Pour bien comprendre la force des relations entre le Luxembourg et le Portugal, il faut remonter en arrière. 81 ans, précisément. Alors que l’Allemagne nazie dévore tout son passage, les troupes d’Hitler envahissent sans réelle difficulté le Grand-Duché. Ce jour-là, des dizaines de milliers de luxembourgeois quittent le pays, refusant de vivre sous l’occupation. Parmi eux se trouve la famille royale. Alors que des habitants du pays en faveur de l’occupation (qui créeront vite le Volksdeutsche Bewegung, ou VdB) militent pour voir la Grande-Duchesse Charlotte rester et aboutir à une forme de coopération avec l’occupant allemand, les membres de la royauté optent pour l’exil. Une décision qui casse la neutralité légendaire du pays en se plaçant du côté des alliés (pour la petite histoire, les canons de l’armée luxembourgeoise sont alors baptisés par les noms des enfants de la Grande-Duchesse). Et, après plus de cinquante ans d’entente cordiale, le pays où partir est facilement trouvé : le Portugal. C’est des suites d’un bref passage en France que toute la famille royale se retrouve dans la péninsule ibérique avant son départ pour Londres. Un échappatoire rendu possible par l’activité courageuse et exemplaire d’, Consul général portugais à Bordeaux, qui, au-delà d’offrir le libre passage à la famille royale, a aussi grandement contribué au sauvetage de nombreux juifs durant la guerre.
Si, souvent dans l’imaginaire collectif, les excellentes relations entre le Luxembourg et le Portugal datent des années 60, les liens entre notre petit pays et le Portugal trouvent en réalité leur genèse avant même le XXe siècle. L’idylle voit véritablement le fruit en 1893 avec le mariage du Grand-Duc héritier Guillaume et la Princesse Marie-Anne de Bragance, soit il y a plus de cent ans. Un union qui aura germé le fruit de longues et fructueuses relations diplomatiques, parfaitement symbolisées par le fait qu’aujourd’hui, notre Grand-Duc Henri a bien du sang portugais qui coule dans ses veines. Si les deux souverainetés se complaisent dans cette relation, il faudra attendre plusieurs décennies avant de voir les populations emboîter le pas.
Du Luxembourg au Portugal en 1940, cela sera le sens inverse au début des années 60 : alors que la seconde guerre mondiale a laissé la péninsule ibère dans un marasme économique profond, nombreux de ses citoyens décident alors d’aller tenter leur chance ailleurs, majoritairement en France et en Allemagne. Certains décident alors de poursuivre leur périple jusqu’au Luxembourg et, satisfaits de leur condition y restent pour ne plus repartir. Pourquoi le Grand-Duché ? « Il y a plusieurs théories. Comme beaucoup de choses, il y a une part de hasard. Une histoire, qui pourrait être vraie, serait que des gens qui ont pris le train pour la France se sont endormis avant de se réveiller au Luxembourg sans trop s’en rendre compte. » explique Aline Schiltz, auteure d’une thèse sur l’immigration portugaise au Luxembourg et spécialiste en la matière. Ainsi aurait donc commencé l’immigration au Grand-Duché : par un sommeil trop profond.
Si le départ de leurs terres est souvent associé à une simple crise économique, la vérité est bien plus compliquée. Sous la dictature de Salazar, le Portugal entame de longues guerres coloniales impopulaires au pays : « On a toujours un peu cette idée unilatérale que c’est juste la pauvreté qui a poussé les gens à partir. En réalité, il y a eu beaucoup d’opposants au régime, de gens qui refusaient de partir en guerre et d’exilés » poursuit Schiltz. « Il y avait une répression politique très très forte, et les moyens de lutter contre chez les classes les moins aisées étaient vraiment limités. Le fait de partir était un geste d’opposition fort ».
Autre cliché, le travail automatique de ces immigrés dans des métiers d’ouvriers est à nuancer. « On a toujours l’idée des portugais dans la construction. En réalité, les premiers arrivés travaillent beaucoup dans l’agriculture, la vinicole mais aussi l’hôtellerie. C’est ce qui explique pourquoi Larochette a toujours été un point fort d’arrivée : on y engageait les portugais dans les nombreux hôtels de la ville » confirme Mme Schiltz.
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L’arrivée de lusitaniens au Grand-Duché se prolonge tout au long des années 60. Si les dix premières années sont le fruit d’une migration spontanée de la part des portugais, c’est bien l’accord bilatéral de 1970 entre les deux pays (ratifié en 1972) qui va booster le processus d’expatriation. En effet, cet accord permet maintenant au Luxembourg de communiquer ses offres d’emploi directement à l’administration portugaise, qui peut alors la soumettre à son peuple dorénavant doté d’une garantie de travail à son arrivée. Une évolution législative qui aboutira à un exode massif et, en 2020, à une communauté portugaise représentant plus de 16% de la population du pays. Tout au long de ces années, en parallèle de la situation économique au Portugal, l’immigration pour le Luxembourg, sans jamais être à l’arrêt, repart parfois de plus belle. Ce sera le cas de 1975 à 1982, mais aussi plus récemment, du début de la grande crise mondial jusqu’aux années 2010. Une présence affluente qui se retrouve assez visiblement au Grand-Duché, que cela soit par la bière Sagres omniprésente, un grand nombre de restaurants portugais, et même jusqu’en BGL Ligue, à l’image des clubs au nom sans équivoque comme le RM Hamm Benfica ou l’ASL Porto.
Des nombreux points communs qui existent entre les deux pays, à l’instar de la religion, le sport est indubitablement une des activités qui unit le plus. « Pendant longtemps, le pays a été le seul en Europe à avoir deux championnats: le portugais et le luxembourgeois. Le football et ses terrains ont été un énorme vecteur de rencontres entre les deux communautés » confirme l’auteure de la thèse « L’émigration portugaise au Grand-Duché du Luxembourg ». Un amour pour le ballon rond qui se poursuit encore jusqu’aujourd’hui.
Si l’on excepte les rencontres mettant en joute les deux équipes nationales l’une contre l’autre, c’est généralement ensemble que les deux communautés célèbrent leurs victoires respectives. Ainsi, lors de la victoire du Portugal à l’Euro 2016, au vu des festivités massives à travers le pays, il était difficile de ne pas voir en cette consécration une victoire de tout un pays qui, paradoxalement, n’avait pas même participé à la compétition. Hélas, en ce 30 mars, tout un pays ne pourra être satisfait.
A l’image de l’accord passé le 21 février entre les deux pays, qui officialise l’aide du gouvernement luxembourgeois dans la lutte contre le Coronavirus dans la péninsule, les liens demeurent forts et profondément avenants. Une belle entente, qui, le temps d’un soir et de vingt-deux acteurs sur un terrain de football, se devra d’être suspendue au profit de la gloire sportive. Avant, bien entendu, de partager un verre, un sourire, et un bon débat sur la joute terminée. En famille.
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