L’ancien joueur et vice-capitaine d’Hesperange qui avait participé à la grève en février pour réclamer les salaires impayés est solidaire avec le mouvement actuel du vestiaire du Swift. En espérant une prise de conscience collective… Entretien.
Tu as été contacté par l’ensemble des services sports des médias luxembourgeois : es-tu devenu une référence en matière de grève ?
Clément COUTURIER : (Rires) C’est clair ! Je n’avais pas de nouvelles du Luxembourg depuis des mois et là, il y a une grève, tout le monde m’appelle ! Je me suis dit : « Pourquoi ? Pourquoi moi ? » (rires)
Justement, à ton avis, pourquoi toi ?
Je pense que je sers de référence par rapport à l’année dernière, le fait qu’on avait été mis de côté après ce qui s’était passé. Et aussi surtout parce qu’aucun joueur actuellement au club ne veut parler : ils ont peur notamment des représailles s’ils parlent. Moi, même s’ils me doivent de l’argent, le procès a déjà eu lieu, donc je n’ai rien à craindre.
Comment tes partenaires à Villefranche jugent-ils ce qui se passe au Luxembourg ?
Je me tiens informé des actualités et hier dans les vestiaires, je leur ai dit qu’il se passait un truc de fou dans mon ancien club : tout le monde était surpris, c’est quand même un fait rare ! Mais voilà, je leur ai expliqué que c’était ça, le Luxembourg…
Pour mieux comprendre comment le vestiaire en est arrivé là, peux-tu nous expliquer ce qui s’est passé le 3 février 2024 quand vous aviez choisi de ne pas jouer l’amical à Mondorf ?
On attendait des arriérés de salaires : il y avait plusieurs mois de retard, et pour certains joueurs cela devenait très compliqué. C’était vraiment un élan collectif, il ne s’agissait pas juste de deux têtes Stolz et Couturier [NDLR : le capitaine et le vice-capitaine avaient été mis au placard, tenus responsable de la fronde] qui disaient à tout le monde « Nous on veut arrêter, suivez-nous ». Non, c’était vraiment tout le monde dans le même bateau, à part trois ou quatre qui avaient peur des représailles, le reste on était tous d’accord. Et quelques jours après, on avait été payé…
Faire grève de l’entraînement ou ne pas jouer un amical pour protester, cela s’entend, mais de là à mettre en péril le club sur le plan sportif, est-ce que tu comprends ce qui pousser tes anciens coéquipiers à prendre ce genre d’extrémités ?
Oui, totalement. Je les comprends, parce que ça veut dire que la situation est grave. Je ne parle même pas de l’aspect sportif, car quand on est joueur, on pense aux conséquences : ils savent très bien que ça devient compliqué pour le titre et même les places européennes. Bien sûr que mettre en danger la situation du club, c’est difficile. Mais ça veut dire que la situation personnelle de certains joueurs est mise en péril. Et là je parle de payer les loyers, les factures, pour vivre au quotidien ! Je pense que ça a été un ras-le-bol général, et pour des joueurs qui sont au club depuis plusieurs années, ils en ont eu marre. J’ai eu certains joueurs personnellement au téléphone, y compris qui sont arrivés cet été, et ils ne s’attendaient pas à ça : ils regrettent forcément…
Pour que le grand public se rende compte qu’on est très loin des sommes mirobolantes associées habituellement au foot, quelle est la fourchette du salaire moyen ici ?
Franchement c’est difficile à dire car au Luxembourg, certains touchent 500€/mois, d’autres 3 ou 4000€. Et même dans ces montants, on est loin d’être millionnaires ! Même les rares qui gagnent 5000€, s’ils sont payés en temps et en heure, tout se passe bien… Mais cela reste une minorité, surtout depuis quelques années où la situation des clubs est compliquée. Quand tu gagnes 2000€/mois, que c’est ta seule source de revenu et que le salaire ne tombe pas depuis trois mois, tu fais comment pour payer ton loyer, pour nourrir ta famille ? Ce n’est pas possible ! Et c’est dommage parce qu’on ne parle même plus de football alors qu’on a le plus beau métier du monde.
Dans quelle mesure crois-tu que les deux défaites consécutives, en championnat contre Dudelange et en coupe contre le Racing, ont joué sur le versement des salaires ?
Je ne suis ça que de loin, je ne connais pas la situation de cette année, mais oui c’est possible… Je sais que l’année dernière, on nous promettait : « gagnez, et vous verrez vous aurez les salaires ! » Parfois ce n’était pas le cas, mais de toute façon ce ne sont pas des conditions pour toucher son salaire. Il y a des primes de match pour ça : si tu perds, tu n’as pas de prime, mais dans mon contrat, j’avais un salaire mensuel fixe.
Lors de notre enquête sur les finances des clubs, nous avions mis le doigt sur la pratique des contrats de louage d’ouvrage mise en oeuvre notamment à Hesperange, faisant des joueurs non plus des salariés du club mais des indépendants : cette situation donne-t-elle finalement un sentiment de liberté aux dirigeants de payer les joueurs au résultat ?
Non, ou en tout cas ça ne devrait pas : le type de contrat de louage d’ouvrage est particulier mais a la même valeur qu’on contrat de travail ! Dans mon contrat de louage, il est écrit qu’il y a un versement mensuel auquel s’ajoute des primes de résultat. Si les clubs ont envie de faire signer des contrats où il n’y a pas de salaire mensuel mais des primes de résultat, libre à eux, mais si dans mon contrat il y a un salaire fixe, il faut le payer ! Je ne comprends pas comment on peut ne pas honorer un contrat.
On peut imaginer que si tu as dû aller jusqu’à faire valoir tes droits auprès des plus hautes instances via l’UNFP, comme Kilian Le Roy auprès du Racing ou Maurice Deville déjà contre le Swift après leur licenciement abusif, c’est qu’il y a un vrai problème de législation du travail ici ?
Je ne suis pas sûr que ce soit spécifique au Luxembourg. Dans d’autres pays, notamment dans les pays de l’Est, il y a des problèmes de financement qui obligent à passer par la FIFA pour être payé quelques mois après. N’importe quel employeur doit payer ses employés : ce n’est pas spécifique au football ! Quand il y a un contrat de travail entre un club et un joueur, c’est la même chose que dans le monde des médias ou de l’entreprise en général : on doit recevoir nos salaires. C’est fou qu’un footballeur doive passer par la FIFA pour obtenir son argent, on devrait être considérés comme des employés normaux !
Visiblement, le refus d’octroi de la licence UEFA notamment pour des « arriérés de paiement envers le personnel du club » n’a pas suffi pour améliorer la gestion interne au Swift. Si être privé d’Europe (et des subventions qui vont avec) n’est pas suffisant, peut-on s’attendre à ce que les joueurs aillent au bout de leur démarche et risquent l’exclusion d’Hesperange du championnat ?
J’espère qu’il y a aura des discussions, ou des négociations, en tout cas quelque chose qui va se passer et qui fera que les joueurs n’aient pas besoin d’aller jusque là. J’espère vraiment que des salaires vont être versés, et si ce n’est pas le cas, que la fédération mette son nez dedans, parce que ce n’est pas possible de mettre des employés dans cette situation. Comment c’est possible qu’un club qui a été sanctionné par l’UEFA, par la FIFA, continue de ne pas payer ses employés ou prestataires et que la législation luxembourgeoise ne dise rien ?! En arrivant au Luxembourg, jamais je ne me serais dit qu’il y aurait des problèmes d’argent…
Et pourtant, le Swift n’est pas le seul club concerné par des arriérés de paiement, on pense notamment à la Jeunesse où cela a été le cas l’an passé… Vous en avez parlé entre joueurs de clubs différents ?
Oui, je sais qu’à la Jeunesse ça ne payait pas non plus depuis plusieurs mois, mais le problème c’est qu’au Swift, 95% de l’effectif est professionnel. Pour la plupart des joueurs de la Jeunesse, ce n’est pas le cas : leur salaire de footballeur vient donc en supplément de leur emploi. Quand le club ne paie pas ce supplément, ils ont quand même l’argent de leur travail. À Hesperange, on était quasiment tous professionnels : c’était notre seul revenu ! Je me levais tous les matins pour aller au travail au club. Et quand à la fin du mois tu n’as pas ton unique source de revenu, ce n’est plus possible. Franchement, on a été des grands professionnels, plus d’une autre équipe aurait craqué avant…
En un mot comme en cent, quel est le problème à Hesperange ?
Au-delà des personnes, ça vient des méthodes employées. C’est tout un fonctionnement qui est à revoir: on a l’impression que le club est géré n’importe comment. Le club se veut ambitieux, se dote de joueurs qui viennent du milieu professionnel, c’est très bien. Mais il doit faire le nécessaire derrière pour être professionnel.
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