Bojan Krkić avait vendu la mèche mercredi sur Instagram : le « nouveau Messi » a annoncé sa retraite, à seulement 32 ans, ce jeudi au Camp Nou. L’ancien joueur de la Masia n’a jamais confirmé les espoirs placés en lui en début de carrière, après avoir crevé l’écran avec l’Espagne à l’Euro U17, organisé au Luxembourg. Ronny Bonvini, sélectionneur luxembourgeois de l’époque, raconte.
Des débuts prometteurs au Vissel Kobe au Japon, une pige en MLS à l’Impact Montreal, des prêts à Alavés et à Mayence, la confirmation à Stoke City, un transfert prestigieux au FC Barcelone avec des prêts à l’AC Milan et la Roma pour s’aguerrir au très haut niveau avant de finir sa carrière en triomphe au Barça avec un sextuplé historique. Comme celle de beaucoup d’espoirs qui n’ont jamais confirmé, la carrière de Bojan Krkić à l’envers a tout du parcours de rêve pour un footballeur. Seulement, dans la réalité, le scénario est tout autre. Surnommé le « futur Messi », Bojan Krkić va finalement prendre sa retraite avant l’actuel joueur du Paris Saint-Germain et cousin éloigné – on avait découvert en 2011 que deux de leurs grands-pères étaient frères – de trois ans son aîné. À seulement 32 ans, et sans club. Oui, ça a tout de suite moins de gueule que de raccrocher avec une ribambelle de trophées sous la tunique blaugrana.
Avant de ranger définitivement ses crampons dans un relatif anonymat et au chômage, Bojan avait pourtant laissé entrevoir de très grandes qualités. Et ce, dès son plus jeune âge. Arrivé en 1999 à la cantera du FC Barcelone, le natif de Linyola explose les compteurs chez les jeunes du club catalan : 889 buts en sept saisons ! Ses statistiques affolantes lui permettent logiquement d’être appelé par la sélection U17 espagnole. C’est là que tout s’accélère. Rapide, dribbleur, le talent de Bojan éclate aux yeux du monde entier lors de l’Euro U17 2006 disputé au Luxembourg. Lors du premier match, le Barcelonais prend place sur le banc du stade Alphonse Theis d’Hesperange et assiste, spectateur, à la démonstration de l’Espagne face au Luxembourg d’un certain Miralem Pjanić (buteur ce jour-là) et de Lars Gerson. « Les Espagnols nous avaient déjà battus dès la sortie des vestiaires », se souvient Ronny Bonvini, le sélectionneur luxembourgeois de cette fameuse équipe U17. « Ils parlaient, hurlaient, se motivaient à mort. Les nôtres étaient comme des petits lapins à côté. On jouait devant 4000 personnes en direct sur Eurosport. On prend le premier but sur une erreur individuelle au bout de trente secondes et certains joueurs se sont écroulés sous la pression. Tout ce qu’on avait voulu mettre en place s’est évaporé. Le seul qui se révoltait, c’était Pjanić. Lui et Bettmer étaient les seuls à évoluer en centre de formation à l’étranger. L’école de foot avait démarré en 2001 alors peu de joueurs avait passé ce cap. C’est différent de maintenant, ou pratiquement tous nos U19 évoluent dans des centres à l’étranger ». Le score à la mi-temps est net et sans bavure : 3-0. Mais alors, on n’attend pas Krkic ? Le petit Bojan veut aussi participer à la fête avec ses copains. Juan Santisteban le lance donc à la mi-temps à la place d’Aaron Ñíguez (le frère de Saúl de l’Atlético). Huit minutes seulement après son entrée en jeu, le jeune catalan fait trembler les filets et inscrit, en l’espace de vingt-et-une minutes – la durée d’une mi-temps était de quarante minutes – un triplé. « Déjà à l’époque on parlait tellement de lui, nos joueurs n’ont pas supporté la pression d’affronter de tels joueurs et on raté leur match. Il était un peu comme Lionel Messi de par sa morphologie, il avait la même gestuelle, de bons appuis. Il avait vraiment le style Barcelone, il était tout le temps en mouvement. Je ne me rappelle pas de ses buts, mais je me souviens qu’il était vraiment facile. Il marque les trois buts en « rigolant ». J’ai le souvenir d’un garçon très gentil, très poli, timide, qui ne prenait personne de haut malgré son statut, donc j’espérais qu’il réussisse. Il était encore frêle donc on se disait que s’il prenait encore un peu de « peps », il ferait un très grand joueur. Je pense que sa morphologie lui a joué des tours chez les séniors, il était trop léger. »
Les compositions
Luxembourg : Fabiano Castellani – Jerome Marcolino, Lars Gerson (Mathias Jänisch 41′), Christopher Scholer, Massimo Martino, Pit Hilbert (Ricardo Thom 41′) – Mattew de Cae, Michel Kettenmeyer, Gilles Bettmer, Miralem Pjanić – Richard Jankowoy (Mirko Albanese 57′).
Entraîneur : Ronny Bonvini
Espagne : Sergio Asenjo – Roberto Garcia, Guille Savall, César Ortiz, Ramón Soria, José Manuel Hermosa, César Azpilicueta (Cristian Vergara 41′), Emilio Nsue, Ignacio Camacho, Rubén Ramos (Marcos Gullón 53′) – Aaron Ñíguez (Bojan Krkic 41′).
Entraîneur : Juan Santisteban.
Plus jeune d’un an que la plupart des joueurs, il dispute 45 minutes dans quatre des cinq rencontres, mais son statut de supersub ne l’empêche pas de finir meilleur buteur du tournoi avec 5 réalisations, en offrant au passage la médaille de bronze à son équipe face à l’Allemagne. Comme Santiago Muñez dans Goal, l’histoire du petit prodige se met en marche. La pépite formée au club fait ses débuts avec l’équipe réserve quelques mois plus tard. La saison suivante, Frank Rijkaard le lance chez les pros en septembre 2007, d’abord en Liga puis, trois jours plus tard, en Ligue des Champions en remplaçant Lionel Messi face à l’Olympique Lyonnais. L’histoire est un véritable compte de fée pour celui qui n’a pas encore soufflé sa dix-huitième bougie. Les records de précocité s’enchaînent : il devient en 2009 le deuxième plus jeune buteur de l’histoire de la Ligue des Champions et le plus jeune joueur du FC Barcelone à atteindre les 100 matchs (à 19 ans, détrônant Lionel Messi). Il remporte cette année-là un historique sextuplé sous les ordres de Pep Guardiola. Le monde du football lui prédit un avenir radieux, mais les planètes ne resteront pas alignées bien longtemps.
Malgré ses 10 buts avec l’équipe première du Barça à 17 ans, la hype autour de Bojan s’effrite avec le temps et le nom de ses clubs est de moins en moins ronflant, de la Roma à Alavés en passant par Stoke City, où il semblait un temps s’être relancé après s’être fait les croisés. Véritable phénomène en équipes de jeunes, Bojan ne connaît finalement qu’une seule cape chez les grands avec la Roja (25 minutes disputées face à l’Arménie, le 10 septembre 2008). Ses échecs successifs tout au long de sa carrière l’ont beaucoup affecté mentalement, tant le crack de la Masia est descendu aussi vite qu’il était monté. L’ancien joueur du Barça, qui consulte un psy depuis l’âge de 13 ans, reconnaissait d’ailleurs, en 2018 au Guardian, avoir ressenti des attaques d’anxiété paralysantes l’ayant empêché de confirmer tout son potentiel. « Je devais vivre avec ça et les gens disent que ma carrière ne s’est pas passée comme prévu. Quand je suis arrivé, c’était « c’est le nouveau Messi ». Mais à quelle carrière s’attendaient-ils ? Il y a plein de choses que les gens ne savent pas, comme quand je ne suis pas allé à l’Euro 2008 à cause de problème d’anxiété. Mais on a dit que je partais en vacances… » Ses difficultés mentales sont apparues dès ses débuts avec la Roja, alors qu’il a ressenti une crise d’angoisse au moment d’affronter l’Équipe de France. « On a dit que j’avais une gastro-entérite, mais personne ne veut en parler, le football ne s’intéresse pas à ça. L’anxiété affecte tout le monde différemment. J’ai parlé à quelqu’un qui sentait que son cœur battait 1000 fois par minute. Avec moi, c’était un vertige, je me sentais malade de façon constante, 24 heures sur 24. Les gens n’apprécient pas ce que vous faites, il y a cette phrase : ‘Voyons voir si Bojan revient à son meilleur niveau’. Mais quel est le meilleur niveau? Chaque saison, j’ai atteint ce niveau, parfois plus régulièrement, parfois moins, mais J’ai toujours bien rivalisé. »
Après une pige d’une saison à l’Impact Montréal en 2019, Bojan, libre en 2021, Bojan Krkic s’était offert une ultime destination exotique au Vissel Kobe, où il avait rejoint Andrés Iniesta. Longtemps blessé au ménisque, son aventure au Japon n’est, comme sa carrière, pas à la hauteur de son talent. Le dernier de ses 26 matchs avec le club nippon ? Une entrée en jeu face à Urawa Reds en juin 2022 et une défaite 1-0. Une triste fin pour l’homme au triplé en 21 minutes sur la pelouse d’Hesperange, un soir de mai 2006. Que le monde du football se rassure, le stade Alphonse Theis a vu naître un nouveau goaleador, un certain Rayan Philippe. Bojan, lui, participe désormais à des conférences sur l’importance de la préparation mentale pour les sportifs de haut niveau. En février dernier, à Barcelone, il regrettait notamment le manque d’importance accordée à la question du mental dans les clubs professionnels. « Quand j’ai commencé, cela n’existait pas dans les clubs. Je travaillais à part sur ce point. J’ai dû batailler contre l’étiquette du nouveau Messi. Vous apprenez à vous éloigner de ces étiquettes extérieures, à être conscient de vos limites et à les accepter ». Qui mieux que Bojan Krkic pour prodiguer de précieux conseils à Ryan Philippe ?
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