Quatre lettres similaires, simplement proposées dans un ordre différent : une petite nuance qui pourtant, semble peser large aujourd’hui dans l’écosystème de l’e-sport au Luxembourg. Ainsi, chose peu commune, deux Fédérations brandissent avec fierté le drapeau, ayant pour but de coloniser la planète jeux vidéo. Comment a t-on pu en arriver là ?
En juin 2020, la Luxembourg eSports Federation a été fondée avec pour objectif de devenir l’entité première au Grand-Duché, censée promouvoir le développement de la discipline, tant en termes de professionnalisation de joueurs, mais aussi de compétitions. Soutenue par Orange quelques mois plus tard, la Fédération a donc pour but de se développer. Créations de compétitions, désir de faire émerger des jeunes promesses au niveau international, et soutien international : tous les voyants semblent au vert. Si le travail est évidemment de longue haleine, et les obstacles se dressant devant elle nombreux, l’histoire semble belle pour réussir à devenir la référence dans le pays.
Mais le 21 février 2021, un nouvel acteur fait son apparition à la surprise générale : la FLES est en effet créée. Selon les propos situés sur le site officiel, « 6 représentants de 6 organisations différentes ont pris la décision de créer une Fédération visant à réunir tous les acteurs du gaming et de l’e-sport luxembourgeois. Après de longs mois de discussions et d’échanges ainsi qu’un passage obligatoire par la case LBR, nous voilà enfin en ligne ». Sans aucune mention de la LESF déjà en place, le message semble clair. S’imposer, sans faire mention d’une quelconque présence ayant déjà été lancée. Pour ce faire, le nouveau venu est néanmoins arrivé avec de solides arguments : des partenariats avec des moteurs de l’e-gaming au Luxembourg : Post, LGX Arena, et 11F. Ce dernier, justement, ne semble pas étranger à l’apparition de cette nouvelle entité : Jeremy Chiampan, président de la FLES est en effet Project Manager de… LGX. Faut-il donc voir en cette création un désir de mainmise global de Fabio De Aguiar ?
#unefederationpourtous
À suivre les différents réseaux sociaux de l’un et des autres, chaque Fédération semble vivre absolument seule. Aucune mention n’est faite, à un moment ou un autre, de la création d’une entité semblable. Seules quelques mentions faites ci et là marquent les esprits et sous-entendent que les deux entités ne partiront sûrement pas en vacances ensemble. Ainsi, lors d’un tweet du 7 juillet, Outplay, se félicitant d’un partenariat trouvé avec la LESF, écrit dans son communiqué être « Extrêmement heureux d’enfin avoir une Fédération d’e-sport au Luxembourg ». Ambiance.
Questionné au sujet de la FLES, Kevin Hoffman n’avait pas grand chose de positif à dire, et fustigeait avant tout un positionnement qui, à ses yeux, était bien loin de la réalité : « Ils ne sont pas une Fédération. C’est un regroupement d’entités privés. Ce qu’ils font, ce n’est pas fédérer. L’objectif derrière tout cela est d’avoir le monopole de l’e-sport au Luxembourg, tout simplement. C’est bien là le but de la FLES ». La position d’Hoffmann – position partagée par les autres membres de la LESF – est donc la suivante : celle d’une fédération qui est plus une association, agissant pour l’intérêt d’acteurs privés. Et l’un des fondateurs de la LESF d’appuyer ses propos en citant quelques exemples : « Nous sommes membres de la EEF (European Esports Federation), alors que eux non. Leur crédibilité en tant que Fédération n’a rien à voir avec le fait d’être arrivé deuxième. La structure en soi pose problème. »
Contacté par nos soins, la LESF n’a pas botté en touche, loin de là, et a pris le temps de répondre à ces accusations. Et c’est par le biais de son président, Jeremy Chiampan, que la réponse est venue : « Aucun de nos membres n’a de parts ni d’actions dans Post ou 11F. Chacun a son point de vue, mais c’est une accusation mensongère. Et puis, ça me fait bien rire venant d’eux, qui ont inscrit une société dans leurs statuts ainsi qu’une clause d’irrévocabilité pour les membres de leur comité. Ce n’est pas comme cela que doit fonctionner une fédération. Alors les leçons de fonctionnement de la part de ces gens-là, on va s’en passer… »
Alors que le dialogue semble totalement rompu, les deux partis n’hésitent pas à revenir sur une époque qui semble aujourd’hui totalement révolue : celle des discussions. Là encore, si les faits énoncés sont les mêmes de chaque côté, les explications, elles, sonnent clairement différemment. Alors que la FLES se lamente de réunion contre productive où seulement un vote aurait été alloué à tous les acteurs de l’e-sport hors de la fédération, la LESF elle parle de rendez-vous où l’aujourd’hui rival avait pour but « d’imposer toute son équipe au comité ». Ainsi, deux situations extrêmes sont décrites d’un côté comme de l’autre, sans qu’il ne soit réellement capable de discerner qui est plus proche de la vérité.
Du côté de la dernière venue, ses principaux désaccords avec la fédération en place semblent être basés sur une vision différente du système de fonctionnement. Chiampan parle ainsi d’une absence de dialogue, et une impossibilité d’avancer de manière jointe avec des idées et visions différentes. Questionné sur le caractère rare de cette situation à double fédération, le Président de la LESF s’appuie sur certains exemples de pays dans lesquels le fonctionnement est similaire. Et préfère orienter vers les objectifs actuels, à savoir de « faire avancer l’e-sport au Luxembourg, de le promouvoir, de casser les idées reçues à son sujet. Nous souhaitons réunir tous les acteurs – y compris la LESF – et devenir l’interlocuteur privilégié auprès des instances, qu’elles soient gouvernementales ou administratives ».
Quelle est la position des sponsors vis-à-vis de cette situation ? Difficile à dire. Pour eux aussi, la situation semble floue. Si Post n’est pas épargné par Hoffman (« La Post E-Masters est une plateforme pour se développer eux-mêmes. Ils nous ont proposé d’en faire le championnat national, mais c’était difficile pour nous de reconnaître un évènement qui était un produit commercial et marketing »), le placement d’autres acteurs fort est compris par la LESF : « Orange veut que l’e-sport se développe, c’est normal qu’ils investissent là ou les choses se font ». Reste néanmoins que dans tout ce mic-mac, il est bien difficile, tant pour les acteurs qu’observateurs de comprendre réellement qui contrôle quoi, quand, où, et comment.
Alors, qu’en est-il vraiment ? À vrai dire, pas grand chose. Si la situation aujourd’hui est confuse, elle ne soulève pas de réels soucis. Avant tout car le COSL n’a jusqu’à maintenant reconnu aucune des deux fédérations. Ainsi, avant d’avoir une portée sportive et politique réelle, la LESF et la FLES sont encore aujourd’hui plus des vecteurs de communauté qu’autre chose. Les deux partis impliqués ne semblent, en l’état, absolument pas disposés à se rapprocher et paraissent avoir une approche de prendre le contrôle total, en réussissant à laisser derrière le rival.
Néanmoins, à l’heure où l’e-sport a encore de réelles difficultés à être considéré comme une discipline sportive à part entière, cette guerre de pouvoir et absence de front commun peut légitimement inquiéter et retarder considérablement la croissance et l’essor de l’e-gaming en général, dans un pays déjà fortement à la traîne. Si la légitimité de la LESF paraît absolument crédible, la FLES ne cache pas ses grands projets pour le futur. On peut alors rêver d’un dialogue entre les deux fédérations, avec, sait on jamais, la création d’une force commune plus forte, plus grande, et à même de faire exploser l’e-sport au Luxembourg. Ready, talk ?
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