La rencontre était prévue de notre côté avec un ou deux protagonistes de la Fédération. Au final, ils étaient huit lors de notre rendez-vous, qui précédait une réunion de la LOF. Avec tant de membres présents, l’entretien aura été particulièrement riche, et les opinions, s’ils proviennent tous de backgrounds différents ont le mérite de grandement converger. Et, dans un pays ou « l’amitié envers l’automobile est assez connu », le travail demeure continu.
Un même objectif depuis trois décennies
En 1992, une loi s’apprête à passer au Luxembourg sur les véhicules anciens, coupable selon le gouvernement de produire un trop grand taux d’ozone. Un très grand nombre de propriétaires de voitures historiques se retrouvent alors au centre du Luxembourg pour protester et défendre leurs intérêts. Parmi eux, Curt Wagner. Le seul présent lors de notre entretien a avoir été membre de la LOF depuis le lancement de celle-ci, se rappelle de cette période. « Beaucoup de gens avaient rappliqués. Et nous nous sommes vites rendu compte de l’importance de faire un front commun, et de créer quelque chose entre nous ». De cette réunion de passionnés se crée ainsi la LOF, Luxembourg Oldtimers Fédération. L’objectif ? Protéger les droits des propriétaires de Classic Cars et autres automobiles anciennes : « Nos membres sont les clubs historiques du Luxembourg, clame Daniel Medinger, aujourd’hui Président de la Fédération. Il y en a plus ou moins une centaine, et nous en avons 62 parmi nous. Nous avons des grands et des petits clubs, on grandit constamment. Au final, il est bien plus simple, tant pour nous que l’Etat d’avoir un interlocuteur plutôt qu’une douzaine.. Nous avons un certain poids. En tant que Fédération on s’engage politiquement. Si il y a une nouvelle réglementation qui vient et pourrait gêner le trafic des véhicules historiques sur la route, on va discuter avec l’Etat pour trouver une solution. Le lobbyisme est notre principale occupation. » explique Daniel Medinger.
Ainsi, contrairement à de nombreuses Fédérations au sein du pays qui passent une grande partie de leur temps à satisfaire les désirs souvent opposés de différents acteurs, dans la LOF, tous semblent partager réellement le même dessein, tout du moins selon Sandra Heinisch, vice-présidente : « Notre objectif principal, mais aussi de tous nos membres, c’est de pouvoir rouler tranquillement sur les routes. Le désir commun est vraiment de pouvoir continuer d’avoir cette chance. C’est le défi d’il y a quelques années, celui d’aujourd’hui, et celui à venir ».
Pour parvenir à ces fins, la LOF dispose de nombreux atouts. Avant tout, propriété assez unique du Luxembourg, il n’est pas difficile de se faire entendre par les plus hautes autorités du pays. « On a l’avantage au Luxembourg de pouvoir se procurer un rendez-vous directement avec un Ministre. C’est tout de même très bénéfique. Et nous avons aussi de bons contacts avec la SNCA (ndlr : Société Nationale de Construction Automobile) », explique Daniel Medinger. Mais cela n’est pas tout. Membre de la FIVA, Fédération Internationale des Véhicules Anciens, la LOF peut donc compter sur le soutien d’une association forte et avec une véritable connaissance de tout ce qui se passe au niveau de la législation européenne : « On est devenus membres de la FIVA une année après sa création, soit très rapidement. Ils font tout pour que l’on puisse continuer à rouler avec nos voitures. Ils font un très bon lobbying à Bruxelles et Strasbourg. Et ils nous contactent en cas de vote important. Il faut rester à l’écoute de ce qui se passe à Bruxelles. Il y a tellement de députés, et certains ont parfois des idées un peu bizarres » explique Curt Wagner.
Mais la protection et le lobbying ne sont pas simplement portés par l’amour de leur véhicules. Pour tous ces membres, il est vital de se souvenir que ces automobiles sont des vestiges d’une autre époque et que, dans un devoir de mémoire, elles se doivent d’être conservées : « Il faut aussi absolument ne pas oublier que les véhicules anciens font partie du patrimoine historique. D’ailleurs, la FIVA a de très bons contacts avec l’ONESCO, et fait tout pour rappeler aux gens l’importance de la préservation de notre histoire », poursuit Wagner.
Pourtant, les membres de la Fédération n’estiment pas être tant visés que cela par les gouvernements. Ils auraient plus tendance à penser que souvent, certaines mesures pénalisantes sont l’oeuvre de projets de loi distraits, voire incomplets. « Parfois dans les lois, les véhicules historiques sont simplement oubliées. Cela n’est pas dans le but de nous sanctionner, ça n’est pas de la mauvaise foi, c’est juste un simple oubli. Et ils peuvent d’ailleurs remédier à cela quand ils se rendent compte de leur erreur » confirme le président de la LOF.
Derrière ce travail de lobbying se trouve évidemment la création d’évènements. L’Autojumble, qui se déroule tous les ans en mars à Lux Expo est la date phare chaque année au sein de la Fédération. Mais les activités ne se limitent pas à cela, et le désir de proposer à ses membres des sorties et autres parcours est bien réel. Car, avant tout, il convient de se souvenir que se cache derrière tous les inscrits à la LOF des passionnés qui veulent profiter de leurs « bébés ».
Une passion provenant de partout
Cette passion pour les véhicules anciens, d’ou vient-elle précisément ? Alors que l’idée presque clichée de la transmission familiale, et plus généralement de père en fils est proposée, les membres de la Fédération bottent en touche et se citent en exemple pour prouver que l’amour de la vieille mécanique peut venir d’un très grand nombre de raisons. Pour certains, mécaniciens, c’est l’amour de la complexité de la carrosserie et ses rouages qui a été l’élément déclencheur. Pour d’autres, c’est le bonheur de pouvoir acheter des véhicules dont ils étaient amoureux plus jeunes mais qu’ils ne pouvaient s’offrir. Enfin, un certain nombre sont devenus passionnés dû à des amis qui leur ont transmis le virus de la mécanique.
Une chose est certaine, quelle que soit la provenance de la passion, le marché de la voiture historique explose depuis quelques années, et le Grand-Duché ne déroge pas à la règle. « En ce moment, le véhicule historique explose dans tous les sens. En été, il y a six à sept véhicules historiques par semaines de plus immatriculés au Luxembourg. C’est énorme. Il y a de tout, des Vespa, des Bugatti… ». Une embellie qui ne se limite d’ailleurs pas qu’aux Classic Cars, comme l’explique la vice-présidente : Pendant le confinement, beaucoup de gens ont acheté des vieux tracteurs. Cela a explosé. On ne couvre pas que les voitures, mais tous les véhicules comme militaires ou agricoles. On a des membres qui ont plusieurs voitures mais aucune qui fonctionne, c’est pour cela qu’il faut en avoir plusieurs » rigole Curt.
Cette croissance du marché ne pose réellement qu’un seul problème : l’inflation conséquente en termes de prix. « Si beaucoup de gens s’y intéressent, les valeurs à l’achat augmentent logiquement. » explique Medinger. « Ça, c’est un souci. Certains véhicules ont eu des prix qui ont totalement explosé. Les seuls véhicules qui restent encore à bas prix sont ceux d’avant-guerre. C’est joli, mais c’est tout de même une autre catégorie. Pour rouler dans le traffic, c’est difficile. On est plus dans l’objet de collection qu’un véhicule. »
L’explosion de prix offre aussi un souci, sur laquelle la Fédération essaie de se plancher, mais, de par la logique du marché du travail, éprouve quelques difficultés à solutionner : la part active de la jeunesse dans l’automobile ancienne. Questionnés vis-à-vis du nombre de jeunes au sein de la LOF, les membres répondent sans détour : « C’est très difficile à dire. Mais il n’y a pas de clubs avec une majorité de jeunes. C’est un problème, c’est certain. On est très intéressés à l’idée que la jeunesse s’intéresse pour le véhicule historique. Et l’on voit des jeunes très actifs ci et là dans certains clubs. Cela dépend des véhicules, et ça dépend des marques. On retrouvera les jeunes dans des voitures à plus abordables, mais qui ont le même niveau de passion » explique Sandra. Et Curt Wagner l’assure : « il y a bien plus de jeunesse qu’il y a vingt ans ».
Unanimes face aux critiques de pollution
Evidemment, le sujet devait d’être abordé. Passé une petite heure de discussion, le fameux dossier épineux du taux de pollution conséquent de tels véhicules finit par tomber sur toutes les lèvres. Et, alors que jusqu’à présent certaines personnes autour de la table étaient restées plutôt discrètes, les langues se délient à vitesse grand V. Et le fond du message est le même d’un côté comme de l’autre : « Les véhicules historiques roulent très peu de kilomètres par an. Ce ne sont pas des voitures qui font cinquante mille bornes à l’année. Chaque voiture roule grand maximum mille km par année, et encore. Cela peut-être beaucoup moins. C’est important de le rappeler vis-à-vis des critiques de la population. », abonde Daniel Medinger. « On a aussi fait des flyers « recycling people drive classic ». Si on continue à rouler avec notre véhicule pendant une longue période de temps, à un certain moment c’est beaucoup plus écologique de garder le sien. Ce véhicule n’a pas besoin d’être produit, il existe déjà. Et d’autre part, si à un certain moment il n’est plus utilisable, il sera démonté jusque’à la dernière pièce, et tout sera réutilisé dans d’autres véhicules. Pour cette raison, je me dis qu’au niveau écologique, dire qu’on est polluant, ça n’est pas vraiment correct » enchaîne t-il. Un avis partagé par tous les personnes présentes autour de la table, et sur lequel Sandra Heinisch ajoute un exemple supplémentaire : « Prenez une voiture avec laquelle vous roulez cinquante ans. Une autre personne va changer de véhicules tous les trois ans. Faites la comparaison. Beaucoup de gens crient « pollueurs » mais ne prennent pas tout en compte. Ils s’en fichent de ce qui se passe avec l’ancienne, ils en commandent une nouvelle qui est produite et transporté à travers le monde ».
Passée cette discussion, l’heure est maintenant pour toutes les personnes réunies ce soir de commencer leur meeting sur la Fédération. Des heures supplémentaires après une journée passée au travail. Mais, à les voir capables de discuter un temps incalculable de Classic Cars, il ne fait nul doute que cette réunion se place bien plus sous le sceau du plaisir que du boulot.
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