Épilogue après le couac lié à l’accréditation des coachs lors des Jeux de Paris qui a conduit Sarah De Nutte à prendre la parole. Face au blâme de la FLTT, un collectif de sportifs et ex-sportifs de haut niveau avait réagi pour la soutenir, et l’athlète vient à son tour de communiquer. Retour sur une affaire lunaire et symptomatique d’une gestion qui interroge.
Tout a commencé par un communiqué de presse du COSL en juillet listant les membres de la délégation luxembourgeoise aux JO de Paris 2024, où apparaissait Peter Teglas comme entraîneur personnel. Or, comme nous le précisait la FLTT dans son mail du 22 juillet pour nous demander de corriger l’information parue dans l’édition de MENTAL! spécial JO, « Peter Teglas n’est pas un entraîneur de la FLTT ni même salarié de la FLTT ». Dont acte, amende honorable est faite, et le sujet aurait pu être clos.
Mais l’affaire va se corser, et en pleine compétition, Sarah De Nutte se voit interdite de communiquer avec son entraîneur pourtant situé juste derrière elle et contrainte de faire appel à l’entraîneur fédéral Tommy Danielsson, occupé à coacher Luka Mladenovic à une autre table juste avant son entrée en lice. Interrogée par les médias en zone mixte au sortir sa défaite le 29/07 face à Shao Jieni, la joueuse a avoué son incompréhension face à cette situation délicate. Une déclaration dans le feu de l’action et sous la frustration de son élimination qui aurait dû avoir l’unique mérite de lancer le débat entre les institutions.
Le lendemain, la FLTT envoyait un communiqué de presse : « En réaction au débat qui a émergé dans l’opinion publique au sujet de l’encadrement de Sarah De Nutte aux Jeux Olympiques de Paris, la FLTT a décidé de ne pas s’exprimer jusqu’à la fin des compétitions afin de ne pas perturber le déroulement des Jeux. (…) Il faut également une analyse approfondie avec tous les responsables, y compris le COSL, car il s’agit d’une compétition olympique et le déroulement, y compris l’accréditation, est de la responsabilité du COSL. » Une remise aux calendes grecques pour apaiser les tensions légitimes lors d’un événement avec une si forte pression médiatique ?
On aurait pu l’espérer, mais la fédération n’a pas souhaité s’arrêter là. Le 3 septembre, lors d’une conférence de presse au siège du COSL, le directeur sportif de la FLTT Heinz Thews a déclaré avoir « pris position sur les déclarations de Sarah de Nutte après le match ainsi que sur les points restant à clarifier avec le COSL. » Le comité olympique publie le lendemain un communiqué disant avoir « pris note des déclarations de la FLTT à son encontre (…) et déplore que la FLTT se soit exprimée par voie de presse ». Pourtant, André Hoffmann, son président, déclare privilégier « un échange constructif personnel avec la fédération sportive partenaire sur les points soulevés », donnant rendez-vous à la réunion dédiée le 11 octobre. Des divergences d’opinion, et surtout une méthode qui est celle-là même reprochée à la joueuse. La boucle est bouclée.
À la suite de cette entrevue, un communiqué de presse commun refermait la parenthèse d’une passe d’armes médiatique malvenue en ces termes : « Le COSL et la FLTT ont conclu que, dans le cadre d’une coopération fructueuse de longue date, il n’était pas inhabituel que des différends et malentendus ponctuels surviennent et ont décidé d’intensifier encore leurs échanges à l’avenir pour renforcer leur collaboration au bénéfice du tennis de table luxembourgeois et du sport en général. » La hache de guerre semble enterrée, tout le monde parait avoir recouvré ses esprits, et trêve d’enfantillages déballés sur la place publique. Il était temps, trois mois après ces Jeux Olympiques dont on aurait dû retenir tant d’autres aspects positifs.
Toutefois, nul n’aurait pu imaginer une suite aussi démesurée à des paroles malheureuses prononcées à chaud après la frustration d’une défaite et un malentendu organisationnel. Des paroles libres, certes déclarées micro ouvert, mais comment en vouloir à une athlète déçue quand sa propre association réagit elle-même par voie de presse ? Et pourtant, une commission d’enquête extraordinaire a été ouverte par la fédération pour une « éventuelle violation de ses devoirs de membre-cadre de la FLTT ». Un dossier a été monté, Sarah De Nutte a fait appel à un avocat et une audience de procédure disciplinaire fut organisée le 21 octobre sur de prétendus manquements aux obligations suivantes : apporter soutien à l’ensemble de l’équipe en compétition ; respecter les décisions de l’équipe et les chefs de délégation ; accepter les décisions du comité directeur ; ne pas faire de déclarations préjudiciables à l’égard de la fédération et de sa promotion. En cause notamment, certains propos relayés par nos confrères : « cela m’a été imposé, je dois l’accepter », « j’ai parfois le sentiment de ne pas être soutenue par toutes les parties » (dans le Luxemburger Wort) ou encore « cette décision n’est pas compréhensible d’un point de vue sportif et professionnel » (dans les colonnes du Tageblatt).
Le verdict du Conseil d’Administration de la Fédération Luxembourgeoise de Tennis de Table est finalement tombé comme un couperet le 6 novembre : en application de l’article 4.4.102 du point 13 du Règlement interne, Sarah De Nutte reçoit un blâme public relayé dans le Bulletin d’information officiel du 08/11. Une sentence loin de faire l’unanimité : dès la semaine suivante, un collectif d’athlètes luxembourgeois publie une lettre ouverte pour soutenir la pongiste mise en cause. Parmi eux, des pongistes bien sûr, mais aussi Flavio Giannotte, Tom Habscheid, Pit Klein, Roby Langers, Mariya Shkolan ou encore Jenny Warling : « Pour que les progrès du sport luxembourgeois ne s’arrêtent pas, nos athlètes doivent avoir l’assurance et la possibilité d’exprimer des critiques constructives, des besoins et des suggestions d’amélioration, sans avoir constamment peur d’être sanctionnés. Dans un pays où la liberté d’expression est considérée comme un droit fondamental, ce droit fondamental doit également être protégé à tout prix afin de garantir la transparence, la cohésion et l’intégrité de la scène sportive luxembourgeoise. En accusant Sarah De Nutte, c’est l’association qui s’est le plus blessée, ainsi que l’image du tennis de table luxembourgeois. » En mettant l’accent sur « les valeurs d’unité, de transparence et de liberté d’expression », cette lettre ouverte est loin de mettre toutes les institutions dans le même panier : elle loue le soutien du ministère des Sports, encense le concept de « Team Lëtzebuerg » initié par le COSL, fait l’éloge de la qualité des formateurs de l’INAPS ou encore appuie sur la sécurité financière apportée par la section des sports d’élite de l’Armée. Des efforts qu’elle estime « sapés par une institution qui pratique l’auto-justification » et empêche toute remise en question et suggestion d’amélioration. Un cas qui n’est pas isolé, toujours selon le communiqué collectif : « En raison des faux pas répétés de la direction actuelle de l’association, un grand nombre de joueurs a tourné le dos à la fédération et donc au sport (…) bloquant sa progression. »
Une chose est sûre : l’affaire Sarah De Nutte pourrait faire jurisprudence et met le doigt sur un sujet qui va au-delà du tennis de table. Ou comment tout le sport luxembourgeois serait en droit d’avancer dans la même direction, en tirant profit de toute remarque constructive et situation d’échec. Finalement, c’est bien le lot de chaque sportif de se servir des défaites pour mieux triompher.
Communiqué de Presse de Sarah de Nutte le 03/12/24 :
Sarah De Nutte a décidé de ne pas faire appel contre la décision du Comité Directeur de la
FLTT
« Forte des émotions suscitées par cette affaire et profondément reconnaissante envers les
nombreux soutiens unanimes de mes amis, sportifs ou non, ainsi que par les multiples prises de
position exprimées dans la presse, c’est à contrecoeur que j’ai décidé de ne pas introduire de
recours contre la décision du Comité Directeur de la FLTT.
S’il est vrai que l’enjeu principal de cette affaire touche tous les sportifs et leur liberté de parole,
qui est fondée sur la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention Européenne
des Droits de l’Homme, à laquelle la FLTT se soumet d’ailleurs, je n’estime pas nécessaire de
mener ce combat à outrance. Il est un fait que la liberté d’expression est bel et bien garantie
efficacement au Luxembourg.
Par ailleurs, chacun aura remarqué que depuis les Jeux Olympiques, je ne me suis jamais
exprimée publiquement. Cette affaire ne résulte donc que de l’interprétation donnée en public
par certains fonctionnaires sportifs qui se sont sentis personnellement visés, alors que ma
critique donnée le jour même du match était d’ordre général et ne ciblait personne en particulier.
À ce jour, plus de quatre mois après, je n’ai toujours pas reçu d’explication valable concernant
la décision de m’empêcher de bénéficier de la présence de mon entraîneur quotidien lors de
mon simple, programmé entre ceux des deux autres compétiteurs luxembourgeois.
En tant que sportive d’élite de l’armée luxembourgeoise et joueuse professionnelle de tennis de
table, je préfère me tourner vers l’avenir. Je n’entends pas consacrer mes forces pour mener une
procédure simplement pour la satisfaction d’avoir raison. Je choisis donc de ne pas m’y attarder
davantage, laissant les dirigeants de la FLTT seuls face à leur décision qui aura permis de faire
émerger d’autres histoires similaires, prouvant que mon cas n’était malheureusement pas isolé
et mettant ainsi au jour des problématiques qui méritent d’être abordées de manière globale.
Au lieu d’avoir été soutenue par la FLTT, dont cela devrait être le but, je regrette profondément
que celle-ci ait porté atteinte à ma personne et à mon image à travers cette affaire qui aurait pu
être gérée de manière plus constructive. Ce sentiment d’injustice renforce mon appréhension
pour l’avenir d’être suivie et jugée pour chaque acte, mais sera cependant compensé par
l’assurance que les actes de la FLTT seront désormais suivis de près par les autres acteurs du
monde sportif.
C’est donc l’esprit libéré de cette affaire pesante que j’aborderai mes prochaines échéances
sportives qui sont mes matches en Pro A et en Ligue des Champions en décembre, ainsi que le
Grand Smash en janvier, avec, en point de mire, les Jeux Olympiques de Los Angeles en 2028.
Je remercie du fond du coeur tous ceux qui m’ont soutenue dans cette épreuve. Et je souhaite
préciser que, découlant de ce qui précède, je ne donnerai pas d’interviews à ce sujet. Merci de
votre compréhension.
Mardi 3 décembre 2024.
Sarah DE NUTTE«
Mental Médias SARL
15 Rue Emile Mark
L-4620 Differdange LUXEMBOURG
m : moien@mental.lu