attendais pas du tout. J’étais en National 3, avec un coach qui me faisait beaucoup jouer et avec qui j’ai brillé. Je ne m’attendais pas à partir, à quitter mon boulot et m’éloigner de ma famille. Éric m’a parlé du projet, qui était de monter, ce qui m’a forcément intéressé. Ensuite, le Luxembourg a des avantages professionnels qui sont indéniables. Après discussion avec ma femme, on a décidé de se lancer. Elle aussi a quitté son boulot, sa famille. Elle m’a suivi, et on ne regrette pas du tout aujourd’hui. La seule chose qui nous manque un peu est le côté familial. » Un championnat que le footballeur ne connaît pas du tout au moment de débarquer. Deux ans plus tard, après avoir lutté et conquis le Grand-Duché, comment évalue-t-il précisément le niveau du ballon rond au Luxembourg ? « J’estime que les meilleurs clubs de BGL Ligue sont d’un niveau de National 2, tandis que le reste est plus d’un niveau de National 3. Le côté physique est plus travaillé ici, il y a plus d’impact. En revanche, tactiquement, j’estime que c’est plus poussé en France. »
S’attendait-il à briller autant en Promotion d’Honneur, puis en BGL Ligue ? Selon lui, non. Mais, plutôt que de considérer que ses statistiques et performances individuelles sont le fruit d’un championnat plus accessible, M’Barki estime, tout simplement, être un meilleur footballeur qu’auparavant. « L’expérience avant tout m’a énormément fait progresser. Avant, j’avais tendance à courir un peu partout, à être un peu fou, à perdre tellement d’énergie… Aujourd’hui, je sais quelles courses vont valoir le coup. Des conseils m’ont aussi beaucoup aidé. À titre d’exemple, prenez Benzema il y a cinq ans : ce n’était pas le même joueur. C’est un très bon attaquant, oui. Mais aujourd’hui, à 35 ans, c’est le meilleur attaquant du monde. Un footballeur à maturité est meilleur que plus jeune. On comprend mieux le jeu, on est intelligent, on se gère mieux. Quand tu mélanges intelligence et expérience, tu n’as pas besoin de faire 15 kilomètres pour être au-dessus des autres. Je sens que je cours moins, mais j’optimise plus. » Ajoutons à cela une hygiène de vie travaillée, de plus en plus importante au fil des années, une confiance en ses capacités et un entourage sain, voilà le résultat !
Un futur ouvert
Ainsi pourrait-on voir M’Barki à Mondercange ou ailleurs, continuant à fouler les pelouses des années encore. Un rythme qui sera toujours composé de matchs, d’entraînements, de trajets pour aller au travail et de très peu de temps libre. Ce parcours fait de sacrifices et d’un agenda chargé, le souhaiterait-il à ses enfants, s’il en a un jour ? « Je leur souhaiterais mieux que moi. Le football – professionnel – c’est le plus beau travail au monde. J’aimerais qu’ils arrivent à ce stade-là. Mais ce n’est pas moi qui vais les forcer à taper un ballon et à jouer tout le temps. Qu’il s’agisse d’un enfant ou d’un adulte, s’il fait quelque chose qu’il n’aime pas, il n’y arrivera pas. Autant qu’il vive de ce qu’il aime faire. »
Une déclaration d’amour pour le football en tant que job, mais pas nécessairement au point de virer à l’obsessionnel. « Je ne vis pas du tout foot. Je ne suis pas là, collé à l’écran le mardi et le mercredi pour la Ligue des Champions. J’ai les entraînements, je travaille, je dois aussi profiter de mon temps en famille. C’est aussi une manière d’éviter l’overdose. Si j’avais trop de football dans ma vie, je pense que cela pourrait me lasser. Cela me permet, quand je joue, de prendre toujours un maximum de plaisir et de me donner à fond. » Une attitude qui permet au numéro 10 de continuer à briller alors qu’il avait lui-même annoncé à ses coachs par le passé qu’il ne foulerait plus les pelouses après avoir passé la trentaine.
Questionné sur la suite, le joueur semble, comme son club, l’aborder avec un état d’esprit somme toute assez basique : l’avenir nous le dira. Ou plutôt le destin, en lequel M’Barki semble croire fermement. Une chose est certaine : si le plaisir demeure, que son corps le suit et que sa famille est toujours derrière lui, alors l’aventure continuera. Toujours au sein du FC Mondercange ? Une question sans véritable réponse pour le buteur qui ne se ferme aucune porte, conscient que ses performances pourraient lui permettre, à un âge avancé, de vivre un rêve européen. « Mon contrat s’achève en fin de saison. Alors, les cartes seront redistribuées (rires). Mais c’est certain que le simple mot “Europe” a forcément une connotation forte. Je n’ai jamais vécu cela. Terminer ma carrière là-dessus, ce serait tout de même très beau. Donc oui, j’y réfléchirai, mais comme toujours, en discutant avec ma femme (rires) ! Le plus important, c’est de se concentrer sur notre saison. Je n’entamerai pas la moindre discussion avec qui que ce soit tant que nous n’en serons pas à la 30e journée. C’est une question de respect, mais aussi pour rester focalisé sur la compétition, ce qui est toujours le plus important. »
Ainsi, il n’est pas aisé de savoir ce que fera l’actuel meilleur buteur de BGL Ligue l’an prochain. Après avoir été élu deuxième meilleur joueur de PH au Dribble d’Or 2022, son début de saison en fanfare pourrait lui permettre de glaner une nomination, voire plus, dans l’édition 2023. Derrière cela ? Question ouverte. L’attaquant ne cache pas une réflexion sur l’après-carrière et sur la possibilité de rester dans le monde du football. « Cela pourrait m’intéresser, mais dans une structure ambitieuse et cadrée. Être là pour faire de la figuration, ça ne m’intéresse pas. Si je me lance dans ce milieu, il faut que les choses soient bien faites. C’est mon côté compétiteur, je ne veux pas perdre mon temps à bosser pour aucun résultat. » Mais l’actualité, encore, se déroule sur les pelouses de BGL Ligue, où son équipe de Mondercange réalise une superbe entame et se retrouve dans le haut du classement. Avec un entraîneur et un groupe au sein duquel le footballeur se fond parfaitement, les rencontres se suivent et, sans dévier des objectifs initiaux, semblent parties pour offrir un bilan supérieur à celui attendu. Pour la suite, il s’agira encore d’attendre. Et au vu des performances d’Hassan M’Barki sur les pelouses jusqu’à présent, cela promet d’être plaisant.
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