Mai 2020. Le F91 sort d’une saison 2019/2020 blanche, marquée par une cinquième place au championnat et l’arrêt prématuré de celui-ci en raison de la pandémie de covid qui a frappé le monde entier. Le club de la Forge du Sud ne verra pas un seul tour préliminaire de coupe d’Europe durant l’été, une première depuis bien des années et le symbole d’une histoire qui prend désormais un autre tournant. Car l’ère Becca, qui a vu le jour dans les années 90 et connu des dizaines de titres de champion de Luxembourg, plusieurs coupes et surtout deux participations aux phases de poules d’UEFA Europa League, est désormais terminée. Le mécène a fait ses valises, pris l’intégralité de ses sponsors et les a ramenés du côté du Swift Hesperange pour bâtir un projet similaire à celui construit à Dudelange.
L’exercice 2019/2020 laissera place à une nouvelle saison complètement remaniée, tant au niveau sportif que structurel : « À partir de juillet 2020, il n’y a plus eu aucun revenu provenant d’un sponsor lié à Flavio Becca. Il y avait encore des rumeurs qui prétendaient qu’il continuait à nous aider, mais ce n’est plus le cas. On a eu les clés du club en mains propres », explique Manou Goergen, membre du conseil d’administration et directeur sportif du club.
Les pleins pouvoirs, qui appartenaient auparavant à « deux, trois personnes en lien direct avec Flavio Becca », sont désormais entre les mains du CA. Et pour un club qui comptait sur quelques sponsors phares qui injectaient les ressources nécessaires, il a fallu « se remettre en question », ajoute Manou Goergen. « On a essayé de faire des démarches pour multiplier la quantité de sponsors. Ceux qui sont venus sont forcément plus limités en matière d’apports financiers directs, mais on le savait. On a fait beaucoup d’efforts, on s’est beaucoup investis, et on a réussi à rétablir le contact dans un premier temps avec les commerces dudelangeois, puis ceux de la Grande Région. » Des liens qui s’étaient distendus au fil des années Becca, et que les membres du conseil ont ravivés les uns après les autres. Certains ont été réticents, d’autres fiers de retrouver un club et une identité plus locale. « Espérer les revoir au F91 Dudelange immédiatement, ce n’était pas possible. Les efforts que l’on a entrepris n’étaient finalement pas vains, puisqu’on est en bon chemin pour améliorer progressivement notre sponsoring. »
À travers ces efforts se dévoilent plusieurs mois de travail, et l’investissement effectué notamment à travers la communication sur le digital aura permis de présenter le F91 Dudelange comme un club « à l’image de marque plus dynamique, plus jeune et plus fraîche que ce que l’on connaissait avant, et ça nous a aidés. »
Le départ de Flavio Becca pour le Swift Hesperange aura aussi laissé au F91 et à son conseil d’administration le devoir de rétablir un budget plus réaliste et bien plus modeste qu’auparavant, où la grande majorité était utilisée dans le salaire alloué aux joueurs et au staff. « Lors de la saison 2019/2020, on avait un cadre de 41 joueurs, dont cinq qui venaient du centre de formation, détaille Manou Goergen. On avait alors une masse salariale qui dépassait les 1,8 million d’euros. Sans l’apport de Flavio Becca, on a dû réfléchir à la restructuration du cadre. On avait des joueurs avec de gros contrats longue durée qui avaient été faits avec l’assurance de son apport financier. Quand on n’a plus eu cette assurance, on a dû trouver des accords avec des joueurs très coûteux au début de la saison 2020/2021. On a dû rompre plusieurs contrats. Ça nous a coûté de l’argent, mais c’était nécessaire. »
Résultat : à l’intersaison, pas moins de 24 joueurs quittent le club. Entre des emblématiques du club (Tom Schnell, Jonathan Joubert, Dominik Stolz, Mickaël Garos…) et d’autres dont le potentiel était certain (Danel Sinani, Antoine Bernier, Thibaut Lesquoy…), toute une équipe était à reconstruire avant d’entamer un nouveau chapitre.
Carlos Fangueiro arrive alors et se charge de trouver des joueurs avec un budget plus restreint que leurs prédécesseurs. Et il a de la suite dans les idées, à l’image du recrutement de Vova, milieu de terrain de l’Alisontia Steinsel, alors âgé de 34 ans. « Je vais le chercher en deuxième division luxembourgeoise et à son âge, je sentais l’inquiétude au sein de la direction. Au final il est là, pratiquement titulaire, alors qu’il était arrivé avec un petit contrat », nous raconte le technicien portugais.
Mais l’aura d’un club qui a participé aux deux dernières campagnes d’Europa League ne laisse pas certains joueurs en quête d’un nouveau challenge indifférents, à l’image de Kevin Van den Kerkhof, tandis que d’autres, mis au placard à ce moment-là, vont se révéler : Adel Bettaieb et Mehdi Kirch en tête. Alors qu’ils n’avaient connu que très peu de temps de jeu sous Bertrand Crasson entre septembre 2019 et mars 2020, le premier est à l’heure actuelle meilleur buteur du club depuis la saison 2020/2021, et le second capitaine invétéré de l’équipe.
Le club réduit de facto sa masse salariale de 40 % en passant de quarante à trente joueurs, en en intégrant sept issus du centre de formation contre cinq l’année passée, et termine la saison 2020/2021 à la deuxième place, à deux points du champion, le Fola Esch, et devant le Swift Hesperange de Flavio Becca. « Malgré la restructuration, le club a continué à être compétitif en finissant deuxième avec une moyenne de 2,2 points par match, contre 1,5 la saison précédente. On a une nouvelle fois réduit notre masse salariale de 15 % en gardant trente joueurs, mais en passant de sept à dix jeunes du centre de formation, soit un tiers du cadre. Aujourd’hui, on est à la moitié de ce qu’on a eu lors de la dernière année avec Becca », précise Manou Goergen.
Et rester compétitif tout en réduisant sa masse salariale, le F91 a su le faire cette saison encore. En conservant les cadres qui avaient fait la réussite de la saison 2020/2021, en recrutant un Dejvid Sinani au sommet de sa forme et en allant chercher un Samir Hadji venu pour se relancer, par exemple. Et une fois de plus, le F91 Dudelange luttera pour le titre jusqu’au bout. Si ce n’est pas pour cette saison, nul doute que le club devrait continuer à jouer les fortes têtes en BGL Ligue et pourrait décrocher un nouveau sacre dans les années à venir.
Quoi qu’il en soit, la coupe d’Europe devrait vraisemblablement être au rendez-vous cet été pour le plus grand bonheur des joueurs… et de la direction. « Dans l’établissement du budget, le volet le plus important est l’Europe. On trouvera toujours le moyen de survivre, mais si on n’avait pas l’Europe ou le titre, on devrait adapter une nouvelle fois notre structure. Dans le business du foot, il y a beaucoup d’incertitudes, c’est pourquoi on doit trouver une structure sereine qui nous donne plus d’assurance et de certitudes sur le long terme. Mais c’est difficile, car on est très dépendants des recettes européennes. C’est pour cela qu’on doit diversifier les sources de revenus », explique Manou Goergen.
Et pour ce faire, le F91 pourrait bien compter sur la vente de joueurs lors des prochains mercatos, chose qui était très rare lors des années Becca. « On n’a jamais eu un bénéfice réalisé grâce aux transferts, assure Manou Goergen. En 2020, on a fait beaucoup d’investissements pour la rupture de contrat, mais en 2021, on a réussi à engranger plus de 50 000 euros sur les transferts sortants. Cette année, on vise plus ou moins la même chose. On a toujours dit que les joueurs pouvaient partir s’ils recevaient des offres de clubs professionnels qui sont à la hauteur. On ne va pas non plus les vendre 2 000 euros, mais si c’est convenable, on les laissera partir. Seulement, on ne peut pas accepter de mettre en danger l’aspect sportif en pleine saison, c’est pourquoi on a parfois refusé certaines offres lors du mercato d’hiver. C’est toujours plus compliqué de recruter à la mi-saison, et on n’aurait par exemple jamais pu remplacer quelqu’un comme Adel Bettaieb en janvier. »
Si le F91 Dudelange doit désormais faire attention à ses comptes, pour Manou Goergen, rien ne vaut « la satisfaction de voir ce que l’on a réalisé. On a connu des succès sportifs qui nous ont permis de voir au-delà de notre championnat national, ce qu’on n’aurait pas pu faire sans l’investissement de Flavio Becca, et on lui en est reconnaissants. C’était forcément plus confortable de ne pas se poser de questions sur le financement, mais aujourd’hui on prend les décisions ensemble. Si on est la marionnette de quelqu’un, ça ne donne pas vraiment de satisfaction. »
Deux ans après la fin de l’ère Becca, le F91 a réussi à garder son statut de prétendant toujours sérieux pour les premières places. S’il n’écrase plus ses concurrents comme lors de certaines saisons, le club a réussi à allier la compétitivité avec la restructuration financière et humaine. Car aujourd’hui plus que jamais, ce qui est certain, c’est que le F91 peut compter sur un dévouement et une solidarité sans faille.
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