Bayern Munich : cauchemar en cuisine

9 minutes

Alors qu’il avait (presque) tout pour dominer le football allemand de la tête et des pieds et faire trembler l’Europe, le Bayern Munich n’a désormais plus que la Bundesliga pour sauver une saison moribonde, voire catastrophique, dont les principaux responsables semblent être Oliver Kahn et Hasan Salihamidzic. 

Allianz Arena, mercredi 19 avril. Le Bayern Munich est sur le point d’être éliminé de la Ligue des champions par Manchester City. Pour la troisième année consécutive, le parcours européen des Bavarois va s’arrêter en quarts de finale. Les ultras de la Südkurve en profitent alors pour déployer une banderole sans équivoque : « Il est possible de s’éloigner des objectifs – mais pas des valeurs du club ! La politique de gestion doit être remise en question ! »

Un message qui vise clairement les dirigeants du club bavarois, à savoir Herbert Hainer (président), Oliver Kahn (CEO) et Hasan Salihamidzic (chargé du sportif). « Je sais comment ça se passe ici quand les objectifs ne sont pas atteints », déclare Kahn aux journalistes juste après l’élimination. « Mais en ce moment, je n’ai que peu de temps pour y penser. Nous nous remettons en question en permanence, mais maintenant, nous nous concentrons sur ce que nous pouvons encore gagner cette saison, à savoir le championnat. »

Force est de constater que le message n’est pas arrivé jusqu’aux oreilles des joueurs. Trois jours plus tard, le Bayern Munich s’incline 3-1 sur la pelouse de Mayence avec notamment un but de Leandro Barreiro, pour le compte de la 29è journée de Bundesliga. Après avoir ouvert le score à la demi-heure de jeu par l’intermédiaire de Sadio Mané et dominé outrageusement (mais de manière stérile) la rencontre, les hommes de Thomas Tuchel se sont effondrés en seconde période, en concédant trois buts en 14 minutes. A l’issue de la rencontre, Oliver Kahn se rend dans les vestiaires et va pousser une gueulante. A peine sorti, il en remet une couche et s’en prend à tout l’effectif, sans distinction : « Nous avons tout essayé avec cette équipe : des entretiens, des joueurs, des systèmes, un changement d’entraîneur. Au final, il y a onze joueurs sur le terrain qui doivent se bouger le cul pour atteindre les objectifs du club. » 

Nagelsmann pour Tuchel, le changement qui ne paye pas

Si le titre est clairement menacé, Dortmund faisant cette année le travail pour aller chercher son premier Meisterschale depuis 2012, il n’est pas impossible que le Rekordmeister finisse par tout de même le remporter une onzième fois de suite. Mais une chose est déjà sûre : la fête n’aura pas la même saveur que les précédentes, tant la saison aura été chaotique, sur et en dehors du terrain. Les dirigeants ont beau mettre la pression sur les joueurs, ils sont au moins tout aussi responsables de la situation actuelle du club. De par les décisions prises, mais aussi par la manière dont ils ont géré les événements de ces dernières semaines. 

La décision la plus radicale prise par le board munichois cette saison est sans conteste le licenciement de Julian Nagelsmann et l’arrivée de Thomas Tuchel. A l’époque, le Bayern ne pointe qu’à la deuxième place au classement suite à une série de mauvais résultats dont trois matchs nuls consécutifs et une défaite 2-1 face au Bayer Leverkusen. Hasan Salihamidzic n’avait d’ailleurs que peu goûté à cette dernière. « J’ai rarement vu ça. Cette performance, ce n’était pas ce qu’est censé être le Bayern Munich. J’ai rarement vu une équipe avec un tel manque de motivation, de mental, de persévérance », s’était emporté Brazzo. Sauf que ce changement d’entraîneur n’est pas intervenu immédiatement après la défaite à Leverkusen, mais…en pleine trêve internationale, juste avant quatre chocs majeurs : Dortmund (en championnat), Fribourg deux fois (en DFB-Pokal puis en championnat) et Manchester City (quarts de finale aller de la Ligue des champions). Un timing qui interroge alors et encore plus maintenant. 

Lors de la présentation de Tuchel, Oliver Kahn a défendu ce changement d’entraîneur, estimant que le triplé était alors en péril. Si le Bayern Munich version Tuchel a bel et bien remporté une victoire de prestige 4-2 face au BVB le 1er avril dernier, le club bavarois a depuis sombré avec notamment une élimination en Coupe d’Allemagne puis en Ligue des champions. Deux objectifs sur trois rayés au stylo rouge. 

Pire encore : un mois après l’arrivée de l’ancien coach du Borussia Dortmund, du PSG et de Chelsea, force est de constater qu’il n’y a pas eu d’ « effet Tuchel ». Le Bayern cuvée 2022-2023 connaît certes quelques bons moments sur le terrain, mais se montre quand même plutôt amorphe la plupart du temps. Sur les sept rencontres qu’il a passées sur le banc du Bayern Munich, Tuchel en a déjà perdu trois. Soit autant que Nagelsmann en…37 matchs cette saison. 

Panique à bord

S’il est trop tôt pour parler d’erreur de casting, il est clair que ce changement d’entraîneur est révélateur des décisions prises par les dirigeants bavarois ces derniers temps : des décisions impulsives, prises sur le coup de l’émotion. Des choix qui doivent en principe avoir des conséquences positives directes mais qui ne s’avèrent pas du tout payants et qui montrent à quel point le Bayern n’est jamais aussi fragile que quand il agit sur un coup de tête. 

En décembre dernier, Manuel Neuer se blesse gravement au genou après un accident au ski. Son gardien numéro un absent jusqu’à la fin de la saison, le club décide en janvier de licencier son entraîneur et ami, Toni Tapalovic, ainsi que de prendre Yann Sommer. Une bonne idée sur le papier, tant le Suisse a fait mal aux Bavarois ces dernières saisons avec Gladbach, mais sur le terrain, le résultat est très différent, Sommer ayant un tout autre style de jeu que celui des gardiens bavarois depuis plusieurs années maintenant. Dont Sven Ulreich, qui a déjà remplacé avec succès Manuel Neuer dans les cages bavarois. 

Toujours en janvier, alors que le club enchaîne les matchs nuls, Serge Gnabry décide de faire l’aller-retour sur Paris pour assister à la Fashion Week. Sur son temps libre. Réaction des dirigeants : amende pour le joueur et sortie de Hasan Salihamidzic dans les médias pour qualifier cette escapade de comportement « d’amateur ». 

Les anciens du Bayern, omniprésents dans les médias allemands ont bien évidemment leur mot à dire sur les dernière péripéties du club. Juste avant la rencontre face au Borussia Dortmund, Lothar Matthäus n’a pas hésité à tacler son ancien coéquipier Oliver Kahn en l’accusant d’avoir géré le changement d’entraîneur n’importe comment et d’avoir piétiné les valeurs du club, que le duo Uli Hoeness-Karl-Heinz Rummenigge a cultivé pendant des années. Une pique qui fait mouche, puisqu’elle a le don d’énerver Kahn, qui demande par la suite à Matthäus de « faire attention » aux propos qu’il tient.

Comme souvent avec Lothar Matthäus, il ne faut pas faire attention à l’emballage, mais au contenu. Le champion du monde 1990 n’a pas tort : l’atmosphère familiale, la solidarité au sein du club sont portées disparues cette saison. Le « Mia san mia » (« nous sommes ce que nous sommes », en dialecte bavarois), le fameux slogan prôné par le Bayern Munich pour justifier qu’il fait les choses à sa sauce, sans se soucier de ce qui se dit à l’extérieur, est aux abonnés. Pour Matthäus, il y a eu un manque d’empathie sur le cas Nagelsmann, dont la nouvelle du licenciement a pris tout le monde de court et a été annoncée en premier par les médias, et non par le club, trois jours seulement après la parution dans Kicker d’une interview de Herbert Hainer, le président du club, qui déclarait que Nagelsmann était l’homme de la situation. Ce qui fait un peu tâche.

Une communication hasardeuse qui pourrait laisser des traces

Des signaux contraires, il y en a eu toute la saison. Alors que le Bayern Munich devait pallier au départ de Robert Lewandowski pour le FC Barcelone, il a fait le choix de recruter…Sadio Mané. Un excellent joueur mais qui n’est pas un avant-centre. Autre transfert douteux : le prêt de Joao Cancelo. Le Portugais, qui n’était plus dans les petits papiers de Pep Guardiola, n’a jamais vraiment réussi à s’imposer au Bayern Munich, que ce soit sous Nagelsmann ou Tuchel. Sané, Cancelo : des choix opportunistes, mais qui n’ont pas transcendé l’équipe.  Enfin, s’il fallait une autre preuve que le Rekordmeister tangue comme rarement ces dernières saisons : après la défaite à Mayence, Oliver Kahn a justifié une nouvelle fois sa décision de se séparer de Julian Nagelsmann. « J’ai toujours parlé de long terme, et non d’objectifs de cette saison », a déclaré le « Titan » dans l’émission « das aktuelle Sportstudio » de la ZDF. Curieux, quand on sait que Nagelsmann avait été engagé pour une durée de cinq ans et que, théoriquement, son contrat court encore (tant qu’il n’a pas d’employeur) jusqu’en 2026, là où celui de son remplaçant, Thomas Tuchel, ne va que jusqu’en…2025. 

Face au désordre ambiant, les rumeurs concernant l’éviction du triumvirat Hainer-Kahn-Salihamidzic vont bon train. Si « Brazzo » est le membre le plus critiqué de ce trio, c’est visiblement Oliver Kahn qui est le plus menacé des trois. Ces derniers jours, le nom d’Uli Hoeness revient avec insistance. L’homme qui incarne les valeurs du Bayern Munich mieux que personne est régulièrement cité pour revenir à la tête du sportif. Lui, ou encore son fils, Florian, qui a repris avec succès l’entreprise familiale de charcuterie. Si les trois larrons ont été confirmés à leurs postes respectifs jusqu’à la fin de la saison, il n’est pas impossible de voir ce bon vieux Uli revenir au premier plan pour remettre de l’ordre à la Säbener Strasse cet été. Ce qui confirmerait l’adage qu’en cuisine, c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes. 

Ali Farhat

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