En début d’année 2023, la Fédération luxembourgeoise de golf a annoncé la nomination du nouvel entraîneur national : petite surprise, c’est dorénavant un duo qui occupera ce rôle clé. Nous sommes allés à la rencontre de Leon Marks et Douglas McLean, anciens joueurs professionnels installés depuis plusieurs décennies au Luxembourg et qui ont, le temps d’un entretien, retracé leurs parcours, ainsi que leurs objectifs.
« Oui. Question suivante. » En temps normal, une réponse aussi sèche se produit lors d’un entretien particulièrement tendu, où l’interrogé n’a plus envie de répondre aux questions de son interlocuteur. Mais, lorsque cette phrase se poursuit par un éclat de rire, on peut être rassuré. C’était le cas lors de notre long entretien avec Leon Marks et Douglas McLean, nouveaux entraîneurs nationaux du Luxembourg. Quelle fut l’interrogation provoquant cette réponse suivie d’un grand rire ? « Jouer au golf vous manque-t-il ? ». La preuve que, même après une vie entière passée sur les parcours à enchaîner les chip shots, corriger les swings d’élèves et analyser la distance jusqu’au drapeau, l’amour pour le sport reste intact.
Enfance sportive
Leon Marks a grandi dans le sud du Pays de Galles, juste à côté de la côte. « J’étais si proche de la mer que je pouvais prendre une planche de surf sous mon bras et marcher jusqu’à la plage. » Un luxe dont le Gallois ne se prive pas, sportif dès le plus jeune âge. Surf, squash, golf (« Nous avions de superbes parcours à proximité. ») et rugby bercent ainsi le quotidien de l’enfant qui, très jeune « savait qu’il allait faire du sport sa vie ». Reste alors à choisir dans quelle discipline. Le rugby sort vite de l’équation : « Les autres étaient trop gros et trop forts, je ne voulais pas avoir le corps cassé », rit-il encore aujourd’hui. Le surf devient un loisir. Restent le squash et le golf, et c’est finalement pour le second que Leon opte, pour des raisons assez pragmatiques. « J’ai vite compris que pour vivre d’une passion sportive, le golf était la voie à suivre. C’est là qu’était la longévité. » Pourtant ce choix, assurément le bon au vu de la vie passée sur les greens de Leon, se porte sur un sport qu’il a commencé à seulement 10 ans.
Quant à Douglas, c’est en Afrique du Sud qu’il prend le virus, avec des débuts à l’âge de 9 ans. Écossais de naissance, il grandit dans la nation africaine, et bien vite son beau-père, d’un certain niveau, l’amène sur les parcours. Pour lui aussi, le golf n’est pas la seule activité sportive. Le football et le cricket font partie de son quotidien d’enfant et d’adolescent. « J’ai arrêté le football, car j’étais un peu paresseux. Puis, j’ai en effet fait le choix du golf vers la fin de l’école. »
9 et 10 ans ? N’est-ce pas là un âge un peu tardif pour commencer le golf ? Si les deux admettent que la plupart des professionnels débutent plus tôt, ils n’estiment pas avoir été handicapés. « Nous voyons souvent des enfants qui commencent très jeunes, mais à moins qu’ils ne soient suffisamment inspirés et encouragés, ils peuvent rapidement traverser une forme de sérieuse lassitude », explique Leon Marks. « Ils ont beau avoir de superbes swings, ils risquent de perdre l’intérêt. C’est vraiment entre 12 et 16 ans que tu fais tes plus grands progrès. C’est la tranche d’âge où l’on peut vraiment se structurer. »
C’est d’ailleurs dans cette tranche d’âge que les deux joueurs se rendent compte de leur potentiel. « À 13 ans, j’ai su que j’avais un vrai potentiel », confirme Douglas. « Je suis devenu bon assez rapidement, avec des capacités naturelles dans le sport. Je jouais déjà avec les plus grands et à partir de 15 ans, je jouais avec les adultes. C’était à la fois des gens qui me disaient que j’avais de fortes capacités et moi qui m’en rendais compte par moi-même. De toute façon, vous le voyez en fonction de vos résultats. »
C’est au même âge que le Gallois fait aussi sa percée. « J’ai commencé assez fort. J’ai remporté mes trois premiers tournois sur cinq au niveau assistant (seuls ceux qui s’entraînaient pour devenir pros pouvaient participer). Le Royaume-Uni était divisé en huit régions et j’ai terminé troisième sur 120 pros en cinq manches dans l’une d’entre elles. J’ai aussi été champion PGA du sud du Pays de Galles. C’était vraiment une superbe expérience, parce qu’il y avait aussi des joueurs du Tour qui venaient jouer dans les petites compétitions locales. J’ai continué à jouer quelques rounds de plus dans différents événements, mais malheureusement je me suis blessé au dos. »
Le début des pépins pour lui qui, de son propre aveu, n’a pas nécessairement eu la grinta nécessaire pour continuer à se rapprocher du plus beau niveau. « Je n’ai pas pu jouer pendant près de six mois à cause d’une blessure au dos et j’ai montré ma vraie paresse en ne poussant pas assez fort pour revenir. » De quoi générer des regrets ? « Oui et non. Je regrette de ne pas m’être poussé plus fort et de ne pas avoir trouvé le bon soutien avec de bons entraîneurs. Mais d’un autre côté, en regardant en arrière ce que j’ai accompli, je suis très content de là où j’en suis aujourd’hui. »
Un parcours et un sentiment plus ou moins similaire pour Douglas McLean, auteur d’une trajectoire assez semblable. « J’ai vécu beaucoup de choses similaires. Les juniors, c’est quand j’ai eu les meilleurs résultats. Bien sûr, j’ai des regrets sur mon parcours. J’aurais pu en faire plus, et avoir un soutien plus solide derrière moi aurait pu aider. »
Arrivée au Luxembourg et découverte du métier d’entraîneur
Très vite, les deux golfeurs prennent la décision de devenir entraîneurs. Naïfs, ils pensent alors pouvoir continuer à conjuguer coaching et temps de jeu. Un optimisme vite douché au vu de l’investissement massif et nécessaire pour mener à bien ces projets. Pas de quoi diminuer l’enthousiasme des deux entraîneurs, qui se retrouvent vite dans cette profession. « Pour moi, le coaching a beaucoup à voir avec les interactions humaines. Et je pense que nous sommes tous les deux très bons dans ce domaine », confirme Leon. Et, au-delà d’avoir les compétences humaines, les deux coachs ont aussi pour eux leur expérience et les échecs du passé pour aider leurs poulains. « Quand nous voyons quelqu’un qui a traversé les mêmes difficultés que nous, il est facile de nous identifier et de l’aider à s’améliorer », explique Douglas. « On vit d’une certaine manière leurs résultats par procuration. Voir les juniors très performants est presque une victoire pour nous aussi. »
Mais le travail des deux membres du Royaume-Uni ne se limite pas aux jeunes promesses. Les élèves sont ainsi de tous âges, et de tous niveaux. « J’enseigne à un homme de 76 ans », sourit Douglas. « Il veut toujours s’améliorer. » Une diversité qui plaît particulièrement aux golfeurs, et surtout à Leon : « Il fut un temps où je voulais travailler sur un seul type de golfeurs en particulier, mais après un moment, cela peut devenir ennuyeux pour nous. Avoir cette diversité est merveilleux et je l’apprécie vraiment. J’aime aussi les conversations quotidiennes avec les gens. » Loin de se plaindre de cette diversité, l’un et l’autre précisent néanmoins que de tous les élèves, les plus jeunes demeurent le plus gros challenge. « J’en faisais beaucoup avant, mais maintenant je suis moins dedans. C’est un choix personnel », assume l’Écossais. « J’avais environ 96 enfants par semaine, et avec des groupes de 12 enfants, cela peut être très difficile. Trouver le juste équilibre entre l’enseignement et la discipline dans un groupe d’âge de 6 à 10 ans est difficile. Ils ne font pas toujours attention. Cela peut vous épuiser. »
Approche et challenge d’entraîneur
Au-delà des difficultés inhérentes aux différents groupes d’âge, la diversité dans ce métier tient évidemment à la complexité et l’unicité de chaque être humain. « Chaque personne avec qui je traite, je dois d’abord la comprendre », affirme Leon Marks. Nous devons devenir des caméléons et nous adapter tout le temps. » Une analyse de tous les instants, mais qui ne fonctionne pas systématiquement. « Nous ne réussissons pas toujours », confirme Douglas. « On peut donc se retrouver dans une situation où une personne préfère un autre style de coaching. Cela ne signifie pas que quelqu’un a fait quelque chose de mal, c’est juste une question de complicité et d’osmose. Par exemple, certains golfeurs doivent être réprimandés, et d’autres seront découragés par cela. » « Nous sommes des entraîneurs, mais nous sommes aussi des instructeurs et des enseignants », renchérit Leon. « Nous devons jongler entre tous ces rôles. Vous devez maîtriser toutes ces facettes pour assurer une progression. »
Si le golfeur rejoint un entraîneur dans une optique d’amélioration, celle-ci n’est jamais garantie. Une frustration pour l’élève, mais aussi pour son coach. « La plus grande frustration que j’ai avec mes juniors en tant que coach, c’est de les voir péter un plomb », analyse Douglas. « Certains enfants s’attendent à ce que tout se passe comme ils le souhaitent et ils perdent rapidement le fil lorsque ce n’est pas le cas. Tous les adolescents passent par là, surtout vers 15 ou 16 ans. C’est la faute de tout le monde, sauf la leur. » Une colère que Leon Marks apprécie, la jugeant indispensable dans la recherche de l’amélioration individuelle. « Ça ne me dérange pas que les enfants se fâchent ou pleurent. Parce que cela montre que ça leur tient à cœur. Ensuite, vous n’avez plus qu’à canaliser cette rage. Tu peux leur dire “Cool, tu es en colère, j’adore ça”, et ils te regardent comme si tu étais sur une autre planète. Ce qu’il faut, c’est transformer cette énergie en positif. Pourquoi sont-ils contrariés ? Habituellement, il s’agit d’attentes. Ils grandissent généralement dans un petit cadre au Luxembourg, et lorsqu’ils vont dans un monde plus grand, plus concurrentiel, les choses deviennent beaucoup plus difficiles. Et il y a un sentiment de “Qui vais-je blâmer pour mes mésaventures ?” C’est là que nous intervenons. Pour leur faire prendre conscience de la façon dont cela peut être préjudiciable. Nous ne devons pas perdre ce feu, juste le canaliser d’une manière différente. Mais c’est vraiment dur. »
Comme pour tout athlète, il existe évidemment un plafond de verre impossible à dépasser. Que cela soit sur le plan mental ou technique, chaque golfeur peut se heurter, à un moment, à une impossibilité de continuer à progresser. Une réalité qui n’empêche pas de toujours se fixer des objectifs supplémentaires, quand bien même ceux-ci paraîtraient compliqués à réaliser. « Il existe une limite », admet là encore Leon. « Quand un golfeur devient de plus en plus âgé, il devient aussi de plus en plus conscient de ses limites. Mais je veux toujours qu’ils essaient d’aller plus haut. Si votre corps ne peut que vous permettre de courir le 100 mètres en 12 secondes, je viserai toujours 11,75. »
Une progression individuelle réelle
Particulièrement prolixes et assurés dans leurs réponses, les deux entraîneurs ont-ils l’impression d’avoir progressé dans leur métier au fil des années ? « J’espère ! Cela fait plus de dix ans que je fais ce job, si je n’étais pas meilleur qu’à mes débuts, cela serait inquiétant ! », affirme Douglas, un léger rictus sur le visage. Leon, lui, le clame avec bien plus de conviction : « À 100 %. Il y a dix ans, je n’étais même pas la moitié de l’entraîneur que je suis aujourd’hui, et j’espère que dans dix ans, je pourrai à nouveau dire la même chose. »
D’où vient cette progression ? « Vous apprenez toujours des autres », assure le coach écossais. « Lorsque nous sommes arrivés ici, chaque entraîneur était très individuel. Mais les temps ont changé avec YouTube, les réseaux sociaux et les nouvelles méthodes d’enseignement. Les mentalités ont évolué. La plupart des pros se rendent compte que l’important est bien dans l’amélioration du joueur, et non pas son propre ego. »
Au-delà des changements d’état d’esprit, il y a aussi un travail personnel à mettre en place. Un investissement tant financier que chronophage qui, selon les dires du golfeur gallois, porte ses fruits. « Je dépense environ 3 000 euros par an pour de la formation, aussi bien en ligne qu’en séminaires. À cette occasion, j’ai pu côtoyer les meilleurs entraîneurs du monde et créer une relation qui me permet de les contacter et inversement. J’ai pu constater que nos approches sont très similaires, ce qui me rassure, évidemment. »
Enfin, les différentes évolutions technologiques de ces dernières années contribuent fortement à améliorer le niveau d’expertise. « J’utilise énormément la technologie », affirme Leon, particulièrement enthousiaste. « Lorsque vous demandez à quelqu’un de mettre en place un changement ou un test, vous voulez voir ce qu’il fait avant d’appliquer les modifications. Une fois que le changement s’est produit et qu’on voit qu’il y a une nette différence, on peut le montrer aux joueurs via la data. Ça le renforce, ça renforce sa confiance et lui fait prendre conscience de l’intérêt de ce changement. » La technologie peut aussi avoir l’avantage de pouvoir expliquer certains concepts à des personnes encore peu conscientes de certains facteurs. Un gain de temps, selon Douglas McLean. « Nous avons tous les deux beaucoup d’expérience, on sait situer notre corps dans l’espace. Si on le dit à un néophyte, il n’a pas forcément ce feeling. La technologie permet de produire un visuel, des data, afin de l’aider à mieux comprendre, plus vite. » Une recherche de la progression, une utilisation des moyens technologiques et un apprentissage constant : tant de raisons pour lesquelles la FLG a pris la décision de donner le poste d’entraîneur national aux deux compères.
Entraîneur national, un sacré défi
Ce poste d’entraîneur national pour au minimum trois ans, justement, ont-ils hésité avant de le prendre ? « Nous avons tous les deux vu que c’était initialement pour une personne et avons décidé que le résultat serait beaucoup plus fort si nous étions deux pour prendre le poste », assure l’ancien habitant d’Afrique du Sud. Officiellement responsables de cette position depuis janvier 2023, soit il y a à peine quelques mois, où en sont-ils sur cette nouvelle responsabilité, forcément lourde de conséquences ? « En ce moment, nous nous attelons à comprendre où ils en sont, qui ils sont en tant que personnes », préface Leon. « Nous n’avons pas encore donné de temps de passage spécifiques, car nous ne les connaissons pas assez bien. On ne peut pas dire que tout le monde devra atteindre tel objectif d’ici telle période, pour le moment. » Un avis partagé par son homologue écossais, qui rappelle l’importance de poser les fondations avant de voir plus loin. « Nous examinons comment ils fonctionnent en tant que personnes. Nous sommes en train de comparer, de comprendre leurs points forts, de travailler avec leurs entraîneurs, puis nous pourrons commencer à créer davantage une structure. À l’avenir, nous aurons plus d’objectifs, à court et à long terme. » Douglas n’hésite d’ailleurs pas à expliquer les avantages de faire ce travail conséquent en binôme. « Tout d’abord, en termes de temps, cela aide beaucoup. De plus, certains des golfeurs communiquent mieux avec moi ou Leon, c’est quelque chose de naturel. Enfin, nous pouvons aussi nous compléter. “Est-ce que j’ai raté quelque chose ?” Un deuxième avis, c’est toujours super. »
« Et un troisième avis, de la part des coachs personnels de ces joueurs », renchérit Leon Marks, satisfait des compétences de ses homologues au Grand-Duché. « Nous avons de très bonnes relations avec tous les autres coachs pros ici, qui visent tous le même objectif : l’amélioration de leurs poulains. Il y a des entraîneurs de très bonne qualité au Luxembourg. »
Une lourde charge, certes, mais pas dénuée de certaines récompenses inattendues. Ainsi, pour Leon Marks qui n’a, selon ses dires, pu jouer qu’une « dizaine de parties de golf » l’an passé, il va s’agir de retrouver les parcours plus souvent, dans le but d’être une source d’inspiration et de motivation. « Une chose que je trouve très importante, c’est de rivaliser avec eux. Nous faisons des formations où je vais jouer aussi pour montrer et, espérons-le, inspirer. Normalement, que cela soit Douglas ou moi, nous devrions gagner. Et nous devons nous assurer que ce sera le cas ! (rires) Mais au final, on aimerait que ces gars soient meilleurs que nous, c’est le vrai but. Donc, si je peux continuer à élever mon niveau, c’est bénéfique pour tous. C’est dans notre intérêt de travailler un peu plus notre jeu. » Une approche qu’a déjà Douglas McLean depuis plusieurs années, et en particulier avec un jeune talent du Luxembourg, Lenny Mines. « Lenny s’est amélioré très vite. Je l’ai eu tous les mercredis et les vendredis matin. On jouait 9 trous, et la règle était que s’il me battait, il recevait vingt euros. Mes billets à ce jour sont toujours à l’aise dans mon portefeuille. Il n’est pas passé loin plusieurs fois, mais je ne pouvais pas le laisser me battre ! » (rires)
Ainsi, le poste d’entraîneur national, particulièrement relevé, a aussi ses petits avantages. Pour Leon Marks et Douglas Mclean (qui aspire à rejoindre le Senior Tour d’ici deux ans pour se « donner une autre chance et éviter d’avoir des regrets à 70 ans »), la pratique en tant que golfeur va reprendre avec plus d’assiduité. Et, au vu de la passion qui continue de porter les deux coachs, on est parfaitement certains que cette optique les réjouit en tout point.
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