Dans un Grand-Duché où il est toujours difficile d’ancrer de nouvelles choses, l’esport n’a pas échappé à la règle. Et ça, c’est Fabio De Aguiar qui le dit. Désormais CEO de 11F Média et à la tête d’un univers esport encore grandissant au Luxembourg, celui qui a tout plaqué pour lancer son business a du batailler pour se faire une place dans un marché encore inexistant il y a douze ans. Parti de rien avec Eleven Friends, une simple page Facebook dédiée au football lancée en 2013, il a rapidement gravi les échelons en proposant des idées novatrices. C’est lui qui, en 2015, lançait notamment le tout premier tournoi d’esport, dans un magasin Cactus et avec une soixantaine de joueurs. Ensuite, tout s’est accéléré et Fabio De Aguiar a vu rapidement l’ampleur du phénomène et le potentiel énorme que pouvait représenter l’esport dans un pays jusque là frileux et peu calé sur le sujet. C’est donc en 2016, tiraillé entre son travail et sa passion, qu’il lancera sa propre entreprise et qu’il lancera 11F Sports, 11F Gaming et 11F Movie, tous sous l’égide de 11F Média. Depuis, c’est une affaire qui roule et la LGX ou encore la Post eSports Master sont étroitement liées à Fabio De Aguiar, avant que de nouveaux projets voient le jour…
Quel constat faites-vous sur la pratique de l’esport au Luxembourg en 2021 et par rapport au jour où vous avez décidé de vous lancer ?
En 2013 et 2014, le terme « esport » n’existait pas encore au Luxembourg, et personne n’avait ce terme en tête à part quelques gamers qui suivaient cela dans les pays étrangers. Mais le grand public n’y connaissait rien, et les médias luxembourgeois n’en parlaient jamais. Sauf que c’est d’abord avec les médias que tu fais grandir un secteur ! Et ça a commencé à l’époque où nous avions organisé les tournois au Cactus. L’Essentiel s’y est intéressé et les autres médias, qui ont vu cela, ont eux commencé à s’attarder dessus. Ça a été un bon coup de pouce avec les sponsors, ce qui nous a permis de faire d’entamer d’autres projets encore plus grands comme la LGX, la PEM… Et des teams se sont créées il y a maintenant deux, trois ans. Il nous manque des statistiques pour chiffrer exactement l’impact que l’esport a pris après toutes ces années et nous sommes en train de faire une étude de marché, mais ce qui est sûr, c’est que l’évolution est là. Chaque tournoi, on a entre cent et deux cent personnes, et le vrai plus, désormais, ce sont les fédérations. C’est tout un écosystème qui se met en place. Il manque peut-être encore des agences qui gèrent les joueurs et leur carrière, mais c’est encore trop tôt. D’ici quatre à cinq ans, peut-être. Mais les équipes, ce sont des jeunes, ce ne sont pas des personnes qui savent gérer une entreprise. Combien d’équipes se sont créées il y a quelques années et qui n’existent déjà plus ? Je pourrais aider, mais on ne peut pas être juge et parti.
Y a-t-il des joueurs qui commencent à devenir professionnels, au Luxembourg ?
Il y a beaucoup de joueurs qui, sur Twitter, se disent « joueur pro » dès qu’ils signent avec une équipe. Mais ce n’est pas ça. Un joueur professionnel, c’est un joueur qui ne travaille pas à côté, qui ne vie que de ça. Peu importe le temps qu’il joue quotidiennement, tant qu’il a un salaire qui lui permet de financer sa vie, là on peut parler de professionnalisme. Et au Luxembourg, on n’en a pas encore. On a eu pendant un ou deux ans un joueur, Starcraft, mais personne ne parlait de lui. Maintenant, il a 40 ans, mais il a joué en Asie ! Il y avait aussi un joueur qui était Top 200 Europe sur League of Legend. En sachant qu’il y a chaque jour 20 millions de joueurs, c’est quelque chose d’énorme.
Qu’est-ce qui explique cela ?
On a de bons talents, mais il faut les trouver assez jeune pour pouvoir les entrainer, développer leur potentiel au maximum. Et des structures, ici, il n’y en a pas, il n’y a pas de coachs, pas de managers… C’est beaucoup trop tôt pour cela. Le premier step serait de faire un scouting de ces joueurs et de les placer dans des équipes à l’étranger, dans une équipe comme Vitality en France par exemple. Si, lors de son try-out, il réussi à intégrer la team, là il y a un développement, un caoching permanent, pour devenir un véritable professionnel. Et à 15, 16 ans, ils peuvent signer pro, jusqu’à maximum 28, 29 ans. Après, les réflexes diminuent de déjà 20%, et par rapport à des jeunes, il y a une énorme différence.
En tout cas, on a tout de même participé à la Paris Games Week et à l’ESWC trois fois avec Ciscinho, qui était déjà allé jusqu’en quarts de finale, ce qui est une belle performance. Globalement, ça va dans la bonne direction, mais il faut que le marché travaille ensemble et pas l’un contre l’autre.
À ce propos, il y a une petite guerre entre deux fédérations d’esport au Luxembourg. Au vue de l’importance de la reconnaissance d’une fédération, n’est-ce pas paradoxal d’en créer une deuxième quand une est déjà en place ?
On ne fait pas partie d’une ou l’autre fédération. En tant que Fabio de Aguiar, je suis neutre sur le marché. J’ai mes entreprises, et je regarde ça avec un peu de distance. Avec l’une d’entre elles, nous sommes partenaires de la FLES, mais c’est un partenariat médiatique. Certains ont parlé de financement, mais il n’y a absolument rien. J’ai rencontré Joe Hoffmann (président de la LEFS) seulement six mois après la création de la fédération, parce que peu de monde était emballé par le projet. Et au final, il n’y a pas eu de deal entre nous. De plus, je n’avais pas envie de faire directement partie d’une fédération.
C’est quoi le rôle d’une fédération ?
La fédération doit fédérer tous les acteurs de l’esport : les entreprises, les intervenants, mais surtout les joueurs et les équipes. Elles doivent aussi être l’intermédiaire avec les organisateurs de tournois.
Je ne suis pas du tout pour qu’il y ait deux fédérations. Mon souhait, c’est qu’il y en n’ait qu’une seule, que les deux se mettent ensemble, fusionnent. Pour un petit pays comme le Luxembourg, ce n’est pas possible d’être divisé de la sorte.
Mais en étant partenaire de la deuxième fédération créée, n’y a-t-il pas au final un parti prit ?
J’ai fait les deux meeting, et il y a un côté qui m’a vraiment montré du potentiel. Avec 11F, on est maintenant liés avec la FLES, les plus gros championnats comme PEM ou LGX sont là aussi. Tôt ou tard, il faudra se mettre à une table, trouver des solutions et les mettre en pratique.
La concurrence, comment la voyez-vous ? Est-ce que vous voulez tout rafler ou vous la voyez tout de même d’un bon œil en vous disant que plus il y aura de concurrence, plus le « niveau » et la qualité sera élevée ?
Ce sont les mêmes personnes qui sont à la tête de la LESF et de Forward, leur entreprise. Et ils ont même une team. Quand tu as une team et que tu organises des événements, il y a un conflit d’intérêt. Nous, on avait des joueurs qui jouaient avec des maillots floqués « 11F Gaming » qui gagnaient des tournois. Et on a eu des gens qui parlaient de corruption. Donc on a séparé les structures il y a deux ans. On a appris de nos erreurs, mais d’autres doivent encore apprendre.
Est-ce qu’on parle de concurrence ? J’ai 90% du marché et ils en ont peut-être 10%. Les partenaires qu’ils ont maintenant, ils étaient chez moi dans le passé, donc je connais plus ou moins l’enveloppe qu’ils ont. Avec toutes les marques emblématiques qu’on a sur le marché, je ne parle pas de concurrence. Il y a l’agence Forward qui est la seule petite concurrente, qui joue aussi dans le conflit de la fédération. Pour me toucher, il faut déjà faire autre chose. Mais dans dix ans, je suis certains qu’on aurait quatre, cinq concurrents sur le marché, et ce sera tout à fait normal.
Le partenariat avec Post, comment est-il arrivé ?
On a travaillé avec beaucoup d’opérateurs, et le partenariat avec Post a fait exploser tout le marché. L’impact créé, c’était du jamais vu en 2020. Notre contrat était d’abord sur un an, puis ils ont tellement été convaincus qu’on s’est associés sur plusieurs années.
Quelles sont vos prochaines échéances ?
On est en pleine planification des projets 2022 et je peux vous dire qu’il n’y a que des belles choses qui vont arriver. Il y a notamment un projet très intéressant qui verra le jour au niveau de Luxembourg mais aussi à l’international.
Justement, votre ambition est de s’accroitre à l’international ?
Oui, bien évidemment. On ne veut pas toucher seulement le Luxembourg. Si on fait ça, on ferme la porte à des belges, des allemands et des français qui vivent juste à côté et qui viennent pour certains travailler au Luxembourg. Notre communication sur des projets comme PEM, LGX et le prochain qu’on dévoilera bientôt, se fait en français et en anglais. Et tout le monde comprend au moins une des deux langues. Donc l’ambition, c’est de toucher l’international et tous nos projets sont orientés vers cela, chacun avec sa propre limite. PEM, c’est environ 100 kilomètres à compter de la frontière. Pour LGX Arena, on avait une équipe portugaise, c’est un projet européen. C’était plus facile parce que ce n’était pas en physique, mais c’est quelque chose qu’on pourrait faire dans le futur.
Quels sont vos priorités pour réussir à remplir votre vision ?
Après deux ans de crise, l’objectif est dans un premier temps de retrouver l’événementiel, une présence physique. La présence en ligne était une bonne alternative, mais elle doit être complémentaire de la présence sur le terrain. L’autre objectif, c’est de stabiliser et de développer les projets en cours et à venir, notamment la LGX Convention, qui se tiendra le 23, 24 et 25 septembre 2022.
Il y a deux ans, vous disiez que les ministères et les communes n’étaient pas très intéressées par l’esport. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Ça n’a pas beaucoup évolué. J’ai passé beaucoup de temps sur ce sujet, mais malheureusement on n’a jamais rien eu de l’État. On a zéro soutient. Je le regrette, mais il faudrait peut-être qu’ils commencent à s’intéresser au marché. On n’est plus au début, on a déjà fait des choses, on a prouvé ce qu’on valait. Ils ne comprennent toujours pas qu’il y a un potentiel énorme.
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