L’actuel sélectionneur de l’équipe Dames A du Luxembourg et coordinateur de tout le pôle féminin au sein de la Fédération, œuvre avec succès depuis plusieurs années pour le développement du niveau du championnat et des sélections jeunes à seniors. Quel regard porte-t-il sur le football féminin dans le pays, quels sont les réussites et axes de développement ? Réponses dans cet entretien sans tabou.
Vous venez d’obtenir votre UEFA Pro, cela faisait-il longtemps que vous songiez à passer ce diplôme que peu ont obtenu ?
Ce qui m’a poussé, c’est ma passion pour le football et le fait de vouloir toujours progresser, apprendre pour m’améliorer. Le 6 juin 2012, j’ai été opéré d’une tumeur à la tête. J’aurais dû passer mon examen pour l’UEFA B, et à l’époque tout cela a été reporté à cause de mon opération. Ce jour-là, je me suis dit que si je survivais, que je me fixerais l’objectif d’aller le plus haut possible à ce niveau-là, mais en y allant étape par étape. D’abord réussir le B, ensuite faire le A, puis passer le Pro – c’est comme un diplôme universitaire en football. Avoir le diplôme le plus haut en football, c’était un objectif et une motivation en même temps.
Avez-vous trouvé cela difficile ? Qu’est-ce que cela vous a apporté ?
C’était difficile, c’est sûr, mais cela reste du foot, et avec des personnes du haut niveau qui partagent leurs expériences, je me suis senti très à l’aise. Certains sont devenus des amis. Cela a demandé énormément de temps et d’investissement, en plus durant la première partie, il y a eu le covid, donc cela a rallongé et n’a pas été simple. Savoir que je suis un meilleur entraîneur aujourd’hui qu’avant m’apporte de l’assurance, et c’était l’objectif. Mais on apprend tous les jours, avec chaque personne, et cela ne doit jamais s’arrêter. Ce n’est pas parce qu’on a la licence pro qu’on est arrivé ou qu’on sait tout. Il faut rester ouvert à l’apprentissage. L’échange avec d’autres coachs est important, on se nourrit de ça.
Je veux le mettre au profit de ceux qui le veulent, mon équipe, mes entraîneurs, les autres entraîneurs quand je donne des formations à la Fédération, à tous ceux qui sont ouverts à l’échange. Cela ne veut pas dire que je sais tout ou plus, mais je peux leur parler de ce que j’ai vu et appris pendant ces deux ans-là.
Avez-vous déjà senti un changement dans votre façon d’entraîner ?
Un changement, oui et non. On s’améliore et on ne change pas tout comme ça d’un coup dans sa manière d’être ou d’entraîner, cela vient petit à petit, au fur et à mesure. Mais ça vient aussi avec l’expérience et les erreurs que l’on fait. Après chaque stage, j’en sors avec de nouvelles idées pour m’améliorer et perfectionner mon équipe.
Quel regard portez-vous actuellement sur le football féminin luxembourgeois ?
On doit investir dans nos jeunes, on a de plus en plus de clubs qui ouvrent la porte au football féminin. Il ne faut juste pas vouloir aller trop vite. Il faut y aller étape par étape, pas directement jouer les premiers rôles en D1, mais d’abord prendre de jeunes filles dans le club et travailler avec elles. Il faut démarrer à la base pour construire solide et sur le long terme.
Aller chercher à l’étranger, comme beaucoup le pensent, est-ce la clé ?
Aller cherche des joueuses à l’étranger, cela apporte une valeur et un niveau supplémentaire, mais il faut avoir un bon mix entre jeunes et expérience. Et un mix entre joueuses locales et celles qui viennent de l’étranger, tout est question d’équilibre et de mélange cohérent. Il faut dire que le marché ici au Luxembourg est petit, et si on veut avoir des joueuses de qualité à tous les postes, il faut avoir l’une ou l’autre qui vient de l’extérieur. J’espère qu’avec la réduction des équipes en championnat, le niveau va augmenter, et que le championnat sera plus compétitif.
Que manque-t-il encore pour qu’il le soit, d’après vous ?
Les clubs doivent investir plus dans le football féminin très clairement, c’est la clé. Il faut aussi valoriser les entraîneurs qui font un très bon boulot, et les filles, leurs équipes féminines. Certains clubs le font, d’autres pas assez à mon goût.
Trouvez-vous qu’un gros travail a été fait concernant la médiatisation et les sponsors ?
Niveau médiatisation, je trouve que c’est mieux qu’avant, mais il y a encore de la marge pour faire encore plus. Je crois qu’avec la nouvelle formule du championnat, cela devrait aider en ce sens. Pour moi, chaque média doit plus intégrer le football et le sport féminin dans son quotidien, cela ne doit pas être mis dans un coin simplement parce qu’il y a une petite place à combler ou le citer pour se donner bonne conscience et assurer le minimum. Et cela doit venir de tout là-haut : les maisons de médias sont en partie subventionnées par l’État, il pourrait par exemple mettre une subvention en plus pour ceux qui valorisent le sport féminin. Il y a des solutions, il faut juste vouloir le faire, mais cela doit venir de tout en haut. Concernant les sponsors, c’est encore très timide.
Quels sont les autres freins qui permettent aujourd’hui de passer certains caps ?
Très clairement, je dirais les infrastructures, nous n’avons pas assez de terrains. Il y a de plus en plus d’équipes féminines, de joueuses, et cela devient compliqué pour les clubs de trouver des terrains. Il y a des terrains disponibles, libres, mais nous n’y avons pas accès. Il faut promouvoir encore plus le football féminin. Investir dans tous les domaines. Il nous faut plus d’entraîneurs diplômés, c’est encore juste dans ce domaine.
Comment jugez-vous le niveau du championnat D1 Dames cette saison ?
Le niveau est meilleur parce qu’il y a moins de décalage de niveau entre chaque équipe. Il y a plus d’équipes compétitives. Le Racing Union Luxembourg domine notre championnat, mais je pense que d’autres équipes commencent doucement à rivaliser et cela ne peut être que bénéfique pour tout le football féminin et notre championnat. Je pense que la saison prochaine sera intéressante, le Racing restera le favori, mais plus d’équipes vont pouvoir s’en rapprocher, j’en suis persuadé.
Nous avons pu constater que le niveau a aussi augmenté en sélection nationale, à quoi est-ce dû ?
Le niveau a augmenté grâce à l’engagement et l’envie des joueuses. Avant, il n’y avait pas de réelle structure. Avec mon staff, nous avons mis une structure en place, que l’on essaye d’améliorer au fur et à mesure. Vu que les joueuses ont les moyens d’avoir plus d’entraînements ensemble à la Fédération, cela augmente leur niveau et apporte aussi aux clubs. Les dames sont une à deux fois par semaine chez nous, certaines font des entraînements supplémentaires avec Kevin Rutare (le préparateur athlétique). Tout cela combiné aux entraînements en club, ça fonctionne assez bien. Nous tenons à vraiment remercier les clubs, parce que sans eux, ça ne serait pas possible.
Vous fonctionnez pareil chez les jeunes ?
Chez les jeunes, qui sont trois fois par semaine chez nous à la Fédération, on pourrait encore faire mieux je trouve. Le problème, c’est que les clubs les veulent chez eux pendant la semaine, nous avons beaucoup de discussions là-dessus avec certains. Chez les garçons, à l’école de foot, ils y sont quatre fois par semaine sans discussion. Chez les filles, on doit se battre avec les clubs pour les avoir trois fois. C’est dommage, car c’est pour les préparer à être les meilleures et que les clubs y gagnent aussi en étant encore plus compétitifs. Qu’on ne vienne pas me dire qu’on a besoin d’elles pour travailler tactiquement pour les matchs du week-end sur des catégories U13. Mais globalement, cela fonctionne assez bien. Avec le Sportlycée, nos joueuses vont progresser encore plus et ce sera bénéfique pour tout le monde.
On sent que vous mettez beaucoup l’accent sur les jeunes filles, et les jeunes générations sont très prometteuses. Tout a été repris à la base ?
Quand j’ai commencé, j’ai dit « il faut bâtir d’en bas », ce qui n’a jamais été fait par le passé. Aujourd’hui, nous avons 150 jeunes filles qui s’entraînent à la Fédération sur les catégories détection, WU12/13 – WU14/15 – WU16/17, et la saison prochaine il y aura même une WU18/19. Nous avons des entraîneurs qui sont là pour le projet et qui font un excellent travail au quotidien. Les clubs font du bon boulot également, on le voit parce qu’il y a toujours des joueuses que nous découvrons ou qui ont du potentiel. Un grand bravo et merci aux clubs et aux coachs pour cela.
Vous avez sûrement eu des propositions, votre avenir est-il dans le football féminin ou aspirez-vous à autre chose ?
Mon avenir, bonne question. Je ne me suis pas fixé de limites, et dans le football tout peut aller très vite, d’un côté comme de l’autre. J’ai mis le train sur les rails pour la sélection A et toute la structure féminine globalement ; les suivants pourront continuer ce travail. J’ai un staff formidable, les joueuses donnent beaucoup en retour, sans cela, je serais déjà parti. Maintenant, j’ai eu des offres chez les hommes, et je ne vais fermer aucune porte…
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