Souligné par de magnifiques images et un travail de plus de 150 interviews et d’archives, le propos du documentaire Um Ball s’inspire du constat amer d’ancienne joueuse de la réalisatrice et journaliste : le football, c’est pour les garçons. Entretien avec Tessy Troes, fan inconditionnelle de foot féminin.
On a pu lire beaucoup de versions différentes sur l’origine de ton film. D’où t’est venue l’idée de Um Ball ?
Tessy Troes : D’abord avec mon propre passé. Quand j’avais 9 ans, je rêvais de jouer au foot dans mon village, mais on m’a dit : « les femmes ne jouent pas au foot ». Ce fut ma première motivation! Puis en 2019, j’ai couvert la Coupe du monde en France comme journaliste, et j’ai adoré l’atmosphère, l’ambiance, qui m’a rapprochée encore plus du foot féminin avec la meilleur version de ce sport. J’y ai découvert une brochure de la FIFA qui présentait des résumés par pays du football féminin. J’ai été surprise d’apprendre que le premier championnat s’était tenu en 1972 alors que j’étais persuadée comme beaucoup que la Ligue 1 Dames avait débuté dans les années 2000! Lorsque l’année suivante Esch2022 a lancé son appel à projets, je me suis dit que l’occasion était parfaite : 50 ans d’histoire, 50 ans de foot féminin, une bonne excuse pour faire mes recherches.
Quels ont été les obstacles auxquels tu as été confrontée lors de son écriture et son tournage ?
Écrire un film a été un nouveau défi! Le financement n’était pas un problème. Le plus difficile a vraiment été d’obtenir le support de la fédération, j’ai dû relancer plusieurs fois pour avoir des informations, tout est difficile avec la FLF. Les choses ont changé depuis l’arrivée de Dan Santos à la tête de la sélection féminine. Il était beaucoup plus ouvert à la cause des femmes car il voyait la nécessité d’un marketing pour son travail. Avant lui, c’était très compliqué, de trouver les infos, les gens, sans source officielle. J’ai vraiment dû reconstruire le fil à partir des histoires individuelles.
Tu n’as pas eu de mal à faire témoigner les anciennes ?
Quand tu regardes le film, tu remarques que la plupart du temps les intervenantes sont deux ou trois à l’écran. Souvent, c’était leur souhait pour ne pas être seule. Normalement, le réalisateur fait les pré-recherches puis les entretiens ; mais avec ce film parfois on a dû mélanger recherches et entretiens en même temps car les personnes interviewées étaient celles qui avaient les infos!
Comment expliques-tu la faible exposition du football féminin dans notre pays ?
Pour moi il y a trois coupables : les clubs, les médias et la fédération. Même s’il y a toujours des volontés individuelles qui font beaucoup, ce n’est pas la majorité. Il existe des clubs où tout est annoncé, où les femmes ont le même nombre de spectateurs que les hommes, mais la plupart du temps, les femmes jouent sur le petit terrain synthétique sans tribunes. Le président du Fola a annoncé qu’il souhaitait changer cela et c’est une bonne nouvelle. Pour les médias, cela me fâche toujours de constater qu’ils parlent de ligue française, anglaise, allemande des hommes, et même pas des femmes de notre propre pays. Il faut bien comprendre que la plupart des journalistes sportifs sont des hommes… Enfin, la fédération ne traite absolument pas le foot féminin à la mesure du foot masculin. Ils disent qu’ils le développent davantage, mais cela prend trop de temps et les avancées sont très faibles par rapport à ce qu’on pourrait faire si on mettait les mêmes moyens qu’avec les hommes.
Est-ce que le niveau de la Ligue 1 Dames est à mettre aussi en cause ?
C’est sûr que ce n’est pas le niveau le plus attractif, tout le monde est d’accord avec ça. Mais il y a eu tellement de progrès, surtout dans les clubs qui prennent la formation au sérieux : il y a une génération qui éclot qui a des mécanismes de jeu et des automatismes qu’avant il n’y avait pas. Nous sommes dans une phase de transition, car on fait émerger des joueuses extrêmement talentueuses qui veulent légitimement aller à l’étranger. C’est un risque à prendre car c’est bon pour le foot en général. L’attractivité du championnat est aussi à mettre en relation avec la différence de niveau entre les deux clubs qui ont beaucoup plus de ressources et les autres qui offrent moins de spectacle. C’est pour ça que j’ai une affection particulière pour la Coupe des dames, car sur des matchs à éliminations directes, tout peut arriver : quand Ell a éliminé Hesper en décembre, c’est une chose qui ne serait pas arrivé en championnat. Les matchs de Mamer apportent aussi souvent de l’émotion.
L’organisation des rencontres le même jour à la même heure ne facilite pas la couverture médiatique. Les clubs selon toi pourraient-ils faire pression pour obtenir un calendrier plus étalé sur le weekend ?
Je n’avais jamais pensé à cette option, car quand j’étais joueuse, tous les matchs étaient en même temps et c’était comme ça, c’était normal. Mais oui, parce que ça permettrait de couvrir plus de matchs. Je crois que la commission de calendrier n’en a jamais parlé, mais il faudrait le leur suggérer. D’autant que si on arrive à l’obtenir pour les hommes, cela pourrait impacter les horaires de matchs des femmes.
« Le manque de reconnaissance est évident. »
On peut penser également au sponsoring qui fonctionne pour la BGL Ligue. Aimerais-tu voir un sponsor s’engager pour le championnat féminin ?
Je ne suis pas fan personnellement de la commercialisation du sport. Mais lorsque j’ai vécu en Espagne, j’ai constaté que l’arrivée de Iberdrola [NDLR : sponsor de la D1 femmes à partir de 2016] a changé beaucoup de choses, car ce ne sont pas uniquement les clubs riches qui ont pu en profiter mais tous les clubs féminins. Donc, cette approche est intéressante, mais n’oublions pas que la FLF est la plus riche fédération du Luxembourg et a encore des réserves!
Dans ton film, tu laisses aussi la parole à la fédération qui acte les changements mais est dans la réaction plutôt que dans l’action, souvent à retardement. Pourquoi la FLF freine-t-elle autant l’évolution du foot chez les femmes ?
Le manque de reconnaissance est évident. On pourrait être tenté d’y voir une manifestation d’un ancien patriarcat… Effectivement, ils réagissent quand ils le doivent, quand il y a une directive de l’UEFA, mais presque jamais de leur propre initiative. Je crois que le parcours de la sélection va changer les choses, car les hommes ont réussi à se représenter au plus haut niveau, donc on peut en conclure que si la fédération investit, il y a un retour. J’espère qu’ils vont l’appliquer au foot féminin, mais j’ai l’impression que personne à la FLF n’arrive à cette conclusion. La fédération a énormément de travail, je pense qu’ils ne veulent pas s’encombrer à repartir d’aussi loin et consacrer du temps, de l’argent et de l’énergie à professionnaliser le foot féminin. Si la sélection nationale dames fait une performance, là le discours changera. Et entre le discours et les actions, il y a toujours une dissonance… Avec le nouveau staff, il y a quand même du progrès, avec des catégories U13 et U15 par exemple. Et ce sont encore des initiatives portées par des individus, et pas par la fédération en tant que collectif.
Tu pointes du doigt les médias sportifs. Vers quelle part de traitement du foot féminin faudrait-il tendre au niveau de la couverture médiatique ?
Il faut se poser la question autrement : quelle part réserver au foot masculin non professionnel par exemple ou de même niveau, et l’appliquer aux femmes. Je pense que la solution des quotas peut accélérer les changements dans l’opinion mais le sujet est souvent délicat. La première chose à faire est de traiter la Ligue 1 Dames avec une publication de tous les résultats, une visibilité des meilleures joueuses, et une couverture des compétitions internationales. Ce serait déjà très bien si on avait le même traitement que la Promotion d’honneur. Le ministère de l’égalité des chances s’est positionné sur ce sujet, pas seulement à propos du foot, mais du sport féminin en général : la couverture médiatique doit s’étendre pour trouver un meilleur équilibre. À l’heure actuelle, viser le 50/50 est un objectif irréalisable. Avoir un rapport de 2 pour 1 est déjà plus raisonnable.
« Il y a toujours des commentaires sexistes. »
Actuellement il n’y a qu’un seul arbitre officiel pour les matchs de l’élite Dames. Tu n’as pas abordé ce problème récurrent et manifeste dans ton documentaire : parce qu’il fallait faire des choix ou par manque de solutions concrètes ?
(Rires) Un peu des deux! J’ai raté une belle occasion, car à deux ou trois mois de la première du documentaire, j’ai rencontré une femme arbitre très mécontente. Comme le film aborde déjà de nombreux sujets, l’inclure à la dernière minute était compliqué mais je regrette de ne pas l’avoir mis dans le documentaire. Elle officiait en division féminine, puis en Promotion d’honneur hommes, toujours en assistante. Elle a contacté la fédé pour passer arbitre principale chez les dames car le foot féminin l’intéressait plus. La FLF lui a répondu : « tu ne peux pas faire ça, on n’aime pas les arbitres qui ne sont pas ambitieux : la ligue dames c’est au même niveau que les minimes pour les arbitres ». Je trouve que c’est un bon résumé de l’état d’esprit de la fédération.
Tu as de mauvais souvenirs avec l’arbitrage ?
J’ai eu affaire comme joueuse à des arbitres vraiment horribles, qui faisaient des commentaires sexistes. Je me souviens d’une fois où je réclamais un hors-jeu et demandais à l’arbitre pourquoi il ne l’avait pas vu. Il me répond : « c’est normal, je regarde autre chose quand les femmes jouent… » Il y a toujours des commentaires sexistes. Le niveau de ce genre de réflexions n’a pas vraiment changé, le niveau général des arbitres qui officient chez les femmes non plus. C’est un débat difficile, car être arbitre est extrêmement compliqué. Les critiquer ne me paraît pas être constructif, mais c’est le travail et la responsabilité de la fédération pour trouver, former et accompagner les arbitres.
D’après toi, les matchs à domicile de la sélection nationale féminine doivent-ils se dérouler au stade Emile Mayrisch du Fola ou au Stade du Luxembourg ?
Je milite pour le stade du Luxembourg ! Je suis sûre que les femmes peuvent le faire remplir si on met les moyens en terme de communication. Bien sûr, on peut commencer avec le stade du Fola parce que les tarifs sont plus abordables et l’ambiance plus facile à obtenir, mais après c’est une question de marketing.
« Je suis convaincue qu’il va y avoir un grand changement. »
Lors de la dernière cérémonie du Dribble d’Or, Amy Thompson avait été récompensée. Quelle joueuse est ta favorite pour la prochaine édition ?
En tant que supporter du FC Ell, je dirais forcément Johanna Koenig, qui apparaît aussi dans l’introduction du film. J’aime vraiment sa vision du jeu. On voit qu’elle est passée par un centre de formation en Belgique. Amy est toujours un bon choix, elle a un instinct pour marquer des buts qu’on ne voit pas ailleurs en Ligue 1 Dames. Je suis très contente qu’elle veuille continuer à jouer.
Quel est la prochaine étape dans ton engagement pour la cause du foot féminin ?
À la sortie du film, on attendait beaucoup le prochain. Souvent je me mets à filmer quand je vais assister à un match en extérieur comme en futsal. Avec le monteur de Um Ball, on en a parlé. On pourrait enregistrer des images pendant les dix ans à venir et voir après, parce qu’on est convaincu qu’il va y avoir un grand changement. Lors du 352 Football festival qui a eu lieu en juillet 2023, j’ai rencontré d’autres personnes avec qui je suis en discussion pour de prochains reportages, mais pas encore de plan d’action. On aimerait bien collaborer avec eux, et avec le Club House de Dribble peut-être!
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