Jonglant entre son rôle d’entraineur et de directeur des opérations du Rugby Club Luxembourg, Antoine Alric revient avec nous sur sa vision du rugby et de son club, évoluant en première division allemande, ainsi que les relations froides entretenues avec la fédération. Interview avec l’homme à tout faire du RCL, qui n’a pas sa langue dans sa poche.
Pouvez-vous nous raconter le contexte un peu particulier dans lequel le club est monté en Bundesliga la saison passée ?
Effectivement, le contexte était particulier pour la simple et bonne raison que nous n’avons pas eu de championnat, à cause de problèmes d’organisation avec la ligue allemande. On monte finalement en première division grâce à un forfait en première division et une équipe qui avait décidé de repartir en division inférieure, ce dont nous avons pu profiter pour jouer un tournoi qualificatif et obtenir notre promotion en première div.
Vous avez malgré tout pu jouer quelques matchs amicaux pour maintenir le rythme ?
Nous avons pu jouer quelques amicaux, mais c’est quasiment une saison blanche. Nous avons joué contre Metz ou encore l’équipe nationale de Jamaïque, Cologne également mais ça ne crée évidemment pas la même émulation qu’un championnat.
« J’essaie de créer une notion de culture club pour que nous ayons d’autres accomplissements qu’être le premier club de Luxembourg »
Ça n’a pas été trop compliqué de maintenir tout le monde concerné ?
Si forcément. D’autant plus que nous avons beaucoup d’expatriés dans notre équipe, ce qui veut dire qu’ils sont avant tout là pour le travail. Et quand il n’y avait pas d’engagement sur des compétitions, les joueurs n’étaient pas forcément là les week-ends. J’essaie de créer une notion de culture club pour que nous ayons d’autres accomplissements qu’être le premier club de Luxembourg, mais que les gens adhèrent aussi à une philosophie, ce qui met du temps à se mettre en place. Nous avions donc malgré tout 24-25 joueurs à chaque entrainement en moyenne. On a réussi à ne pas perdre tout le monde, mais une deuxième saison dans la même veine aurait été plus compliquée.
Avec la montée en première division allemande, avez-vous vu une augmentation de l’assiduité aux entrainements, une augmentation des licences prises au club ou autre ?
C’est assez paradoxal car nous avons moins de licences en termes de volume étant passé de 70-80 licences pour une soixantaine cette saison, mais le taux d’engagement est beaucoup plus important, avec des entrainements entre 35 et 45 joueurs en moyenne, ce qui nous permet de travailler de manière qualitative. La transition s’est faite assez naturellement, puisque l’on a gardé le rythme de deux entrainements par semaine ainsi qu’un Captain’s Run* la veille de match.
N’est-ce pas trop compliqué de gérer autant de joueurs à l’entrainement ? Avez-vous un staff sur lequel compter pour vous épauler ?
Je suis directeur des opérations du rugby et j’ai donc la responsabilité de la stratégie sportive et de l’entrainement des seniors. Avec moi, j’ai un entraineur joueur qui va principalement s’occuper du travail d’avants (conquête, touche, mêlée) et nous avons un ancien joueur qui nous a rejoint : il me file un coup de main et commence à prendre de plus en plus de responsabilités. On a également quelqu’un qui nous a aidés sur la préparation physique cet été et qui ajoute une séance en salle pour certains profils.
Comment se passent les relations avec la fédération nationale : on sait que les relations n’ont pas été toujours au beau fixe ?
Pour le contexte, le rugby est très anonyme car nous avons une fédération peu active, et c’est donc compliqué de grandir. Ce qui est difficile aujourd’hui au Luxembourg, c’est de créer une dynamique pour promouvoir le rugby au Luxembourg.
Pour être très honnête, nous n’avons pas de relation avec la fédération. J’avais commencé à mettre cela en lumière à la fin de l’année dernière, car nous avons été complètement abandonnés par la fédération durant cette année compliquée. Les échanges avec le DTN sont inexistants et les actions mises en place sont quasiment inexistantes aussi, en dehors de celles organisées par l’état qui se comptent sur les doigts de la main. Il y a effectivement des dates internationales qui se chevauchent. La fédération veut des résultats avec l’équipe nationale dans des compétitions que j’avais qualifiées de « trophées Mickey », ce qui m’avait valu les foudres de la fédération à l’époque. La réalité est que nous avons beaucoup de potentiel au Luxembourg, car nous n’avons pas de vrai sport locomotive. Même le football n’attire pas 4000 personnes les week-ends dans les stades. Nous pourrions donc devenir ce moteur pour le sport luxembourgeois, mais avec une fédération inexistante et une direction sportive qui prend des décisions complètement aberrantes, c’est compliqué pour nous de trouver une cohérence. J’avais essayé de mettre en place un dialogue à l’époque mais ça n’a pas marché, donc j’ai arrêté.
Qu’est ce qui vous pousse à continuer malgré ce sentiment d’être mis de côté ?
C’est simple, je suis passionné. Le rugby est plus qu’un sport pour moi. C’est une activité tellement complexe et en perpétuelle évolution, ce que je trouve passionnant et captivant. J’aime faire évoluer ma vision, la transmettre à des joueurs. Au club, j’ai une casquette un peu plus opérationnelle, puisque je m’occupe de l’organisation des évènements, ce qui apporte un côté business. Je pense que je suis aussi un éternel utopiste et j’ai donc envie de croire que les choses peuvent changer dans le futur, même si ça sera un long travail.
Et d’un point de vue financier, sachant que les joueurs ne sont par exemple pas payés, pensez-vous que le club saura se pérenniser en Bundesliga ?
Nous sommes dans un pays où le PIB par habitant est le plus important de l’Union Européenne et où le gouvernement vient d’annoncer qu’il allait augmenter le budget de toutes les fédérations, on commence à devenir attrayant pour des sponsors… Mon objectif est de trouver tous les moyens possibles pour pérenniser de manière organique la croissance du club. Ça passera par développer des nouveaux services, en développant une partie business par exemple. Ça passera aussi par le développement d’une boutique, en faisant sortir notre logo du simple cadre du club. Il y a pleins d’axes de développement sur lesquels on travaille actuellement et qui vont d’ici quelques années nous faire passer dans une autre dimension.
Vous parlez « d’autre dimension », quelles sont vos ambitions pour le club ?
Tout d’abord, j’ai proposé au club, lors de mon arrivée il y a deux ans et demi, un premier cycle de trois ans qui nous amène à être en première division. Je pense que nous sommes en bonne voie pour nous maintenir cette saison. J’aimerai donc lancer un deuxième cycle dans lequel nous deviendrions une équipe qui compte dans le championnat. Et ensuite, à long terme, j’ai envie de faire du club la première organisation sportive à Luxembourg, pas forcément en s’appuyant que sur le rugby, mais en pensant multisports, afin que le RCL devienne une place forte du sport national. Et puis pour revenir au terrain, j’ai également envie de développer du jeu attrayant, afin que les joueurs adhèrent au projet et qu’il y ait un vrai challenge lorsqu’ils viennent à l’entrainement.
Le rugby est un sport en perpétuelle évolution : la Bundesliga se conforme-t-elle aux recommandations de World Rugby ?
Sur la quasi-totalité des points, oui. Il n’y a pas de règle particulière comparé au rugby que l’on peut voir à la télévision. Pour les différences, on ne va avoir que 22 joueurs sur la feuille de match. Et ensuite, ça sera surtout au niveau des règlementations administratives, comme le fait d’avoir 10 joueurs éligibles pour la sélection sur la feuille de match, ou encore le fait que le joueur doive être enregistré avant le 25 janvier pour pouvoir jouer en deuxième partie de saison par exemple.
On sent que vous êtes très impliqué dans ce projet à travers vos réponses, mais qu’en est-il de vos ambitions personnelles ? Peut-être retrouver le monde professionnel ?
J’ai effectivement travaillé dans des organisations professionnelles par le passé (Racing 92, Stade Nantais). J’aurais pu repartir, en France ou ailleurs, mais être au Luxembourg aujourd’hui me permet de développer une vision et de pouvoir l’appliquer à une organisation de quasiment 700 personnes, ce qui est assez extraordinaire, alors que repartir à l’étranger m’aurait fait un intégrer un projet qui n’est pas forcément le mien, avec des idées qui ne sont pas forcément les miennes. Ce que m’offre aujourd’hui le RCL, c’est bien plus que l’activité rugby. On m’a offert une confiance pour développer un projet, et de mon côté j’essaie donc de développer quelque chose qui me survivra. Et pour le moment, je suis assez satisfait de ce que l’on fait, on commence gentiment à mettre le Luxembourg sur la carte du rugby mondial.
Vous avez évoqué les soucis avec la fédération, st-ce que vous ambitionnez peut-être d’arriver dans cette instance pour potentiellement faire bouger les choses ?
Je ne pense pas être en position aujourd’hui de m’occuper de la direction technique, je ne vais pas être prétentieux. Par contre, je pense être en position de pouvoir donner des conseils et travailler avec, afin de faire progresser la chose de manière globale. Nous avons aujourd’hui des gens sur le territoire luxembourgeois qui ont beaucoup d’expérience à très haut niveau et qui seraient totalement pertinents pour le poste. Le rugby a une bonne image aujourd’hui avec les JO et tout ce qu’on sait, mais il pourrait être tellement plus haut que ça.
*un Captain’s Run est une séance d’entrainement dirigée par le capitaine de l’équipe plutôt que par un entraineur.
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