Branle-bas de combat du côté du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse : contre toute attente, l’activité physique a enfin été reconnue comme une arme pour lutter contre le fléau des écrans mais aussi contre l’obésité. Un revirement bienvenu qui place le sport en vecteur de santé, moteur de lien social et d’inclusion.
Après des années d’atermoiement gouvernemental au pays et le recul-frein chez nos voisins allemands et français, il restait peu d’espoir de voir le sport luxembourgeois prendre un virage positif. Et pourtant ! Un budget en hausse pour le ministère des Sports et une décision radicale du ministère de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse laissent entrevoir la sortie du tunnel. Retour sur un premier trimestre 2025 qui pourrait changer la donne.
Si l’accord de coalition du gouvernement 2023-2028 prévoyait bien des « analyses ciblées pour évaluer les pratiques dans des domaines de l’activité physique ou l’alimentation saine », louables et saines intentions, seules quelques lignes y marquaient la volonté concrète de lutter contre l’inactivité chez les enfants : « Pour lutter contre le manque d’activité physique chez de nombreux enfants, les initiatives comme « Bewegte Schule » seront renforcées. Dans le même ordre d’idées, les structures de l’éducation non formelles seront encouragées à développer des programmes et projets similaires. »
À la rentrée scolaire 2024, le ministre Claude Meisch avait mis l’accent sur plusieurs aspects de la prépondérance du digital dans le quotidien des enfants et lancé sa « Screen-Life-Balance » comme priorité nationale : «Les effets sur nos enfants de l’utilisation excessive du smartphone et des médias sociaux m’inquiètent. De plus, le temps passé à regarder son smartphone est souvent du temps perdu. Du temps qui fait ensuite défaut pour les autres activités qui sont essentielles au développement sain des enfants. Ce qui importe, c’est le bon équilibre entre l’univers digital et la vie réelle ou analogique. Pour atteindre cet équilibre, nous avons besoin de règles claires. À la maison. À l’école. Dans la société.» Un constat lucide et sans appel mais un programme axé sur le multilinguisme qui ne citait jamais explicitement l’activité physique.
Aussi, quand fin février 2025 le même ministre, en poste depuis plus de onze ans, présentait son plan pour combattre les écrans par le sport, tout le monde fut pris de cours : les médias, la classe politique, et les enseignants, premiers concernés. Dès le lendemain, un communiqué de presse du Syndicat de l’Éducation et des Sciences de l’OGBL (SEW/OGBL) dénonçait effectivement une « approche fondamentalement louable, mais [qui] se fait au détriment de l’enseignement des langues ». Car parmi les mesures du ministre DP ciblant une « distance physique » entre l’élève et son smartphone et les réseaux sociaux, l’ajout de cours d’EPS au programme du secondaire classique et général n’est pas passée inaperçue. En tout, le ministère annonce trois heures d’éducation physique de la 7e à la 5e au lycée. Soit une de plus en 6e et 5e à partir de la rentrée 2025-2026. Forcément, il a fallu faire de la place. Et le SEW de calculer : « une heure d’allemand et une heure d’anglais devraient être supprimées en 6e et 5e classique en introduisant un cours de sport supplémentaire. En 6e et 5e général, l’enseignement sportif supplémentaire devrait se faire au détriment des cours de français. (…) » Or, le multilinguisme apparaît s’imposer comme un atout majeur dans le cursus scolaire selon le syndicat qui préconise à la place de ces cours de sport « des projets de lecture ». Sa crainte ? « Moins d’enseignement des langues s’accompagnera inévitablement d’une diminution des compétences linguistiques et (…) garantira moins d’opportunités éducatives. »
Claude Meisch a justifié cette position tranchée : « Si nous ne voulons pas d’une génération perdue dans le monde digital, dont nous savons qu’il n’est pas toujours bénéfique pour les jeunes, nous devons repenser collectivement notre rapport aux dangers du smartphone et des médias sociaux. Pour l’éducation, ce sera l’un des défis les plus importants et les plus urgents des années à venir. » Et de s’appuyer sur les rapports alarmants de l’Observatoire de la santé sur l’obésité infantile. Le site du plan national « Gesond iessen, Méi beweegen », porté depuis 2018 par le même ministre de l’Éducation, dans sa page sur le symposium « L’activité physique, plus que du sport ? Sport, plus que du mouvement ? », le précise : « au Luxembourg, un enfant sur cinq âgé de 11 à 12 ans souffre de surpoids ! » Le rapport annuel 2023 de l’Observatoire national de la santé souligne en effet que « le lien entre surpoids, mauvaises habitudes alimentaires et manque d’activité physique est suffisamment prouvé scientifiquement. Pourtant, depuis des années, on ne parvient pas à enrayer cette tendance. Ainsi, le nombre de garçons et de filles souffrant d’obésité ou de surpoids n’a cessé d’augmenter entre 2014 et 2022 ». Quand on sait que déjà 32% des adultes au Luxembourg étaient en surpoids en 2019, la projection fait froid dans le dos.
Cet enjeu de santé public, appelé des vœux de tous les acteurs du sport, n’avait pourtant toujours pas opéré de rapprochement concret entre les ministères des sports et de la santé. C’est donc le MENEJ qui a saisi le problème à bras le corps pour faire bouger les lignes à la base. Un courage salué par l’Association des Professeurs d’Éducation Physique (APEP) dans un communiqué de presse qui félicite le ministère et salue que « les volets du mouvement
et des sports ne sont pas négligés. L’école est le lieu où nous atteignons tous les enfants et les jeunes et pour beaucoup de jeunes, la seule opportunité de bouger dans leur vie.(…) Depuis des décennies, des études mettent en garde contre les effets de la sédentarité croissante et les risques qui y sont associés. (…) Les nombreux effets positifs du sport sur le corps humain sont souvent soulignés, mais l’importance du mouvement en tant que pilier central du bien-être général est encore sous-estimée. La décision de promouvoir la valeur du sport à l’école témoigne d’un engagement fort à faire quelque chose pour la santé et le développement des générations futures. »
Au-delà de la sphère scolaire, deux activités quotidiennes « dans le domaine du sport, de l’activité physique et de la motricité » vont être proposées à tous les jeunes, y compris les élèves de l’enseignement fondamental, en sollicitant les Maisons-relais, la LASEP et les associations locales. Ces activités dites « analogiques » veulent toucher également la prime jeunesse dans le cadre de l’éducation non formelle. Dès le plus jeune âge, les enfants pourront évoluer au contact de la nature dans des crèches en forêt, les Bëschcrèches. Enfin, le Service national de la jeunesse (SNJ, unique référence au sport dans l’accord de coalition initial) est lui aussi mobilisé pour renforcer « considérablement son offre d’activités sportives pour les jeunes, aussi bien au quotidien que dans le cadre des colonies de vacances. » Une offre qui veut également s’éloigner des sentiers battus en proposant des activités physiques plus ludiques ou considérées comme mieux en phase avec les aspirations des 13-21 ans : arts du cirque (acrobaties, jonglage, funambulisme), sports urbains (disc golf, roundnet, parkour, skateboard, pumptrack vélo) et même disciplines nautiques (aviron, voile, paddle board yoga) sont au programme du SNJ, sans compter le Summerchallenge prévu à l’été.
De quoi se réjouir qu’enfin les pouvoirs publics prennent la mesure non seulement du danger de l’omniprésence des écrans qui parasitent notre quotidien mais aussi de la nécessité impérieuse de remettre l’activité physique au coeur de notre développement cérébral, social et personnel. Alors, cap ou pas cap ?
Sources :
« European Health Interview Survey », European commission (2019)
« Overweight and Obesity: The Interplay of Eating Habits and Physical Activity » dans la revue Nutrients publiée par le Multidisciplinary Digital Publishing Institute (2023)
« Healthy Future: A report on Child Health in Luxembourg », Observatoire national de la Santé (2023)
« Des ambitions pour une éducation forte et juste », Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse (2023)
« Gesond iessen, Méi beweegen », Plan cadre national 2018-2025(2024)
« Manner Ecran – méi beweegen, entdecken, erliewen », Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse (2025)
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