C’est une éternelle rengaine qui remonte à la création des jeux vidéo : la violence que certains contiennent aurait une influence particulièrement néfaste sur la jeunesse, qui pourrait aller jusqu’à changer son comportement de façon négative. Une idée reçue aussi populaire qu’elle est fausse, selon de nombreuses analyses. Enquête.
Avant tout, ne soyons pas dupes. Oui, la violence est assurément présente dans les jeux vidéo. Selon une étude de 2018, 89 % des jeux en contiendraient. Si la définition de la brutalité est assurément large, il n’en reste pas moins vrai que les joueurs sont régulièrement confrontés à des images sanguinaires. Ce qui a mené à de nombreuses observations, proches ou lointaines, assurant que l’influence de ces images pourrait mettre en danger la jeunesse, et en particulier les adolescents.
Pour cela, les critiques des jeux vidéo s’appuient depuis de nombreuses années sur certains massacres, commis essentiellement aux États-Unis. Les tueurs, à plusieurs reprises, étaient en effet des adeptes des consoles de jeux. Il n’en fallait pas plus pour que la frénésie collective s’empare du pays et que très vite, Naughty Dog, Rockstar, ou encore Ubisoft se retrouvent sous le feu des critiques pour un contenu ayant poussé certains adolescents à l’acte. Les plus grands détracteurs se reposent essentiellement sur deux théories : celle de l’apprentissage social, qui soutient l’idée que, par imitation, l’individu reproduit des comportements violents en regardant un modèle agir de façon agressive, les personnages du jeu vidéo pouvant servir d’exemple. La seconde, elle, est souvent soutenue par de nombreux médias conservateurs, qui parlent de « monde hostile ». Celle-ci suggère donc que les images violentes des jeux augmentent l’impression et la perception d’une hostilité globale du monde, avec un sentiment d’insécurité et de dangerosité. Autant de raisons pour vriller dans la vraie vie.
Pourtant ces théories – bien que populaires – ont été infirmées à de nombreuses reprises. Si l’immersion lors d’une session de gaming ne peut être remise en question, de nombreuses études ont prouvé qu’aussitôt la console éteinte, les effets du jeu disparaissaient presque instantanément. Alors que l’adrénaline, l’excitation et l’hostilité sont en effet plus élevées pour un joueur lors d’une partie, ces sentiments redescendent presque automatiquement dès que l’écran est éteint.
Par ailleurs – et cela paraît tristement logique – résumer les tueurs de Columbine à des accros de jeux vidéo est un bien triste raccourci. Une analyse poussée de la jeunesse de ces deux adolescents a confirmé une fois de plus que l’éducation, l’entourage, les difficultés de cohabitation sociale au lycée et dans les classes inférieures – et évidemment un pays à la fascination morbide pour les armes à feu – ont été les réels facteurs de cette tragédie. Ce qui transforme un adolescent en une personne dangereuse, ce sont les humiliations, les tendances suicidaires, la fascination pour les autres school shooting et surtout la recherche d’attention médiatique. Ce n’est pas dans les jeux vidéo que les adolescents trouvent leurs modèles, mais dans la société.
Christopher J. Ferguson, qui a écrit un livre sur la corrélation entre la pratique assidue des jeux vidéo et l’apparition d’une personnalité agressive, n’y va d’ailleurs pas par quatre chemins au moment de tirer une conclusion : « C’est tout simplement une légende urbaine. » Dans ses études, le chercheur a notamment testé le niveau d’agressivité de participants ayant joué à des jeux violents et à d’autres non violents, et n’a trouvé aucune différence entre les deux groupes.
Une vision réductrice et paresseuse
Pourtant, un grand nombre de critiques maintiennent mordicus leur position : dans l’immense majorité des cas, les tueurs de masse ont joué aux jeux vidéo. Un constat véridique, mais qui ne prend absolument pas en compte le fait qu’aujourd’hui, ce sont quasiment tous les adolescents qui, d’une manière ou d’une autre, s’adonnent à la console durant leur temps libre.
Si cela n’est pas suffisant, on peut alors s’attarder sur les chiffres qui, eux, ne mentent pas. Alors que le monde du jeu vidéo a évidemment le vent en poupe et continue d’afficher des ventes de plus en plus élevées, la violence chez les jeunes ces 25 dernières années a drastiquement diminué. De 80 %, précisément. Une baisse qui tord donc le cou à tous les défenseurs de l’idée que le temps d’écran manette à la main ne sert qu’à fabriquer de futurs tueurs.
Ferguson donne d’ailleurs une explication assez intéressante sur le grand nombre de détracteurs des jeux vidéo, estimant qu’il s’agit avant tout d’un conflit de générations : « Personne ne pense que la musique rock des années 1980 est un problème et personne ne pense que les bandes dessinées des années 1950 sont un problème. Mais à l’époque, les gens s’inquiétaient de ces choses, comme on s’inquiète des jeux vidéo aujourd’hui. »
Plutôt que de constamment pointer du doigt une industrie qui n’a fondamentalement rien à voir avec la marginalisation de certains individus, il serait intéressant de se poser la question du rôle de notre société et de ses failles, qui peuvent conduire à ce genre de tragédies. Un vaste et difficile chantier donc, qui pousserait à admettre que nous sommes tout sauf exemplaires. Mais c’est sûrement en demander trop à certains qui, plutôt que de réellement faire un travail de recherche, ont trouvé en de simples jeux vidéo le parfait bouc émissaire.
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