Un mercredi soir de mai, au bout de la commune de Walferdange. Il est presque 19 h 30, quelques gouttes tombent du ciel, mais ça ne dure pas longtemps. À côté d’un terrain de baseball impeccable, le terrain de rugby du club de Walferdange. Cabossé, usé, il manque des grappes de pelouse à différents endroits. Sur une partie, un groupe de jeunes garçons s’entraîne. De l’autre côté, une quinzaine de filles s’échauffent, multiplient les passes, s’étirent. Au bord de la ligne de touche, les membres d’un staff discutent. Le décor et le point de vue sont champêtres, on ne s’imagine pas que ce sont les conditions d’entraînement d’une équipe nationale. Et pourtant…
Les quinze filles présentes ce soir-là font partie de la sélection luxembourgeoise de rugby féminin et sont en pleine phase de préparation. « On bosse pour les Jeux des petits États européens à Malte fin mai début juin, et pour le Championnat européen à 7 (Rugby Europe Conference 1) le week-end juste après Malte. C’est la première fois qu’on va avoir deux compétitions qui se suivent comme ça », explique Anouck Hombert, manager de l’équipe féminine du Luxembourg depuis trois ans. Ancienne joueuse de Walferdange, elle a pu constater l’évolution du rugby chez les filles au Grand-Duché : « On progresse. On a réussi à avoir de meilleurs résultats, surtout l’année dernière où l’on a obtenu une 4e place à notre championnat européen, une place historique pour nous. »
Au milieu des filles, Adrien Bouchet-Bouron s’agite et donne de la voix. Le quarantenaire a rejoint le staff luxembourgeois en 2020, d’abord comme entraîneur adjoint, puis en tant que sélectionneur depuis cette année. Derrière lui, un parcours riche et varié : « J’ai commencé le rugby tard, au lycée, à 16 ans, chez moi à Niort. Ensuite, je suis parti étudier à Nantes où j’ai joué en universitaire. Puis j’ai fait pas mal de clubs à l’étranger, à Milan, en Suisse et enfin en région parisienne. J’y ai entraîné pendant deux ans les filles d’un club que j’avais cofondé il y a une dizaine d’années, Oval’Mines. En arrivant au Luxembourg, j’ai voulu continuer à entraîner des féminines. » Et la situation qu’il trouve en posant ses valises ne le rebute pas, bien au contraire : « J’ai été agréablement surpris. Il y avait des filles en nombre, de la qualité, malgré quelques carences niveau infrastructures. Je suis là depuis cinq ans maintenant, on a fait plein de choses. Et il y en a encore plein d’autres à faire. » La manager, Anouck Hombert, pense également que le rugby féminin luxembourgeois est sur la bonne voie : « Sur la structuration, on s’est beaucoup amélioré, on a beaucoup plus de staff. On a davantage de coachs diplômés. Le but pour nous, c’est de recruter encore afin d’avoir toujours plus de joueuses, d’activer la concurrence et de tirer le niveau vers le haut. »
Adrien Bouchet-Bouron : « Le projet de jeu évolue et on le coconstruit chaque année avec les joueuses. On intègre tout ce que les filles proposent lorsque c’est pertinent »
De son poste, Adrien Bouchet-Bouron confirme ces évolutions positives : « On a 24 filles éligibles à la sélection, ce qui est vraiment pas mal pour des sélections de 12 {rugby à 7}. Il y a quelques années encore, il y avait autant de filles éligibles que de places dans la sélection. On a gagné en masse et en qualité. Et on a surtout gagné en jeunesse, on a de nouvelles filles qui sont arrivées. Là, cette année, la plus jeune a 15 ans ! On a une moyenne d’âge qui doit tourner autour de 25 ans. » Au-delà de l’âge, les filles qui composent la sélection viennent désormais d’horizons différents. Un paramètre très positif : « Walferdange reste toujours le gros pourvoyeur de la sélection, en particulier pour le nombre de joueuses en préparation. Mais on a plusieurs clubs étrangers représentés maintenant, qui fournissent environ 50 % du 7 majeur. Et c’est hyper positif pour le groupe, cela tire le niveau vers le haut, apporte de nouvelles idées, de nouvelles approches. Le projet de jeu évolue et on le coconstruit chaque année avec les joueuses. On intègre tout ce que les filles proposent lorsque c’est pertinent. » Anouck Hombert égrène les destinations où se développent une partie des joueuses : « Italie, Écosse, Canada, Allemagne. Certaines y sont pour les études, d’autres y sont restées pour le travail. »
« Il nous faut plus de masse, plus de joueuses qui arrivent des écoles de rugby »
Fortes de cette nouvelle diversité, les Luxembourgeoises préparent donc les grosses échéances qui arrivent. Sur ce terrain dur et abîmé de Walferdange, les chocs se multiplient, la gonfle virevolte de main en main pendant qu’Adrien Bouchet-Bouron distribue ses consignes. L’heure de la compétition approche. « Le Rugby Europe à Belgrade est notre objectif sportif numéro un. En fonction du résultat, on peut être mieux placés l’année prochaine. Malte va nous servir à affûter nos armes, à faire vivre le groupe et à rencontrer des équipes que l’on jouera une semaine plus tard, donc on va essayer de marquer les esprits. On est capables de battre beaucoup d’équipes, à la fois à Malte et à Belgrade », déclare le sélectionneur. Et cette confiance, cette détermination, on les retrouve chez les joueuses. À commencer par la capitaine, Anaïs Mathiot, 19 ans : « L’objectif est de faire mieux que l’année dernière. Sur le terrain, le but est d’appliquer ce que l’on a appris lors des stages. On part sur de bonnes bases, on est bien. On a vraiment progressé et on a une réelle envie d’aller plus loin que la quatrième place. Et à Malte, on peut gagner. » Anouck Hombert partage ce sentiment collectif d’optimisme : « Pour le championnat européen, on est tête de liste cette année, donc on aura une poule négociable. On peut espérer un résultat cette année aussi. Il faut juste espérer qu’il n’y ait pas trop de casse entre les deux compétitions. »
Malgré les progrès réalisés, il reste encore du chemin à faire pour le rugby féminin luxembourgeois. « Il faut poursuivre sa promotion, mais ce n’est pas évident. On a beaucoup de gens de passage ici, donc on va avoir certaines périodes avec des effectifs très très fournis et doués, et d’autres moments avec des creux », constate la manager, rejointe par son sélectionneur : « Il nous faut plus de masse, plus de joueuses qui arrivent des écoles de rugby. » Ce qui semble surtout manquer de façon évidente, ce sont des moyens à la hauteur de la motivation et du talent de ces filles. « On n’a pas de terrain d’entraînement à nous, on est tributaires des clubs qui nous prêtent leurs terrains et c’est un gros problème », souffle Anouck Hombert. « À la fin de la saison, ce terrain de Walferdange est dur et les joueuses n’arrivent pas dans les meilleures conditions de fraîcheur à cause de ça, donc c’est vraiment dommage », soupire à son tour Adrien Bouchet-Bouron.
En attendant que certains responsables se réveillent et proposent des conditions d’entraînement dignes à nos rugbywomen, une sélection de guerrières s’apprête à s’envoler pour porter haut les couleurs luxembourgeoises sur les terrains de rugby de Malte et de Belgrade.
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