« Ma femme me dit toujours : soit on t’adore, soit on te déteste. Je polarise, et cela me va ! ». Sur la fin de l’entretien, au moment de se dire au revoir, Barbara Agostino nous lâche, sur le ton de la rigolade, cette petite confidence. Une évaluation qui ne peut véritablement pas nous surprendre, tant, tout au long d’une discussion riche, la femme d’affaires et politicienne lâche son opinion sans fard.
Intronisée nouvelle présidente de l’Union Titus Pétange jeudi dernier, Barbara Agostino revient sur la genèse de cette nouvelle idylle. « Le premier contact a été fait durant la Schuberfouer » explique-t-elle. « Je suis foraine, et j’ai été contactée à ce moment-là par Pascal Wagner, que je ne connaissais pas. Je lui ai demandé de me recontacter mi-septembre, ce qu’il a fait. Il m’a alors proposé de devenir présidente du club ».
Les raisons de cet intérêt ? « J’ai voulu savoir quelles seraient leurs doléances pour intégrer le club. L’ancien président Jean-Paul Duarte était issu d’un milieu promoteur immobilier, tandis que j’ai un autre réseau de connaissances. Le club m’a expliqué cela pouvait être intéressant pour lui d’accéder à deux milieux différents ». Autre facteur en faveur de la conseillère communale de Pétange ? « En tant que chef d’entreprise, je savais gérer une compagnie avec beaucoup de salariés, ce qui est aussi le cas pour l’Union ».
Un dopage financier ? Sans façon.
De son côté, Barbara Agostino, d’abord surprise par cet intérêt, ne cache pas ne pas avoir hésité longtemps avant de sauter à bord. D’abord, car après avoir présenté au comité ce qu’elle proposait, ils étaient « tous partants ». Ensuite, car, pour une femme ayant à coeur le combat de l’équité des sexes, un poste comme celui-ci ne pouvait pas se refuser. « On ne peut pas, en tant que femme, critiquer le manque de représentation, et refuser quand une telle opportunité est alors devant nous. Cela ne suffit pas d’avoir une position victimaire : il faut aussi savoir agir ».
Dorénavant intronisée, quels sont les axes d’avancées prioritaires selon l’ancienne CEO des crèches Barbara ? Avant tout, un sacré chantier : les frais et dépenses liés au club qui, selon elle, sont déjà proches d’avoir franchi la limite. « Sincèrement, j’ai été assez choqué de savoir qu’en BGL Ligue, tous les joueurs ont un contrat et des agents. Aussi, de me rendre compte qu’au sein de notre club, la quasi intégralité des footballeurs ne travaillent pas » admet-elle, avant de rappeler la modestie du pays. « Je ne pensais pas que le Luxembourg en était arrivé à ce niveau. Pour moi, il faudra revoir certaines choses dans ce domaine. Nous sommes au Luxembourg, pas à Metz, Rome ou Naples… »
« Je me vois plus resserrer les boulons que doper le club financièrement. On ne peut pas être dans la surenchère constante. A un moment, cela va bloquer »
Au-delà de salaires jugés trop élevés pour les footballeurs, Barbara Agostino tire aussi la sonnette d’alarme sur le microcosme du football luxembourgeois, bien plus fragile qu’il n’y parait. « Les frais des clubs de BGL Ligue sont très hauts. Nous sommes dans une crise énergétique ainsi qu’immobilière. Ne nous voilons pas la face : les plus grands sponsors au niveau de la BGL sont des promoteurs, des gens aux entreprises sanitaires ou d’électricité. Ces personnes-là ont d’autres préoccupations en ce moment : payer les salaires de leurs employés, rembourser les prêts… Dans leur situation, je me dis que le dernier de leur souci, c’est le sponsoring : par contre, un club ne peut survivre sans cela ». Cette situation, qualifiée de « cercle vicieux » par la nouvelle présidente (« pour être compétitif en BGL Ligue, il faut des meilleurs joueurs, très bien payés… Qui les paient ? Les sponsors »), l’incite d’ailleurs à essayer de trouver une pérennité financière moins dépendante d’autres secteurs, touchés ou non par des crises sur lesquelles une écurie de football n’a pas le moindre contrôle.
En ce sens, Barbara Agostino l’assure : elle n’est pas la nouvelle Flavio Becca, et ne compte pas injecter plus d’argent que de raison. « Je me vois plus resserrer les boulons que doper le club financièrement. On ne peut pas être dans la surenchère constante. A un moment, cela va bloquer. Je préfère être clair avec les joueurs et bien définir où est la limite. Quitte à ce qu’il y ait de l’argent de sponsoring qui rentre pour les jeunes, ou une équipe féminine qui n’existe pas (sourire) ».
Equipe féminine, bénévolat, prix des places : chantiers vastes
Le football féminin, d’ailleurs. Pour l’ancienne (première) capitaine de la sélection nationale, c’est sans surprise que l’on apprend que la création d’une équipe au sein de l’Union est dans son programme. « Bien sûr, c’est un des piliers de notre projet. L’idée serait de faire une entente avec Rodange, et déjà d’avoir une équipe de deux villes de la même commune. Je n’ai pas encore discuté de cela avec eux, mais cela me parait la solution la plus viable. Fonder une équipe juste de Pétange risque d’être compliqué… »
Autre pan de son programme ? Un bénévolat de plus en plus en voie de disparition au Luxembourg et qui, selon elle, doit être repensé. « La diminution des bénévoles, ce n’est pas propre qu’au football. J’ai vu cela de mes propres yeux lorsque j’étais trésorière au Spora ». Si le travail fourni est gratuit, cela ne signifie pas, selon elle, qu’aucune forme de récompense est possible. « Beaucoup de gens viennent travailler gratuitement pour les clubs, mais n’ont pas le moindre retour. Qu’est-ce que cela coûterait de donner quelque chose de temps en temps, de donner une forme de valorisation ? On ne valorise pas assez le bénévolat. Hier, j’ai été me mettre parmi les gens plutôt que de rester dans le carré VIP. On ne peut pas continuer de mettre l’élite d’un côté, et de l’autre « la populasse ». L’être humain a besoin de se sentir accepté, intégré et valorisé. On doit travailler là-dessus impérativement pour assurer une bienveillance au sein de notre société ».
« Ils ont sûrement été surpris de mon attitude, ils ont du se dire « c’est qui cette femme d’1m60 qui nous parle comme ça ? » »
Un soutien de la classe populaire qui se matérialise aussi par une réflexion à venir, sûrement, sur le prix des places. « Hier, on avait 306 entrées payantes. Mais si vous regardez combien de personnes rentrent en deuxième période car c’est gratuit… Il faudrait peut-être y avoir une réflexion sur la gratuité pour tout le monde. On peut par exemple proposer une variante : un ticket payant qui donne une boisson gratuite… Il y a des choses à revoir dans ce domaine ».
Des ambitions sportives assumées
Quand on en revient à ce qui constitue, au final, le nerf de la guerre – les résultats sportifs -, la nouvelle présidente ne cache pas des ambitions élevées, malgré un début de saison dans l’ensemble compliqué : « Ce que je voudrais, c’est terminer dans les quatre premiers, soit potentiellement européen. Et la Coupe évidemment ! » Cette entame de saison ratée, qui place Pétange à une décevante neuvième place, a d’ailleurs t-elle pu tempérer les ardeurs de la femme d’affaires ? « Non » tranche-t-elle. « Pour avoir fait du sport moi-même, je sais qu’un travail sur le long terme ne se reflète jamais tout de suite. Il peut être normal de stagner avant de commencer à grimper. Les dirigeants m’ont assuré qu’il manquait très peu. J’ai donc dit aux joueurs dans les vestiaires que j’ai entendu des bonnes choses sur la compétitivité saine du groupe et leurs qualités. À eux de me les prouver sur le terrain ».
Des louanges pour le groupe qui n’empêchent pas Barbara Agostino de savoir hausser le ton face à ces résultats en dent de scie. « Ils ont sûrement été surpris de mon attitude, ils ont du se dire « c’est qui cette femme d’1m60 qui nous parle comme ça ? » rigole-t-elle, avant de rappeler son degré d’exigence. « On repart sur une ligne blanche. Ils ont d’excellentes conditions d’entraînements, de travail, et ils sont dans le bas du championnat, alors maintenant, il est temps de sérieusement se bouger. Il faut savoir dire stop. Et tant pis si cela met de la pression. Dans leur ligne de métier, et avec ce qu’ils gagnent, s’ils ne supportent pas la pression, il faut faire autre chose… J’ai un seuil de tolérance assez grand, mais quand on parle d’argent et qu’il n’y a pas de retour, à un moment il faut serrer la ceinture »
Qu’on se le dise, donc, les footballeurs de l’Union Titus Pétange pourraient vite sortir de leur relative zone de confort. Déjà sommés de l’emporter contre Mondercange et de ne pas perdre contre Kaerjeng à la reprise, ceux-ci doivent aussi, selon elle, se souvenir de leur position de privilègiés, quitte à faire quelques concessions. « Il faut faire comprendre aux joueurs que nous sommes dans une crise. Les gens ont d’autres choses à penser que le football. C’est un message très clair que nous devons réussir à passer. Dans la situation de crise où nous vivons actuellement, il faut savoir dire aux gars qu’au vu de la situation, il y a potentiellement à revoir certaines indemnités. Il faut être en adéquation avec le monde actuel ».
Le football… mais pas que
Un monde, qui, rappelle-t-elle, voit aujourd’hui un « avocat avec un masters, qui sort de l’université, débuter sa carrière au salaire minimum ». L’ancienne footballeuse elle-même, le répète, l’assène, et le martèle : la discipline sportive ne doit pas réduire au néant les autres possibilités de développement. « Les footballeurs sont dans une bulle dans laquelle on les a mis. Le grand problème de notre société, c’est que nous avons réduit le sport à l’argent. Et je pense que sur le long terme, c’est dangereux ». Une position qui explique alors le désir de cette femme aux nombreuses facettes : « Dans mon idée, j’aimerais faire une école de football mais qui ne soit pas financière. Si on pourrit des jeunes dès 12 ans avec des contrats, ce n’est pas les aider. Ils vont alors ne se focaliser que sur le football. Mais si vous vous blessez à ce moment-là, qu’est-ce que vous faites ? »
« Mesure-t-on un bon club à la puissance financière de son président ? Si demain Becca signe à Rodange, ils gagnent le championnat, non ? Mais veut-on réduire le sport à cette idée-là ? »
Ainsi, et à l’échelle du Luxembourg, Barbara Agostino ne déroge pas à son franc parler, quitte à, par ses propos, potentiellement heurter la sensibilité de ses joueurs. Des personnes, qui, selon elle, auraient tout intérêt à explorer, tout en maintenant leur carrière sportive, d’autres pistes. « Jusqu’à 18 ans, l’école et le sport doivent être au même niveau d’égalité. Le sport ne doit pas prendre le dessus sur la scolarité. Après, quand tu as un diplôme, tu fais ce que tu veux. Il n’y a rien de pire pour moi que des gens qui ne savent à peine lire ni écrire ».
Ainsi, l’époque ou Jean-Paul Duarte réinjectait avec régularité de l’argent au sein du club de Pétange semble en partie révolue. « Comme j’ai dit au comité : si vous m’avez prise pour injecter de l’argent, je ne suis pas la bonne personne » confirme là la nouvelle tête pensante du club. « Je veux bien en fin de saison, si je vois que l’équipe se donne, faire un minimum de sponsoring. Mais pas de chèque à blanc ». Un positionnement qui s’explique aussi par une vision du football aux antipodes de la course au financement qui embrase aujourd’hui le monde du football et donne, selon l’ancienne capitaine de la sélection, une mauvaise image du sport. « Mesure-t-on un bon club à la puissance financière de son président ? Si demain Becca signe à Rodange, ils gagneront le championnat, non ? Mais veut-on réduire le sport à cette idée-là ? »
C’est donc une nouvelle ère qui débute du côté de l’Union. Avec une vision qui tranche avec ce que l’on a pu voir par le passé du côté de Pétange, voire même dans la diaspora du football, Barbara Agostino arrive avec ses idées assumées et une approche différente. Celle-ci sera-t-elle celle de l’équipe de longues années ? Trop tôt pour le savoir, puisque selon la nouvelle présidente, il sera l’occasion de « faire un bilan d’ici deux ans. On pourra parler avec le comité, voir si on est compatible, et satisfait d’un côté comme de l’autre ». Un bilan qui, ne nous y leurrons pas, sera forcément influencé par les résultats des joueurs sur la pelouse. Une affaire de terrain sur laquelle Barbara Agostino n’aura que « peu de contrôle » mais qui ne l’empêchera pas de vivre cette nouvelle aventure à 100%. Qu’on l’adore, ou la déteste.
Mental Médias SARL
15 Rue Emile Mark
L-4620 Differdange LUXEMBOURG
m : moien@mental.lu