Entre les blessures et les coups du sort d’ordre mécanique, la championne cycliste aux multiples titres nationaux a connu jusqu’à présent une année 2023 aussi galère qu’une montée dans le Tourmalet. Et pourtant, Christine Majerus n’a pas posé pied à terre. Au contraire, elle en nourrit sa force.
Le 25 juin dernier, à Berbourg, tu as remporté ton quatorzième titre de championne de Luxembourg de cyclisme sur route. Dans le cyclisme féminin grand-ducal, il semble y avoir Christine Majerus, et les autres…
C’est certainement une conclusion un peu rapide. S’il est vrai que certaines années, la concurrence était moindre, il y a quand même eu des périodes où je n’étais pas seule et où j’ai dû batailler pour garder mon titre, notamment les trois ou quatre dernières. Cela ne se voit peut-être pas de l’extérieur, mais je me suis donnée à fond à chaque compétition pour aller chercher la gagne. Et puis cette année, je n’oublie pas non plus que j’ai bénéficié de l’aide importante de ma coéquipière Marie Schreiber pour pouvoir l’emporter.
Entre devoir rester en alerte alors que l’on domine autant depuis plus d’une décennie, et ne pas sombrer dans une certaine forme de monotonie, quel est le plus compliqué à gérer ?
Heureusement que ma saison ne repose pas uniquement sur le fait de disputer le championnat national. Avec Boels Dolmans, puis SD Worx, j’ai plein d’autres rendez-vous importants tout au long de l’année. Je n’ai donc pas le temps de me reposer sur mes lauriers et encore moins de m’ennuyer. L’objectif principal est toujours d’être compétitive à l’international et d’effectuer le mieux possible mon travail au sein de l’équipe. Les titres nationaux vont de pair. Ce n’est pas parce que tu es forte au quotidien à l’étranger que les sacres au niveau national viendront de manière automatique. Il s’agit souvent d’une suite logique. Il n’y a donc rien de compliqué. Il faut juste travailler et donner le meilleur de soi-même.
Sur ces 14 sacres, quel est celui qui t’a procuré le plus d’émotions ?
C’est très difficile à dire. Je me souviens de toutes les courses et elles étaient toutes différentes. Certaines se sont avérées plus faciles que d’autres. Du coup, cela donne évidemment des sensations différentes aussi, mais très franchement je ne saurais pas réaliser une hiérarchie. J’ai aussi été à chaque fois fière d’endosser ce beau maillot et de le montrer tout au long de la saison sur les routes à l’international.
Selon toi, comment le vélo féminin au Luxembourg peut-il encore évoluer pour avoir plus de coureuses de ton niveau ?
Je pense qu’il ne faut pas non plus se montrer trop gourmand. La réalité est et restera que nous ne disposons pas d’un réservoir d’athlètes féminines aussi important que des pays plus grands. Du fait de notre petite population, cela est vrai pour tous les sports et certainement un peu plus pour le cyclisme – qui traîne encore malheureusement cette casquette de sport masculin ou de sport dangereux. Je trouve que comparativement aux garçons, nous ne sommes pas mal du tout dans les jeunes catégories. Le fait d’avoir 3 athlètes féminines dans le peloton professionnel dans une même année, c’est très bien aussi. Je crois qu’il faut surtout travailler dans la continuité. Je pense notamment au fait de persévérer à travailler dans les clubs sur l’ouverture du cyclisme aux filles en proposant, pourquoi pas, un programme d’activités plus adaptées. Selon moi, notre fédération doit continuer à proposer des programmes de courses à l’étranger aux filles, parce que courir au Luxembourg avec les garçons, cela montre rapidement et clairement ses limites. C’est aussi un moyen de garder la motivation des jeunes filles au beau fixe et de lutter ainsi contre la perte de licenciées à partir des catégories juniors. Finalement, la détection reste à mon avis le plus grand chantier au Luxembourg. Ce n’est pas un chantier spécifique au cyclisme évidemment. Il faudrait réussir à mettre en place un programme de détection « multisportif » dans les écoles afin de pouvoir orienter les élèves vers des sports qui leur sont favorables d’un point de vue physique. Je ne suis pas particulièrement adepte de la spécialisation précoce des enfants, et le sport doit surtout rester un moyen de grandir et de s’épanouir avant de pousser le pratiquant à la recherche de la performance. Je suis convaincue que pratiquer un sport dans lequel on est à l’aise et pour lequel on est doué ne peut qu’aider à développer sa confiance en soi. Et si cela peut orienter quelqu’un tout de suite vers le bon sport en vue d’une carrière professionnelle, c’est tant mieux !
À l’international, tu es toujours un maillon-cadre du Team SD Worx, comment juges-tu, sur un plan personnel, ton exercice 2023, alors que neuf mois se sont déjà écoulés ?
J’ai connu une saison compliquée jusqu’à présent. J’ai déjà dû me remettre de ma blessure du mois de septembre 2022 et de deux mois sans entraînement en plus d’une saison blanche en cyclo-cross. Cela n’a pas été une partie de plaisir, mais j’ai tout de même réussi à me présenter à la première course de la saison en pleine possession de mes moyens physiques. Cela s’apparentait déjà à une petite victoire. Je pense avoir fait un printemps très correct même si j’émets quelques regrets d’un point de vue personnel. Je pense notamment à la course Gent-Wevelgem, où mon échappée se fait reprendre dans les trois cents derniers mètres alors qu’on courait pour le podium. Je me rappelle aussi Roubaix, où une crevaison m’a écartée du feu de l’action assez rapidement. Mais bon, collectivement, c’était clairement la meilleure saison depuis toujours pour notre Team SD Worx. Je pense que seulement deux succès nous ont échappé : Paris Roubaix et Binda. Après cela, j’ai chopé la mononucléose en mai et depuis, c’est un peu la galère. J’ai forcément dû me reposer. C’était à nouveau un temps sans entraînements. De ce fait, j’ai dû annuler un bon nombre de compétitions et depuis mi-juin, j’essaie de m’entraîner à nouveau en écoutant mon corps. Ce n’était pas cool tous les jours, mais depuis les championnats, j’ai l’impression d’être à nouveau sur la pente ascendante. Alors je prends et je croise les doigts pour que cela continue.
Quel sera ton objectif de fin de saison ?
L’objectif, c’était surtout de participer au Tour de France en faisant au mieux mon travail d’équipière et de sortir du Tour avec une forme me permettant d’être performante sur la fin de saison encore. J’ai quand même envie d’essayer d’aller chercher à nouveau un bon résultat d’ici la fin de saison sur une des courses encore au calendrier. Tout cela s’inscrit aussi dans l’optique de la qualification pour les Jeux de Paris l’année prochaine. Ce n’était pas une bonne saison pour se blesser ou pour tomber malade. Malheureusement, le mal est fait maintenant et il faut juste essayer de s’en sortir le mieux possible. Je suis consciente que ça ne sera sûrement pas la meilleure saison de ma carrière, mais au moins je me serai battue pour faire au mieux avec ce que mon corps m’aura permis de faire. Et puis, nous ne sommes jamais à l’abri d’une bonne surprise, il ne faut pas perdre espoir !
Tu parlais du Tour de France… Quelles ont été les sensations sur un plan personnel ?
Je pense avoir réalisé une semaine correcte. J’ai effectué le travail demandé et j’espère que cela a contribué au succès final de l’équipe. Les conditions de préparation étaient loin d’être parfaites de mon côté, donc le résultat est plutôt positif. J’ai ressenti du plaisir lorsque j’ai pris part à l’échappée une journée, même si Yara était au-dessus du lot et qu’on s’est fait rattraper à 400 mètres par le groupe du maillot jaune. C’était néanmoins une belle journée.
Quels enseignements en tires-tu et quelles images en garderas-tu ?
Évidemment, je garde en mémoire le fait que nous avons gagné le Tour de France de la plus belle manière avec des succès d’étapes et le maillot jaune au sein de l’équipe pendant tout le Tour. Tout le monde était uni autour du même objectif, et nous sommes soulagés que cela ait marché. Nous avons gagné le classement par équipe. Le fait d’y avoir contribué et de monter sur le podium final toutes ensemble est un beau symbole.
D’un point de vue collectif, ton Team SD Worx a dominé les débats avec notamment votre coéquipière Lotte Kopecky, mais aussi la grande gagnante Demi Vollering…
Oui, évidemment nos leaders ont répondu présentes. Notamment la belle attaque et victoire de Lotte au premier jour, qui lui assure le lead pour le reste de la semaine. Il y a aussi ensuite son exploit dans le Tourmalet. Elle était archiforte. Puis, évidemment, Demi qui avait en tête surtout le Tourmalet et qui semblait sûre de ses capacités sur cette montée, et s’est donc particulièrement préservée pour cette journée importante. La victoire de Lorena au sprint et de Marlène au chrono s’y ajoutent. Je suis contente que toutes les « leaders » repartent avec leur moment de gloire. C’est toujours un peu le risque quand on a beaucoup de leaders : que certaines repartent sans rien, et donc frustrées. Mais là, tout le monde est rentré content donc c’est bien.
Quelles sont les prochaines courses prévues pour toi d’ici la fin de saison ?
La récupération d’après Tour s’annonce difficile pour ma part. J’ai pas mal puisé dans mes réserves, et en plus j’ai chopé un petit rhume, donc il me reste une grosse semaine pour espérer retrouver de bonnes sensations pour les Championnats du monde. C’est un peu court, mais j’y crois. Après, il reste le Battle of North, Plouay, un week-end de course avec l’équipe nationale et le Tour de Romandie. J’espère pouvoir faire encore un ou deux résultats personnels d’ici la fin de saison. Avec tous les pépins que j’ai eus cette saison, elle reste très frustrante, mais malheureusement avec les maladies, parfois on a beau tout faire bien, cela ne passe quand même pas… Mais je suis fière d’avoir toujours continué à y croire. Avoir fait partie de l’équipe gagnante du Tour de France est une belle récompense pour ma persévérance.
Lors de ta reconduction de contrat, Danny Stam, ton manager, déclarait « Vous pouvez toujours compter sur Christine. » Quid d’après 2024 concernant ta carrière en club ?
J’ai un contrat jusqu’en 2024, et ce sera aussi ma dernière année. Comme je l’avais déjà annoncé auparavant, je ne compte pas continuer au-delà de 2024. Je pense avoir eu une longue carrière. Je suis fière de ce que j’ai réalisé et de ce que je vais encore réaliser d’ici là, mais je pense qu’aller au-delà de 2024 serait une erreur. Il sera temps de faire autre chose, d’élargir mes horizons et de me trouver de nouveaux défis. Je n’ai pas hâte d’y être parce que je suis encore concentrée à fond sur mon métier actuel, mais je suis certaine qu’une fois le moment venu, cela va être très bien aussi. Peu importe la direction que je prendrai, je m’y investirai à 100 % comme je l’ai toujours fait pendant ma carrière sportive.
Quel est le secret de ta longévité ?
Je ne sais pas. La chance peut-être. La gestion sûrement. Je ne suis pas quelqu’un qui va dans les extrêmes et je pense que mon corps m’en remercie. J’essaie toujours de l’écouter en me reposant quand il faut, mais aussi de travailler quand cela est nécessaire. Jusqu’à cette année, je n’avais jamais été gravement blessée ni malade. Je pense que ce n’est pas un hasard et qu’un signal m’est envoyé. Je sais aussi reconnaître mes limites et orienter par conséquent mes objectifs. J’ai également eu la chance d’être bien entourée et aidée par les bonnes personnes. Vous savez, l’entourage compte pour beaucoup dans une carrière sportive. Les gens ne voient généralement que par le prisme de l’athlète, mais finalement il n’y a pas que moi et je ne pourrai jamais les remercier assez pour ce qu’ils ont fait pour moi depuis toutes ces années. Je n’oublie pas aussi que mon adhésion en début de carrière à la section sportive de l’armée luxembourgeoise m’a apporté énormément. C’est une porte d’entrée majeure dans le sport professionnel, et sûrement que je n’aurais pas eu la carrière que j’ai eue sans cette opportunité.
Au niveau de la sélection nationale, 2024 rimera avec les Jeux olympiques de Paris. Cette compétition chez le voisin français se trouve déjà dans un coin de ta tête ?
Paris est évidemment un objectif pour moi. L’année 2024 pour ma dernière saison n’est pas choisie par hasard. Je vois cette olympiade comme un dernier boost de motivation, l’ultime objectif dans ma carrière. Mais avant de penser à Paris 2024, il faudra déjà se qualifier. Néanmoins, comme je l’ai déjà évoqué, avec tous les soucis que j’ai traversés cette année, y figurer sera déjà un premier but, puis on verra. Mais oui, sans hésiter, je veux y être.
En juin dernier, tu as participé à une campagne de crowdfunding mise en place par le Nationalmusée pour sécuriser un tableau montrant deux fois le gagnant du Tour de France, Nicolas Frantz. Le travail de mémoire est-il important pour toi ?
C’est le musée qui m’a contactée pour cette action. Cela me semble normal de donner de mon temps et de mon image pour ce crowdfunding. Je suis très fière de mon pays et si je peux, d’une façon ou d’une autre, aider à sauvegarder notre patrimoine, alors je le ferai, à chaque fois, sans hésiter une seule seconde.
Jocelin Maire
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