Lundi, 18 h. Au lendemain d’un déplacement à Strasbourg pour affronter la réserve du RCSA, les joueurs de Thionville Lusitanos sont déjà de retour au travail. Comme chez les pros, une séance vidéo concoctée par l’entraîneur Julien François est programmée afin d’analyser la performance de la veille, soldée par un match nul (1-1). Depuis la fusion entre le Thionville FC et l’AS Portugais Saint-François Thionville, l’USTL connaît une ascension fulgurante, avec deux montées consécutives, du Régional 2 au National 3. À l’origine de ce projet, François Ventrici n’a pas lésiné sur les moyens. À la tête du CSO Amnéville à l’époque, le dirigeant voit la municipalité fermer les robinets. L’entrepreneur décide alors de plier bagage et de parcourir les quelques kilomètres qui séparent Amnéville de Thionville, où un projet particulièrement ambitieux va voir le jour. Le président ne part pas les mains vides, puisqu’il emmène dans ses valises l’entraîneur Julien François et plusieurs cadres de l’équipe comme Lucas Pignatone, Jérémy Lauratet ou encore Valentin Poinsignon. « Je suis parti pour des raisons d’ambition », justifie François Ventrici. « À Amnéville, on était limités, il n’y avait pas la volonté politique, qui est indispensable si vous voulez continuer à avancer. Il y avait des rapports humains qui n’étaient pas du tout adaptés pour un tel projet. Aujourd’hui, je pense que tout le monde sera d’accord pour dire qu’au vu de la taille de la ville, celle de l’agglomération, et le manque d’un deuxième grand club en Moselle, il y a une place à prendre. C’est une place qui est destinée à Thionville. C’est la deuxième ville de Moselle, la troisième ville de Lorraine avec 45 000 habitants, 160 000 avec l’agglomération. Il y a vraiment de quoi faire, et le projet est réellement viable. »
Depuis le début des années 2000, on avait l’habitude de voir les joueurs quitter la France, et plus particulièrement la Moselle, pour rallier le Luxembourg, en BGL Ligue ou en PH. Avec l’avènement du club thionvillois, la circulation est désormais fluide dans les deux sens et aucun bouchon n’est à signaler. Les joueurs de l’effectif ayant évolué au Grand-Duché sont nombreux : Poinsignon, Pignatone, mais aussi Vincent Collet, Adrien Ferino et plus récemment Ryad Habbas. Prêté par le Swift, l’attaquant formé au LOSC espère se relancer en France. « La saison dernière a été compliquée et je ne voulais pas en revivre une deuxième comme ça », explique Ryad Habbas. « J’ai pu jouer au début, j’ai été décisif et j’ai marqué quand on a fait appel à moi, mais après, je n’ai plus trop joué, sans aucune explication, donc je n’avais pas envie de revivre ça. C’est vrai qu’au départ, je ne connaissais pas du tout le club et le projet, comme je ne suis pas de la région. Quand je m’y suis intéressé, ça m’a plu. Le président et le coach ont su me faire adhérer au projet », poursuit le joueur également passé par Créteil, le Progrès et Hostert. Depuis le nord de la Moselle, Julien François garde un œil sur la BGL Ligue et suit attentivement ce qu’il se passe sur les pelouses du Grand-Duché depuis la plateforme RTL Live Arena. « C’est un championnat que je connais, parce que j’ai d’anciens coéquipiers qui y ont évolué comme Stéphane Leoni, Jean-Philippe Caillet à Differdange, club dont j’avais rencontré le président Fabrizio Bei il y a deux ans. » Pedro Resende lui ayant été préféré, l’ancien joueur du FC Metz a ainsi suivi François Ventrici depuis Amnéville pour tenter de relever le défi thionvillois. Forcément, à quelques kilomètres de la frontière, l’ancien milieu défensif reste à l’affût. « Il y a quand même beaucoup de bons joueurs là-bas et c’est intéressant de le suivre. Je suis allé voir quelques matchs, notamment en Coupe d’Europe. C’est un championnat que l’on suit du fait de la proximité, mais aussi parce qu’aujourd’hui, on est en mesure de recruter des joueurs partis là-bas. C’est un bassin de population que l’on peut toucher. » D’autant plus qu’avec la crise immobilière que traverse le Luxembourg, secteur dont de nombreuses formations luxembourgeoises dépendent, certains clubs ont revu leur masse salariale à la baisse. Une aubaine pour Thionville, dans l’optique de récupérer des joueurs ? « On avait deux problématiques au lancement du projet en R2 », détaille Julien François, qui n’a pas hésité à descendre deux échelons pour rejoindre le projet thionvillois. « La première était l’attractivité du niveau, que l’on a résolue en retrouvant un échelon national, même si ce n’est entre guillemets que du National 3. Sur la pratique sportive, un joueur est donc beaucoup plus attiré par le fait de venir jouer en National 3, même si on lui donnait l’argent qu’on lui donne actuellement, mais pour jouer en R2. C’est le résultat du travail bien fait ces deux dernières saisons. C’était vraiment l’objectif de ne pas se rater sur ces deux montées consécutives. Aujourd’hui, l’attractivité est sportive, on a de bons moyens financiers et Thionville est dans une dynamique de club de ville de vouloir aller encore plus haut. Donc effectivement, ces joueurs qui dépassent la frontière pour se prendre un petit billet supplémentaire, on peut peut-être les arrêter avant pour tenter de les avoir. »
« C’est proche de chez nous, ça a été un marché concurrentiel, mais aujourd’hui, on peut peut-être inverser cette notion de concurrence »
Avec un projet alléchant tant financièrement que sportivement, l’US Thionville Lusitanos va continuer d’attirer les Français, en France comme au Luxembourg, c’est certain. Les déplacements, plus longs en N3 qu’en BGL Ligue ? Pas un problème pour ces joueurs dont le football est quasiment le métier. « C’est vrai que c’est un problème pour pas mal de joueurs, mais pour nous qui avons joué la plupart de notre carrière en France, qui n’avons connu que ça, ce n’en est pas un », atteste Ryad Habbas. « Personnellement, je vois le foot comme mon métier, donc si je ne veux pas signer dans un club parce qu’il y a des déplacements le week-end… Il faut simplement changer un peu son rythme de vie par rapport au match. C’est sûr que pour les Luxembourgeois habitués aux petits déplacements, ça leur ferait un choc. » Bien que les clubs soient habitués à recruter à l’étranger, Le Luxembourg peut maintenir, grâce à ses joueurs locaux, la compétitivité de son championnat, avec notamment la règle qui impose 7 joueurs considérés comme « première licence » sur la feuille de match. « Je ne pense pas que l’on soit une menace, car c’est un championnat qui a la particularité d’être déjà bien centré sur ses joueurs nationaux », tempère Julien François. « Par définition, ils préfèrent jouer dans leur championnat, dans leur pays et dans un périmètre de 100 kilomètres. Nous, on commence déjà à faire des déplacements de 200 à 250 kilomètres. Dans le championnat luxembourgeois, vous êtes dans la première division du pays, vous ne faites pas trop de trajets, vous avez des rémunérations qui sont quand même bonnes, vous avez la capacité de pouvoir faire des matchs européens… On le remarque sur le recrutement que l’on a essayé de faire sur certains joueurs, il y a quand même un gap entre la BGL Ligue et nous, que l’on pourrait resserrer si on arrivait à être au moins en N2. Des deals comme celui avec Ryad en prêt, c’est quelque chose que l’on n’aurait pas pu faire dans les divisions inférieures. C’est proche de chez nous, ça a été un marché concurrentiel, mais aujourd’hui, on peut peut-être inverser cette notion de concurrence, sans pour autant vouloir faire tout notre marché à cet endroit-là. »
Grâce à ses deux montées en deux ans, l’USTL a pris de l’avance dans son projet et la perspective d’évoluer en National 3, voire à l’étage au-dessus,a du sens pour de nombreux joueurs de l’autre côté de la frontière. « C’est plus prestigieux de jouer en National 3 pour les Français par exemple. Il y a aussi la particularité du marché intérieur, où les clubs luxembourgeois n’ont pas envie de renforcer les clubs avec lesquels ils sont dans le championnat. Donc pour nous, c’est une opportunité », estime Julien François. Constat que partage son président François Ventrici. « Je pense qu’un jeune joueur de 20 ans qui espère encore se faire repérer à haut niveau en France a plus de chance de réussir dans un club comme Thionville, où c’est vraiment une vitrine, même si, c’est indiscutable, le niveau de la BGL Ligue est très bon. Les joueurs attirés par le Luxembourg sont en fin de carrière. Un joueur sera plus mis en lumière ici qu’au Luxembourg, mais ce n’est que mon avis. » Pourtant, un joueur comme Amine Naïfi, passé par Amnéville ou encore Sarre-Union, s’est fait repérer par le FC Sarrebruck grâce à ses performances sous le maillot du FC Differdange. Vainqueur de la Coupe de Luxembourg en mai, l’ailier, passé plus jeune par le FC Metz, s’est également fait remarquer en match de qualification à l’Europa Conference League face à Maribor. Naïfi et d’autres avant lui l’ont prouvé, le foot luxembourgeois reste une porte d’entrée vers le monde professionnel. Et quand il ne permet pas d’aller voir plus haut, le Luxembourg offre au moins l’occasion, le temps d’une double confrontation ou de plusieurs tours de qualification à une compétition européenne, de rêver plus grand. De découvrir le gratin du foot mondial. Cette saison ? Differdange avec Maribor, le Progrès avec Midtjylland, le Swift avec le Slovan Bratislava. Ces dernières saisons surtout, Dudelange a disputé deux phases de groupes consécutives d’Europa League (2018-2020). Ça, aussi, ça parle aux jeunes. « Quand un club te propose de jouer la Coupe d’Europe, c’est toujours intéressant », reconnaît Nicolas Caloiero, milieu de 21 ans qui a déjà eu des sollicitations en BGL Ligue. « Je suis encore un jeune joueur, avec plein de rêves dans la tête. On a vu, encore récemment, que jouer l’Europe pouvait être un énorme tremplin vers le monde pro, donc en tant que jeune joueur, c’est dans un coin de notre tête. » C’est en ce sens que le président du club mosellan voit Thionville et le Luxembourg comme des alliés, et non comme des concurrents. « Il faut que l’on arrête de se voir comme des clubs concurrents. Je pense que l’on peut être complémentaires. Il serait temps de se mettre autour d’une table et de discuter pour voir ce que chacun peut apporter à l’autre. Le football en serait gagnant. » Le président envisage de nouer des partenariats avec les clubs luxembourgeois à l’avenir, notamment chez les jeunes. « Thionville fait partie du Top 3 dans le Grand Est. Si on arrive à faire remonter nos U17 en National, les meilleurs jeunes de Dudelange ou Hesperange pourraient finir leur formation chez nous pour toucher le très très haut niveau, chose que le championnat luxembourgeois ne peut pas leur apporter. Et le club qui nous le prêterait pourrait récupérer le joueur quand il le souhaite. Nous avons de quoi les faire progresser pour que le joueur qui arrive à maturité et a d’autres prétentions puisse aller en BGL Ligue. Après sa formation avec nous, un de nos jeunes peut vouloir avoir d’autres expériences, notamment à l’étranger et au Luxembourg. Ça peut être gagnant-gagnant, ce ne sont pas les frontières qui devraient nous arrêter. On a déjà ce fonctionnement avec le FC Metz et on pourrait avoir un fonctionnement identique avec des clubs luxembourgeois. »
À la manière de Ryad Habbas, arrivé en prêt en provenance du Swift, François Ventrici verrait d’un bon œil le prêt de joueurs de BGL Ligue, notamment ceux qui ont un faible temps de jeu. « Hesperange travaille très bien, mais a beaucoup de joueurs qui ne jouent pas. On l’a déjà fait cette saison. Par exemple, un joueur sous contrat pendant 3 ans continuerait à jouer chez nous en prêt, à maintenir un certain niveau. S’il met vingt buts en National 3, il pourrait retourner dans son club et remplir les objectifs de celui-ci pendant encore deux ans. » Du côté de Thionville, les objectifs sont clairs : poursuivre son ascension et atteindre, à terme, le National. Un niveau qui en ferait rêver plus d’un et qui permettrait d’attirer encore davantage de joueurs, notamment du Grand-Duché. « Un club comme Thionville Lusitanos peut jouer en National. Ça mettra le temps que ça mettra, je mettrai l’énergie nécessaire et je ferai tout pour y arriver. Ce n’est pas de la science-fiction », assure François Ventrici. « Un budget pour se maintenir en National, c’est 2,5 millions d’euros, ça reste des budgets à taille humaine. On est loin de ceux stratosphériques que l’on peut voir en Ligue 1. Le National, pour une ville et un club comme le nôtre, c’est franchement réalisable, ça a été le cas dans le passé, où le club était en deuxième division dans les années 80. Il y a un public potentiel, avec 1 500 personnes à certains matchs. » Une affluence qui rendrait presque jaloux les clubs de BGL Ligue. Mais bon, on a dit que ce n’était pas un concours.
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