Il nous tardait de rencontrer le nouveau ministre des sports et du travail. Bourgmestre d’Esch sur Alzette, ancien professeur de sport, supporter assumé de la Jeunesse Esch, M. le ministre a donné dans Mental! son point de vue sur l’état du sport luxembourgeois. Sans langue de bois et avec passion.
Mental! : Monsieur le ministre, comment devient-on ministre des Sports ?
Monsieur le ministre Georges Mischo : Tout d’abord on doit faire de la politique ! Ma carrière s’est faite un pas après l’autre. Je me suis présenté aux élections communales pour la première fois en 2011, j’ai été premier remplaçant puis conseiller communal à Esch-sur-Alzette en janvier 2014, dans l’opposition face à la majorité LSAP et Déi Greng jusqu’au 8 octobre 2017, date à laquelle je suis devenu bourgmestre. Le 8 octobre m’a porté chance puisque ce fut aussi la date des élections législatives de 2023 grâce auxquelles je suis aujourd’hui ministre ! C’est une coïncidence mais je ne crois pas trop au hasard… Lors des législatives de 2018, je suis devenu député-maire, et cette année, mon parti le CSV m’a placé deuxième tête de liste : les résultats m’ont permis de faire parti des groupes de négociation pour la coalition avec le DP pour les cinq ans à venir. Comme je suis professeur d’éducation physique, le portefeuille des sports s’est imposé à moi de façon naturelle : c’est un peu un rêve qui devient réalité ! Je me suis toujours intéressé au sport, à son histoire : par exemple, je pense être au Luxembourg l’un des meilleurs spécialistes des Jeux Olympiques d’été ! Pour avoir mon diplôme, j’ai dû rédiger une thèse sur la géopolitique du sport : boycotts des jeux de Montréal en 1976 à cause de l’apartheid sud-africain, des jeux de Moscou en 1980 par les Américains à cause du conflit en Afghanistan, ou encore retour des pays de l’Est en 1984 à Los Angeles… Sans parler de la médaille d’or usurpée par la France au Luxembourg en 1900 : celle du marathonien Michel Théato, luxembourgeois de naissance mais licencié au Racing Club de France !
Comment se passe la passation ? Avez-vous été en lien avec votre prédécesseur Georges Engel ?
La passation s’est faite officiellement fin novembre, je n’ai pas vraiment eu l’occasion d’échanger avec mon prédécesseur mais les équipes en place me sont déjà connues grâce à mes fonctions, non seulement de maire mais aussi de délégué aux sports pour la ville d’Esch-sur-Alzette. Cinq de mes anciens élèves travaillent d’ailleurs au ministère des Sports, la direction du Sportlycée juste à côté est constituée d’anciens collègues et amis, Pascal Schaul et Yann Schneider : je suis en terrain connu avec un cercle de personnes qui sont parties prenantes dans la valorisation du sport au Luxembourg.
C’est le rôle du ministère : consolider les fondations du sport.
Pouvez-vous nous rappeler le rôle du ministère des Sports ?
Son rôle est avant tout de donner la direction générale de la politique sportive au Luxembourg : et en premier lieu définir quelles sont les bases. J’ai toujours tenu ce discours dans ma ville : j’étais très heureux lorsque la ville d’Esch-sur-Alzette s’est illustrée avec les fédérations majeures : handball, basket – et foot aussi avec le Fola… Même si j’ai parfois du mal à l’admettre en tant que supporter de la Jeunesse, je me dois d’être objectif avec tous les clubs. De la même manière, en qualité de ministre, je souhaite également soutenir des fédérations plus modestes ou peut-être méconnues, comme celles de pétanque ou d’indiaca. C’est le rôle du ministère : consolider les fondations du sport, constituées par les enfants et adolescents, prendre en compte les grands oubliés que sont les middle-agers [45-60 ans] et les seniors, ainsi que les personnes souffrant de handicap et les femmes. À partir de ces fondations, le sport au Luxembourg peut se construire et monter jusqu’aux athlètes de haut-niveau qui pourront prétendre à participer aux JO ou aux grands championnats internationaux. Cette construction pyramidale qui porte l’élite doit également s’accompagner d’outils pour nos athlètes de haut-niveau : c’est le cas du LIHPS (Luxembourg Institute for High Performance in Sports) financé et soutenu par le ministère.
Quels sont vos axes prioritaires de travail pour les cinq années à venir ?
L’un des grands thèmes du programme de l’enseignement des sports était le mouvement. La compétition n’est qu’une partie du sport et ne doit pas être une fin en soi. Je compte œuvrer pour que tout le monde ait envie de bouger et trouve son sport de prédilection et le pratique dans les meilleures conditions et avec les meilleures infrastructures possibles. Il faut également savoir rester réaliste : nous ne pourrons pas bâtir une piscine olympique dans chaque village du Luxembourg, mais nous avons à développer les outils qui permettront à chacun de profiter de l’existant.
En 2018, la part du budget de l’État allouée au sport était de 0,39 % ; aujourd’hui, c’est 0,21 %. Lorsque j’étais député, je réclamais 2 %, la moyenne dans les pays européens, et tous me riaient au nez.
Les budgets du sport vont-ils augmenter ?
Vous savez, ce qui me dérange le plus avec les politiciens, c’est que tous déclarent qu’il faut soutenir le sport, que c’est une question de santé publique, avec une douzaine d’arguments à l’appui. Mais lorsqu’il s’agit de soutenir financièrement le sport, ils tournent la tête et revoient l’ordre des priorités. Je ne peux pas tourner la tête. En 2018, la part du budget de l’État allouée au sport était de 0,39 % ; aujourd’hui, c’est 0,21 %. Lorsque j’étais député, je réclamais 2 %, la moyenne dans les pays européens, et tous me riaient au nez. J’ai l’espoir de croire que dans cinq ans, nous aurons au moins fait augmenter ce budget à 0,5 % voire 0,7 %… Nous voulons changer les choses. À titre de comparaison, en Norvège, toutes les recettes des jeux de hasard et de loterie nationale reviennent au sport. Nous savons qu’au Luxembourg, l’Œuvre Nationale de Secours Grande-Duchesse Charlotte privilégie des acteurs caritatifs et sociaux que nous ne voulons en rien priver de leur source de financement. Cependant, nous pourrions investir aussi de manière plus ciblée dans le sport, quand on connaît tous les bienfaits de la pratique sportive, y compris son impact positif sur la Sécurité sociale.
Pensez-vous alors envisageable de créer des ponts entre le sport et d’autres ministères comme la Santé, ou le Tourisme pour faire venir des usagers étrangers sur nos infrastructures ?
Bien sûr ! Le premier ministère où je vais me rendre sera évidemment celui de la Santé, car Martine Deprez a également à sa charge le portefeuille de la Sécurité sociale. Je veux travailler main dans la main avec elle pour avancer dans la même direction.
À qui une éventuelle augmentation substantielle des budgets de l’État vers le sport pourrait profiter ?
En premier lieu je veux renforcer les liens avec le COSL [Comité Olympique et Sportif Luxembourgeois] Pas seulement en prévision des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, même si c’est une opportunité formidable de promotion du sport et d’échanges avec les athlètes de haut-niveau qui pourront partager leur parcours et le travail acharné qu’ils ont fourni pour en arriver là. Les crises multiples que nous venons de traverser mettent vraiment en évidence le besoin accru de renforcer les valeurs du sport dans notre société : la discipline, le respect, le fair-play.
Malheureusement, nous ne pouvons pas encore dire que nous sommes un pays de sport.
Parmi ces valeurs, quelle place le sport peut-il prendre en faveur de l’intégration, de l’inclusion, ou encore de la parité qui vous tient à cœur ?
La parité hommes/femmes est déjà un sujet à Esch-sur-Alzette : 13 clubs sportifs ont d’ores et déjà signé la « Charte égalité femmes hommes dans le sport », et j’ai envie de copier ce qui fonctionne bien dans ma ville et l’appliquer à une plus grande échelle. Le travail énorme accompli sur Sport Handicap à Esch peut également être développé sur le plan national ; ceci vaut non seulement pour l’accès au sport des personnes handicapées, mais aussi pour la sensibilisation des valides au handicap en vue d’une médiatisation accrue des athlètes paralympiques.
Comment jugez-vous la place du sport dans la société luxembourgeoise ?
Malheureusement, nous ne pouvons pas encore dire que nous sommes un pays de sport. D’autres nations mettent davantage l’accent sur le sport, comme la Suisse, ou la Norvège très performante au niveau mondial et pas seulement sur les disciplines d’hiver : l’athlétisme, le handball, le tennis avec Casper Ruud ou encore le football avec Erling Haaland. Or ils ne sont pas 80 millions comme les Allemands ni 60 millions comme les Français : 5,5 millions d’habitants et de nombreux athlètes de stature internationale parmi les sportifs et sportives licenciés dès le plus jeune âge. C’est précisément mon ambition : donner le goût du sport aux tout-petits et aux adolescents, en leur proposant une multitude d’activités sportives.
N’est-ce pas une forme de « faillite » des politiques et des dirigeants sportifs du pays quand on sait que 23 % de la population luxembourgeoise est licenciée dans un club ?
130.000 licences sportives au Luxembourg pour 660.000 habitants, avec une population en constante augmentation, c’est considérable ! Rien que pour le football, ce sont désormais 44.000 licences. Mais nous devons confronter nos sportifs à nos voisins, Belges, Allemands et Français, sinon ils vont finir par s’expatrier là où le niveau est plus élevé. Un autre obstacle est celui du conflit entre la pratique sportive, avec ses entraînements contraignants, et les études nécessaires pour la jeunesse. Le projet du nouveau Sportlycée à Mamer est un excellent moyen de concilier les deux, mais ce genre de projet prend bien trop de temps.
Précisément, trouvez-vous que le sport luxembourgeois est suffisamment valorisé dans les médias ?
Je ne crois pas mais je me pose la question : comment faire pour le valoriser davantage ? Un seul magazine, Mental !, et c’est tout. Peut-être parce qu’il n’y a pas forcément de quoi en remplir d’autres ? J’ai fait 9 ans de freelance à RTL radio : il n’existe quasiment plus aucune retransmission en direct à la radio. J’en ai fait beaucoup en volley-ball, natation, triathlon (et même une fois en tennis de table…). Je regrette qu’on ait perdu cette culture du direct mais aussi de la radio. Probablement parce que financièrement, le sport local ne rapporte pas, et que sans subventions pour inciter à faire des unes sportives en dehors de l’équipe de football nationale, rien ne bougera.
Nous constatons d’ailleurs un manque de compétence marketing au sein des fédérations et clubs sportifs du pays, et un manque de visibilité dans les médias : quelle action le ministère des sports peut-il enclencher pour combler ce déficit d’image ?
Vous avez raison sur l’analyse mais je ne crois pas que cela relève du périmètre de financement du ministère des sports. Je regrette qu’il n’y ait pas un deuxième Mental !, car si vous regardez les pages sportives de Tageblatt, du Wort ou dans Le Quotidien : c’est de plus en plus superficiel et lapidaire.
Ne pas avoir de médaillé olympique luxembourgeois depuis 71 ans est terriblement frustrant. 2024 peut être une belle année.
Le sport luxembourgeois peut-il selon vous continuer sa progression et espérer obtenir des résultats probants comme une médaille aux JO ou une qualification dans une grande compétition internationale ?
Je l’espère ! J’aspire à être le premier ministre des Sports depuis des décennies à accueillir un ou une athlète médaillée olympique ! Nous passions tout juste à côté d’une médaille avec Andy Schleck à Pékin 2008 puis la judokate Marie Müller à Londres 2012. À notre palmarès figurent seulement cinq médailles olympiques, jeux été et hiver confondus, dont les deux dernières remontent à 1992 avec Marc Girardelli qui représentait le Luxembourg. Ne pas avoir de médaillé olympique luxembourgeois depuis 71 ans [NDLR : médaille d’or pour Josy Barthel en 1952 à Helsinki sur 1500m] est terriblement frustrant. 2024 peut être une belle année. Lorsqu’on regarde les performances de Bob Bertemes dans les petits meetings, il pourrait certainement viser une médaille. Patrizia Van der Vecken est très talentueuse mais le 100m est tellement compétitif face aux Jamaïcaines et Américaines… Vera Hoffmann et Charles Grethen vont aussi jouer leur carte en athlétisme, tout comme nos cyclistes et pongistes, le niveau des séries est par contre vraiment très élevé.
Et la qualification pour l’Euro 2024 de football ? Comment appréhendez-vous les barrages à venir pour l’équipe nationale du Luxembourg ?
J’aimerais vraiment voir la finale de ces barrages à domicile. Tous les pays ont au fil du temps une génération en or : les Belges étaient sur-performants pendant plusieurs années, même sans gagner de titre, les Français évidemment, les Allemands, et les Portugais. Je crois bien que le moment pourrait être venu d’un âge d’or du Luxembourg… Il suffit que la chance nous sourie en Géorgie.
Qu’en est-il du Musée du sport ?
Je suis toujours partant pour ce projet, surtout à Esch-sur-Alzette : une division au ministère travaille sur ce thème. Il reste un problème d’urbanisme pour une question de zone non constructible à côté d’une autoroute. Je veux en discuter avec le ministre des Transports car il s’agit d’un projet très important à la fois pour encourager les jeunes à la culture et au sport, et afin de mettre en valeur de manière interactive notre patrimoine si riche pour un petit pays.
Quel sport pratiquez-vous, s’il vous reste encore du temps ?
Je fais régulièrement, deux à trois fois par semaine, de la musculation pour évacuer le stress. Mes équipes à Esch et au ministère sont prévenues : si on ne me dégage pas des créneaux pour défouler mon trop-plein d’énergie, je deviens un tigre !
Quelle équipe soutenez-vous ?
La Jeunesse d’Esch d’abord, puisque j’y ai joué ! Mais je suis aussi un très grand fan du Handball Esch, club dont j’ai été vice-président. Au niveau international, je suis membre du Bayern Munich et me déplace parfois à l’Allianz Arena en profitant d’un week-end bavarois avec mon fils.
Simon BEOT – Marco NOEL
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