La perte d’un mécène. Des comptes qui, inéluctablement, ne sont plus capables, sans un soutien conséquent, de supporter la massive charge salariale. Un exode de joueurs et un club en plein doute. Dans ce contexte, Mehdi Kirch, désemparé face à la situation et inquiet pour l’avenir, va vivre son premier entretien avec Carlos Fangueiro, nouvel entraîneur du F91. « Lors du premier rendez-vous dans la salle vidéo avec lui et son staff, au tout début de la saison, il nous dit “Je suis là pour être champion.” Il y avait Charles Morren à côté de moi, je n’ai pas pu m’empêcher de lui balancer “Mais il est fou lui !”. »
Il est certain que pour un premier contact avec son staff, difficile de faire plus mémorable.
Ainsi fonctionne Carlos Fangueiro, qui semble se nourrir de l’adversité et des difficultés. « Quand j’ai rencontré Flavio Becca, le projet était de faire Hesperange champion, et que Dudelange sorte des jeunes pour quand même aller jouer l’Europe. J’ai accepté, en sachant que le dernier jour où j’étais avec lui dans son bureau, je lui avais dit que je voulais être champion ! » (rires)
Quelques mois plus tard, et malgré le départ du magnat de l’immobilier, Fangueiro n’a pas renoncé à ses ambitions. Ainsi, son club débute la saison par sept victoires consécutives et trône en tête du classement de BGL Ligue. Inattendu pour beaucoup, moins pour l’entraîneur et son staff. Un coach qui, conscient des difficultés financières de son club, plutôt que de pester, essaye de trouver des solutions par-ci, par-là.
Ainsi Vova – qui a déjà connu le Portugais – est recruté malgré un scepticisme ambiant. Deuxième étape ? Donner confiance à un groupe particulièrement atteint – et inquiet – par des événements ayant eu lieu au club de la Forge du Sud. « Il y avait de l’inquiétude, évidemment, confirme-t-il. Mais je savais qu’il y avait de la qualité ici. Même s’il était difficile de savoir ce que serait la suite, le plus important était surtout de leur donner foi en leurs capacités. Mon travail était vraiment au niveau mental. Savoir motiver les joueurs, leur faire comprendre qu’ils étaient bons et qu’avant tout, et plus que jamais au vu de la situation, le collectif était plus important que l’individu. »
Il n’est d’ailleurs pas compliqué de voir l’implication constante de l’entraîneur, le temps d’un entraînement et d’un toro composé de joueurs n’ayant pas participé à la rencontre contre le Progrès.
Concentré, haranguant ses joueurs comme si leurs vies en dépendaient, demandant sans cesse de la propreté et de l’intensité, Fangueiro ne laisse rien au hasard et ne leur accorde pas la moindre minute de relâchement. Comme il le déclare lui-même avec une fierté non feinte, la débauche d’énergie, avec lui, se doit d’être constante : « Si je suis proche de mes joueurs, l’exigence n’en est pas moins énorme. Certains des membres de l’effectif, qui ont été pros, disent qu’ils n’ont jamais travaillé à un tel niveau d’intensité. » Des attentes élevées confirmées par Dejvid Sinani, qui assène qu’« avec lui, c’est red line ! (rires) Il en demande énormément, et c’est ce qui nous permet d’enchaîner de gros matchs. »
Un travail constant, y compris aux entraînements, et où personne ne peut faire semblant ou lever le pied. Une attitude qui peut paraître difficile à conserver tout au long de la saison, en particulier pour des seconds couteaux ou des jeunes joueurs qui savent fondamentalement que lorsque le match arrivera, leur présence sur le terrain sera plus qu’improbable.
Comment alors réussir à faire en sorte que tout le groupe se sente concerné, quand bien même certains ne figurent que sporadiquement dans le onze, voire les quatorze ? « À ce jour, je suis très heureux de la gestion mise en place. Pourquoi ? Parce que sa base est la franchise. J’ai fait passer le message très tôt que s’ils avaient des questions, mon bureau était toujours ouvert, et entre quatre yeux, on peut se parler. Souvent, à la fin de ces entretiens, les joueurs vont dire ”Coach, tu as raison”. Et si on fait bien notre job, tous ont envie de se donner pour leurs coéquipiers et leur équipe ; cet état d’esprit est contagieux. Maintenant en effet, à certains postes, cela ne bouge pas beaucoup. Il faut une stabilité derrière. Mais ceux que je fais jouer ont apporté des choses, soit comme titulaires soit en entrant durant la rencontre. J’ai l’impression que cela se passe bien. Cependant, c’est certain que des juniors n’ont pas encore eu de temps de jeu, mais c’est normal, on prépare le terrain. Ils savent que cela va venir et qu’ils doivent juste continuer à bien bosser. »
Une cohésion d’équipe qui n’a néanmoins pas été imperméable face à l’enchaînement des rencontres. Ainsi, c’est un constat inéluctable, Dudelange semble moins flamboyant qu’en première partie de saison.
Si les raisons d’une supériorité moins évidente sont nombreuses et variées – enchaînement des rencontres, infrastructures d’entraînement moins optimales, blessures et adversaires de plus en plus regroupés derrière – le résultat n’en reste pas moins similaire. Dudelange a élevé les attentes et se voit maintenant plus vite critiqué en cas de victoire avec moins de trois buts d’écart.
Ainsi va la vie dans le monde du football, où les grandes performances supposent inexorablement une demande de plus en plus élevée de la part d’observateurs parfois assez sévères.
Alors comment gérer cette demande accrue et les critiques plus conséquentes, même quand les points continuent à s’empiler ?
« On a habitué les gens à voir un type de football très positif, très offensif, et j’en suis content. Mais il faut aussi comprendre que pendant toute une saison, il y a des moments qui sont toujours plus difficiles. Le groupe ne peut pas garder un tel niveau de qualité jusqu’à la fin. Donc oui, on a eu un coup de moins bien. Mais c’est aussi là que je vois le changement dans la maturité du groupe. La saison passée, on avait une meilleure qualité de jeu après la pause hivernale, mais on avait perdu plus de points. On faisait preuve de plus de naïveté. Là, la maturité est présente, et c’est ce qui nous permet d’aller chercher des points qui sont précieux. Dans le football, si on veut être champion, il faut gagner, absolument. »
Et, dans le fond, il n’est pas difficile de voir que chez Carlos Fangueiro, l’adversité est un fuel utilisable pour retrouver de l’énergie. Ainsi, face aux critiques, le groupe se forge. Se soude. S’arrache. Le tout évidemment alimenté par les causeries d’un coach réputé pour sa capacité à mobiliser ses troupes et à leur donner l’envie de se dépasser. Des discours qui, s’ils peuvent paraître spontanés, sont en réalité travaillés, comme tout le reste, une semaine durant : « Que cela soit à la maison, en conduisant ou après l’entraînement, j’essaye toujours de réfléchir et de trouver un message fort pour parler avec les joueurs avant le match. Si quelque chose me vient pendant la semaine, je prends des notes. La plupart du temps, je sens que j’y arrive. Même moi, quand je parle, j’ai des frissons ! (rires) Mon adjoint me dit la même chose. J’estime que c’est quelque chose qui apporte énormément. Si on réussit à les toucher, ce qui je pense arrive souvent, cela fait une différence folle. »
L’entraîneur du F91 le conçoit sans souci, il « ne crée rien de nouveau. Aujourd’hui on a beaucoup d’informations un peu partout sur comment travailler et optimiser. Mais le plus important est d’adapter certains exercices à notre modèle de jeu, et la qualité des joueurs que l’on a. Cela prend énormément de temps à préparer. »
Un temps dur à trouver, alors que Fangueiro travaille en parallèle plus de quarante heures par semaine. Une situation difficile qui lui permet de rappeler l’importance de son staff « en or », et autorise aujourd’hui le club à viser le titre. Un trophée attendu par tous et qui, après des saisons douchées de revenus conséquents, dépend maintenant énormément des résultats sportifs. Une pression qui n’est pas simple à gérer pour le meneur d’hommes, conscient que les résultats en BGL Ligue, année après année, vont avoir une influence massive sur les capacités de frappe du F91. « C’est un peu stressant, mais j’adore la pression. Logiquement, ce n’est pas ce qui me plaît le plus, mais je dois travailler avec. On est sur le bon chemin pour réussir et on doit continuer comme cela. Dudelange, il y a quelques années, était en phase de groupe européenne, c’était historique ! Il faut féliciter tout le monde, y compris Flavio. Mais après son départ, on a eu des problèmes avec une trésorerie dépassée par quarante joueurs trop bien payés. C’est comme ça. On doit être positifs. Il reste encore quatre matchs à jouer et si on fait bien le boulot, les choses continueront à s’améliorer. »
Questionné sur la saison suivante afin de savoir s’il sera toujours présent pour mener ses hommes, Carlos Fangueiro répond une fois de plus sans fard. « Je vais être très honnête. On a eu une discussion il y a deux semaines avec le président et le CA. Ils ont manifesté l’envie de garder le staff et de continuer. Mais je suis aussi conscient qu’au niveau financier, encore une fois, cela n’est pas le bon moment. Il faut impérativement une compétition européenne. Si c’est le titre, cela donnera une aide vitale. Il y avait une clause dans le contrat de prolongation, qui pouvait être levée jusqu’au 31 mars. Et à l’heure actuelle, le club a été très clair et m’a dit qu’en l’état, il ne pouvait pas actionner cette clause sans plus de certitudes sur la santé financière pour la saison prochaine. Avant cela, on en avait déjà parlé et j’avais été très clair : je suis heureux ici, on a évidemment des touches d’autres clubs, mais ma priorité est de rester à Dudelange. Je ne peux cependant pas assurer que je serai là. »
Bien que le futur soit donc vague pour l’entraîneur, l’heure n’est pas encore à la spéculation. Avant toute chose, il reste un championnat particulièrement disputé à essayer de glaner. Avec évidemment, en point d’orgue, une formidable confrontation contre Hesperange ce dimanche.
Si le titre pouvait jouer un rôle majeur dans la présence de Fangueiro au club la saison prochaine, il ne fait aucun doute que cette composante est aujourd’hui absente de son esprit. Comme souvent – ou comme toujours – ce qui semble véritablement le préoccuper est une constante : gagner un match de football.
Les cinq joueurs clés du système de Carlos Fangueiro :
Meilleure attaque et deuxième meilleure défense du championnat à l’heure où nous écrivons ces lignes, le F91 Dudelange a pu compter sur des joueurs clés qui ont grandement contribué à la place de leader où le club se situe actuellement. Passage en revue des tauliers d’une saison qui pourrait se terminer en beauté.
Mehdi Kirch
Intronisé capitaine du F91 depuis l’arrivée de Carlos Fangueiro à l’été 2020, Mehdi Kirch a su se relever après une édition 2019/2020 compliquée, barré par Thibaut Lesquoy et mis au placard par Bertrand Crasson (seulement deux petites apparitions en BGL Ligue). Celui qui était un taulier du côté du Fola entre 2012 et 2019 l’est redevenu à Dudelange, et même plus. Car au-delà de sa qualité technique indéniable et assez rare pour un latéral, Mehdi Kirch est devenu essentiel, inscrivant pas moins de neuf buts depuis août 2020 et délivrant une dizaine de passes décisives. Son leadership et son expérience dans le football luxembourgeois seront indispensables jusqu’à la fin de cette saison 2021/2022, ainsi que dans la lutte pour le titre de champion.
Kevin Van den Kerkhof
Lui aussi est un pion essentiel du système en 3-5-2 mis en place par Carlos Fangueiro. Indéboulonnable au poste de piston droit, Kevin Van den Kerkhof est, depuis son arrivée dans le championnat luxembourgeois à l’été 2020, l’un des meilleurs joueurs de BGL Ligue. Sa troisième place au classement du Dribble d’Or 2021 est d’autant plus significative que les points sont le plus souvent attribués à des joueurs purement offensifs, même s’il sait l’être aussi, et le fait très bien ! Sa vitesse, sa percussion et sa technique lui permettent de se jouer de bon nombre de défenseurs de BGL Ligue. Et les statistiques parlent d’elles-mêmes : il n’a raté aucune rencontre du championnat depuis sa signature dans le club de la Forge du Sud (ni aucune minute), a inscrit la bagatelle de 15 buts et délivré 13 caviars à ses coéquipiers, faisant de lui l’un des joueurs les plus décisifs du championnat.
Charles Morren
Si sa position, ses statistiques et son gabarit (1,70 m) ne le mettent pas autant en avant que certains de ses coéquipiers, il n’en est pas moins un joueur essentiel du rouage de Carlos Fangueiro. Le milieu de terrain, en plus d’avoir le rôle de récupérateur, fait le lien entre les défenseurs et le secteur offensif du F91 Dudelange. Sa régularité, son style de jeu et son expérience font de lui le cinquième joueur le plus utilisé de la saison et l’un des cocapitaines de cet effectif dudelangeois.
Dejvid Sinani
Depuis son arrivée au F91 Dudelange, deux ans après le départ de son frère, Danel, pour Norwich, Dejvid Sinani a complètement changé le visage offensif d’une équipe en manque de numéro 10 la saison passée. Le milieu offensif luxembourgeois est arrivé avec l’étiquette de valeur sûre, lui qui restait sur une saison pleine avec le Fola Esch avec 15 buts et 12 passes décisives en 22 matchs disputés et un titre de champion à la clé. Si l’adaptation à une nouvelle équipe et à un autre système n’était pas forcément gagnée d’avance, Dejvid Sinani aura su être au niveau dès le début de la saison et apporter sa patte gauche dans une équipe dont il est désormais le métronome. Et que ce soit pour distiller des ballons à ses coéquipiers ou marquer, il n’a pas perdu l’efficacité qui le caractérise si bien. Voyez plutôt : alors que la saison n’est pas encore arrivée à son terme, Sinani a déjà battu son record de buts (…) et de passes décisives (…) en une saison. Pour le plus grand bonheur de son coach et de son club. Comme le bon vin, Dejvid Sinani se bonifie saison après saison, et le cru 2021/2022 est particulièrement savoureux.
Adel Bettaieb
Alors que les sirènes du monde professionnel lui font les yeux doux depuis maintenant de nombreux mois, et après plusieurs transferts avortés pour diverses raisons, le F91 peut à l’heure actuelle toujours compter sur un Adel Bettaieb qui sera indispensable jusqu’à la fin de la saison. Le Tunisien est le deuxième meilleur buteur du club cette saison (13 buts) derrière Dejvid Sinani (16 buts) et devant Samir Hadji (10 buts), son coéquipier à la pointe de l’attaque. Si la permutation est de mise, car quatre attaquants purs fournissent l’attaque dudelangeoise (Hadji, Hassan, Muratovic en plus de Bettaieb), le numéro 27 est le plus efficace des quatre, puisqu’il a participé à 27 % des buts de son équipe (buts et passes décisives compris).
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