Est-ce que vous avez toujours eu la fibre entraîneur, y compris lors de votre carrière de joueur ?
Difficile de répondre… Je dirais que oui, d’un côté. En tant que joueur, même si c’est venu plus sur le tard, je me posais beaucoup de questions sur comment je ferais les choses en tant qu’entraîneur, qu’est ce que je changerais, comment j’essaierais de mettre en place l’équipe.
Mais ma personnalité quand j’étais jeune était différente. J’avais certainement un caractère plus timide. En fonction de l’équipe ou j’évoluais, je pouvais être plus en retrait. En équipe nationale par exemple, où je n’étais pas un titulaire indiscutable, j’étais heureux de pouvoir jouer, mais pas un leader de vestiaire ou sur le terrain. Par contre, en club, j’avais ce côté taulier.
Quand j’ai commencé mes fonctions d’entraîneurs, il y avait une certaine crispation et anxiété parce que c’est tout à fait autre chose. Même si j’étais capitaine de l’équipe, prendre les rênes, se présenter devant les joueurs et donner la direction que tu veux prendre, ça n’est pas simple. Je n’avais encore pas tout ce qui est confiance, sérénité, expérience.
Vous avez eu une « fin » de carrière originale avec ce rôle d’entraîneur joueur à Ettelbruck pendant de très longues années. Etait-ce compliqué ?
Oui et non. Sur certains points, c’était même plus facile. Beaucoup de gens disent en effet que diriger et jouer est plus compliqué, mais le sentiment que j’avais à l’époque est que ma compréhension du jeu, des choses à mettre en place était meilleure sur le terrain que sur le banc. Mon feeling était très bon. Pendant des années, quand j’étais à Ettelbruck, j’avais ce sentiment.
Comment cela s’est décidé d’ailleurs, ce rôle d’entraîneur adjoint ?
J’avais décidé de faire le transfert de Beggen à Ettelbruck. Jean-Pierre Gauthier, qui était président à l’époque voulait faire revenir les anciens. Les discussions se sont d’abord faites pour revenir et jouer. Nous avions convenu de tous y retourner. Le club était en Promotion d’Honneur, et l’on voulait aider l’équipe. C’est par après que le Président m’a appelé et m’a dit qu’il voulait me mettre entraîneur. Au départ, j’ai été craintif, j’ai beaucoup hésité. Quinze jours avant de débuter, j’ai appelé le Président, et je lui ai dit que c’était pas pour moi (rires) ! Il m’a convaincu de le faire. La première causerie que j’ai eu avec l’équipe était catastrophique d’ailleurs. J’étais trop nerveux. Trouver l’équilibre entre la proximité avec des gens que je connaissais depuis longtemps et la distance qui est logique quand on a une fonction différente était difficile. Cela a été très compliqué pour commencer. On a perdu le premier match à domicile, où on était archi favori… Heureusement, nous avons suivi par si je me souviens bien sept matchs de suite, l’équipe a gagné en confiance, et ça a commencé à prendre.
C’est difficile de se faire accepter en tant qu’entraîneur si jeune ?
C’était très délicat. Lors de mon arrivée, le club visait la montée en BGL Ligue depuis des années et n’y arrivait pas. Il y avait un certain groupe de joueurs qui était considéré comme difficile, avec un désir de tout diriger. Le président m’a dit qu’il fallait exploser ce groupe. J’ai répondu que non, et que j’allais régler ça. Au final, ils sont tous restés et ça a fonctionné.
Se mettre soi-même sur le terrain n’a t-il pas provoqué des tensions ?
Au début, non. J’étais quand même joueur de l’équipe nationale, j’étais plus que légitime. Je me suis même mis passé un certain temps sur le banc, car je voulais préparer les nouveaux et leur donner les clés. Sur la fin de ma carrière de joueur, j’ai pratiquement uniquement joué sur mon expérience et ma maturité. Je ne rentrais en match que quand je sentais qu’ils avaient besoin de confiance. Je ne dis pas que je faisais tourner le match de par mon talent, mais mon expérience pouvait aider à ce moment-là.
Ensuite, vous rejoignez les espoirs. Était-ce l’étape suivante que vous attendiez ?
Pas du tout. Déjà, je n’avais pas de plan de carrière. Lors de ma dernière année à Ettelbruck, nous perdons un match de coupe 6-0 à Hamm. Je vais voir le Président pour lui dire que j’arrête, car j’ai pris conscience que quelques joueurs ne pouvaient plus fonctionner avec moi. Si je continuais, cela impliquait de s’en séparer. Nous avons eu une réunion le lendemain, il m’a demandé de terminer la saison, mais à peine quinze jours plus tard, j’ai décidé de raccrocher. Je n’avais pas de plan. Et, un peu par hasard, je me suis retrouvé à un event, et le président de la Fédération est venu me voir et m’a demandé pourquoi je n’avais pas postulé pour le poste d’entraîneur des U21. Il m’a dit que je pouvais être un candidat si cela m’intéressait. Je me lance, et on me dit de contacter Guy Hellers. J’essaye mais ce dernier ne me répond pas. Aujourd’hui, je sais que c’est parce qu’il ne me voulait pas.
Vous savez pourquoi ?
Aujourd’hui… Oui, je sais pourquoi. Guy aimait travailler avec des gens qui fonctionnaient comme lui. Ceux qui avait d’autres idées, il ne voulait pas s’associer avec. Le Président a fini par l’obliger de me voir… Quand on a fini par se rencontrer, quatre de ses copains étaient dans le bureau et aujourd’hui… je ne peux que rigoler du discours qui avait eu lieu ce jour-là. C’était très, très pauvre. Cela n’avait rien à voir avec le football ou quelque chose de professionnel. Après coup, j’ai compris que ma tête ne lui revenait pas tout simplement. Et ce qui s’est passé les semaines suivantes n’ont pas été dans l’intérêt général du football luxembourgeois. J’étais peut-être un peu naïf à mon arrivée car j’étais très motivé et n’avais pas de problèmes avec qui que ce soit. Dans mon idée, j’étais là pour faire progresser les U21, pas pour être copain avec X ou Y. Encore une fois, en sachant ce que je sais aujourd’hui, je suis parfaitement conscient que certaines choses étaient faites exprès. Mais c’est le passé.
Quand vous prenez les A, vous avez une appréhension ? Ou vous vous dites que c’est trop tôt ?
C’était en août 2010, lors de mon premier entraînement avec les U21, ici à Mondercange. J’arrive pour faire ma séance, je rentre dans le vestiaire, et on me demande de passer dans la salle de réunion. J’y vais, tout le comité est présent. Le Président me demande « t’es au courant ? » Je réponds que non, et il me dit « assieds toi pour éviter que tu ne tombes » (rires) !. Il m’explique que deux heures auparavant, Guy Hellers a posé sa démission et qu’elle a été acceptée. La Fédération me demande alors de reprendre le match amical du lendemain contre le Borussia Möenchengladbach, puis une autre rencontre la semaine d’après contre le Pays de Galles. À ce moment, c’est pour dépanner. J’accepte évidemment. Je n’ai pas eu la question de me demander si j’étais prêt. Je me suis simplement interrogé sur comment allait répondre les joueurs à mon arrivée. Encore une fois, je fais un premier discours nerveux, crispé, rien de bon. On joue le match au pays de Galles avec une excellente première mi-temps et une deuxième bien plus difficile (NDLR, défaite finale 5-1 malgré le 1-1 à la pause). Et sur le retour, quelqu’un du comité me propose de discuter de l’avenir. On s’est retrouvé, et ils m’ont annoncé que j’étais leur premier choix pour le poste de sélectionneur. Évidemment, j’ai accepté. En tant qu’entraîneur, comment peut-on refuser la sélection nationale ?
Lors d’une précédente interview, vous avez raconté une anecdote avec Guy Stephan qui semble en dire long sur votre caractère parfois difficile en tant que joueur. Le Holtz entraîneur aurait-il coacher le Holtz joueur ?
Non (rires) ! Je n’étais pas facile. Je voulais tout le temps jouer. Et quand j’étais remplaçant, j’avais du mal à accepter cela. Alors que soyons clair, j’avais parfaitement tort. Si je n’étais pas sur le terrain, c’est qu’il y avait des joueurs qui étaient certainement meilleurs que moi. Et mes réactions n’étaient clairement pas justifiées. Et en effet avec Guy Stephan, lors d’une opposition, j’avais commencé sur le terrain avant de devoir sortir et devenir juge de touche. J’ai commencé à jongler avec le drapeau, car je me disais « qu’est ce qu’il me fait chier à me faire faire ça (rires) » ! Et là, il m’a violemment gueulé dessus. Et j’étais en tort, je le sais. J’étais très têtu, et assez négatif par rapport au collectif. J’ai une autre anecdote avec la sélection, où je sentais que je n’allais pas être dans le onze. À l’entraînement, j’ai balancé la balle en tribunes parce que j’étais frustré. Mais ce genre d’attitude m’a nui au final, car le lendemain pour la rencontre, évidemment que je restais sur le banc. Aujourd’hui je le sais, l‘entraîneur avait raison. Mais c’est quelque chose avec lequel tous les joueurs de foot doivent composer à un moment. Quand j’étais à Ettelbruck, à un moment, quelques joueurs d’un certain âge ont commencé à moins jouer. Et même si j’avais une grande relation humaine avec eux, le fait de les mettre sur le banc de touche faisait du mal à notre amitié. Ma femme ne comprenait pas que j’accepte ces attitudes, mais je lui disais que c’est humain, et logique en tant que joueur. À moi de faire mon job, et le fait que c’est un ami ne peut pas rentrer en compte. Les sentiments doivent être mis de côté. Et ce qui est intéressant, c’est de voir que la relation humaine coince un moment, mais à peine une ou deux années après, c’est reparti. Parce qu’ils ont eu le temps de digérer, et d’analyser.
À l’époque, les résultats de la sélection étaient bien moins bons… preniez-vous du plaisir à jouer sur le terrain, au-delà de la fierté de représenter votre pays ?
Sincèrement, non. Attention je ressentais toujours un énorme plaisir et une grande fierté quand j’étais sélectionné. Et la joie était énorme au moment d’aborder le match. J’adorais me retrouver avec le groupe, être avec mes coéquipiers… Chaque séance d’entraînement était profondément agréable. Mais la rencontre en elle-même… Malheureusement, tu ne faisais que subir. Je me rappelle de tant d’affiches où on avait tellement subi, que quand je voyais au tableau d’affichage que j’allais être remplacé, j’étais presque heureux. Je me rappelle d’un match où nous perdons 5-0 en Norvège, avec cinq buts dès là 50e minute… On ne dépassait pas le milieu de terrain, ils nous étouffaient.. Dans ce cadre, c’est très compliqué de prendre du plaisir. Et beaucoup de rencontres se sont déroulées comme ça. Sans une certaine maîtrise, sans un certain contrôle, c’est dur.
Quel type d’entraîneur êtes vous ? Vous considérez-vous proche de vos joueurs, ou aimez-vous garder une certaine distance ?
J’ai évolué par rapport à cela. Quand j’ai commencé à Ettelbruck, en tant que joueur, j’étais proche de mes coéquipiers. Donc je me suis dit « il faut que tu sois distant pour être respecté ». Quand tu es jeune, tu ne sais pas gérer ce genre de situations. Et puis, au fur et à mesure du temps, je suis peut-être redevenu trop proche de mes joueurs, et certains en ont sûrement profité un peu. Quand j’ai rejoint les U21, il y a une distance qui s’est faite automatiquement de par la différence d’âge. Et quand je suis devenu sélectionneur, j’ai eu à nouveau le même raisonnement qu’à Ettelbruck : « t’as joué avec certain, il faut que tu sois distant ». Et j’ai recommencé à mettre une barrière, en particulier pendant mes premières années. Je pensais beaucoup que le respect s’associait avec la distance.
Et ces dernières années, je repasse à une forme de proximité. Je pense aussi que cela vient avec l’âge. J’ai l’expérience et la maturité pour savoir quand dire stop tout en ayant une relation proche. Et il faut dire que les relations et communications aujourd’hui sont totalement différentes d’il y a ne serait-ce que cinq ans. De nos jours, je suis hebdomadairement en contact avec mes joueurs, que cela soit par message écrit, vocal, visio-conférence comme pendant le Covid, etc… C’est un monde qui a totalement changé.
Comment réussit-on à s’installer comme un leader naturel, le « chef » du groupe ?
Au fil des mois voire des années, tu prends de la confiance. Mais j’ai toujours eu des convictions et des règles très claires dans ma tête par rapport à pas mal de choses, en particulier le respect. Nous sommes en groupe, en communauté, et il faut accepter comment les choses fonctionnent. Si on ne l’accepte pas, chacun a le droit a une deuxième voire troisième chance… mais après, tout le monde doit être enseigné à la même école. Et le respect va dans les deux sens. Beaucoup de gens pensent que les joueurs doivent te vouvoyer, que c’est un manque de respect s’ils vous tutoient. Je ne suis pas d’accord avec ça. Le respect, ça n’est pas cela. Il y a d’autres aspects bien plus importants. Et au final, s’ils remarquent que tu les respectes, cela sera mutuel. Et ensuite évidemment, au niveau des décisions que tu prends, de tes choix qui ne sont pas forcément faciles, qu’ils en soient heureux ou non, ils doivent accepter tes convictions.
Pensez-vous être un meilleur entraîneur aujourd’hui qu’à vos débuts ?
J’ai cinquante-deux ans aujourd’hui. Et j’ai honnêtement plus de confiance en moi, en mes capacités et celles de mon groupe. Quand j’ai commencé avec le Luxembourg et que je parlais à des homologues à l’étranger, je me demandais comment ils allaient me respecter. La vision de notre pays, amateur, était bien pire qu’aujourd’hui. Nous n’avions que Mario Mutsch de professionnel au début. Maintenant, tous les deux ans, nous nous retrouvons à l’UEFA à une réunion ou tous les sélectionneurs sont là. Tu prends de la confiance, tu fais partie des meubles. J’ai tellement évolué lors de ces dix dernières années que je me dis sans souci qu’entre le coach Luc Holtz à ces débuts et celui d’aujourd’hui, il n’y a pas photo. Avec tout ce que j’ai vu, appris, c’est obligatoire. Et je ne pense pas que cela soit arrogant de dire cela. Il ne faut pas se rabaisser parce qu’on est luxembourgeois. Nous avons un atout énorme par rapport à d’autres nations, c’est que nous regardons ce qui se passe ailleurs. Nous ne restons pas bloqués dans notre vision.
Et dans votre métier aujourd’hui, quel pourcentage prend le pédagogique devant la tactique ?
Pour moi c’est clair et net, la pédagogie est largement supérieure à la tactique.
Largement ?
Largement. Regardez Paris aujourd’hui : le côté management doit prendre 95% du temps. Pochettino, qu’est ce qu’il veut expliquer à Messi au niveau tactique ? D’ailleurs, des retours que j’ai eu sur Paris sous Tuchel, c’est bien que l’énorme majorité de ton travail était du management. Et de toute façon, si tactiquement tu es nul : à ce niveau, tu n’existes pas. Tes joueurs ont tout vu, ils ont eu tellement d’entraîneurs, tu ne peux pas leur raconter n’importe quoi. Tu dois avoir un bagage tactique.
Est-ce que les périodes sans matchs sont longues pour vous ?
Beaucoup trop longues. Je souffre (rires) ! On va jouer l’Azerbaidjan et l’Irlande, et après nous allons avoir une pause de quatre mois. Les gens pensent que je vais profiter de mes vacances, mais non. Je souffre. Quand on sort d’un stage de dix jours, les deux jours qui suivent, je suis épuisé. Je dois bien expliquer à ma femme que j’ai besoin de quarante-huit heures pour me remettre. Mais après cela, je suis reparti de nouveau. La gestion de tout cela n’est pas toujours simple. Quand tu reviens avec la sélection, tu dois toujours te réhabituer… Ta première conférence de presse, ta première causerie, ton premier entraînement… Et des que c’est revenu, tu t’arrêtes à nouveau. C’est difficile. J’aimerais bien sûr avoir beaucoup plus de matchs.
Vous arrivez à lâcher complètement ?
Non, pas vraiment. C’est sincèrement très rare. Là où j’arrive le mieux à lâcher, c’est uniquement en hiver quand je pars au ski. Quand je suis à la montagne, il y a des moments où je ne pense à rien, même plus au football. Mais par exemple, cette année nous sommes allés en vacances à Algarve en famille. Je ne vais pas le dire à ma femme mais j’ai presque pensé au football 24h sur 24 ! Je reçois des messages de joueurs qui me posent des questions donc je ne lâche jamais. Hier, j’ai eu le directeur sportif des Young Boys de Berne au téléphone pour Kiki Martins, j’ai eu quelqu’un de Troyes pour Gerson Rodrigues. Après les qualifications, j’irai à Troyes pour aller le voir, voir dans quelle position il joue, comment ça fonctionne dans le club. Les week-ends, je suis les matchs dès que je peux, je regarde l’animation que l’équipe a, le poste dans lequel mon joueur joue, et je discute avec lui, je lui pose des questions : quelle est l’organisation dans laquelle vous jouez, quelle est ton rôle, qu’exige le coach de toi… Pour savoir ce qu’il a l’habitude de faire.
Vous avez des contacts avec les entraineurs de vos joueurs ?
Aujourd’hui, les contacts se font plutôt avec les directeurs sportifs. L’entraineur de club a déjà beaucoup de choses à faire au quotidien que ces personnes sont là pour ça. Le directeur sportif fait passer les messages du staff et nous lui faisons passer nos messages également.
Vous parlez souvent de l’apprentissage constant. Chaque rencontre, gagnée, perdue apporte toujours quelque chose. Mais n’existe t-il pas fondamentalement de rencontres qui n’apportent rien ?
Non je ne pense pas. Personnellement, j’apprends de chaque match. Après chaque rencontre, qu’on gagne ou qu’on perde, je me demande toujours ce que je peux faire encore pour améliorer encore mon équipe. Au Portugal, la toute première question que j’ai posé à mon staff, c’était « qu’est ce qu’on aurait pu faire autrement ? ». On se dit toujours qu’on aurait pu mettre en place une autre organisation, faire ceci, cela… Après coup, tu ne sais jamais ce que cela aurait donné, mais c’est toujours la question que je me pose. Ensuite, tu revisionnes le match, tu donnes un feedback aux joueurs, tu leur poses des questions… De chaque match, on en ressort des choses, que ce soit positives ou négatives. Contre les portugais, si on veut garder un résultat très serré, il faut qu’on soit presque parfait, or on n’a pas été parfait ce jour-là. Il y a pourtant eu beaucoup de choses très intéressantes, mais les erreurs que nous avons faites, à ce niveau-là, ça ne pardonne pas. Et l’intensité que le Portugal a mis était certainement un peu trop élevée pour certains de nos joueurs. Et je dis toujours que pour passer un cap, il faut d’avantage de membres de la sélection qui jouent dans un grand championnat, qui jouent des matchs de Champions League. Kiki Martins, face à des équipes qui mettent un pressing haut et intense comme la Serbie, le Portugal ou l’Atalanta, était moins à l’aise, moins précis que d’habitude. Il sait le faire, mais il doit garder cette intensité toutes les semaines. Jouer avec les Young Boys qui dominent le championnat suisse tous les week-ends, ça le met dans un fauteuil. Donc j’espère qu’il passera un cap en jouant en Bundesliga ou en Premier League.
Offensivement, vous avez des joueurs aux qualités techniques évidentes et qui vous permettent de jouer le jeu offensif que vous prônez. Si vous n’aviez pas cette qualité, continueriez-vous d’imposer votre vision ou vous vous adapteriez aux forces en présence ?
Je m’adapte toujours aux forces en présence. Je suis quasiment forcé de jouer de la manière dont on joue. Aujourd’hui, offensivement, on n’a qu’un seul joueur de percussion, c’est Gerson Rodrigues. Si aujourd’hui je dis « on joue bloc bas et on procède en contre-attaque » avec Danel Sinani, Olivier et Sébastien Thill ou Maurice Deville, ça n’ira pas car ce ne sont pas des profils de contre. Ce sont des joueurs fantastiques qui peuvent procéder par attaque placée, dans les vingt derniers mètres avec des petits espaces, c’est là où ils ont les plus grosses qualités. Or dans des situations de contre avec des courses de 30 ou 40 mètres, ils n’ont aucune chance, on l’a vu contre le Portugal. Donc je m’adapte aux joueurs qui sont là, et c’est pourquoi je recherche aussi ces profils de percussion. Je suis aussi le championnat luxembourgeois et il y a des joueurs comme Dejvid Sinani au F91 ou Artur Abreu à Pétange qui ont quasiment les mêmes qualités footballistiques que Danel Sinani, Sébastien ou Vincent Thill, mais je ne peux pas mettre dix joueurs comme eux sur le terrain. Si j’avais d’autres profils avec plus de qualité de percussion, je m’adapterais aussi. Contre une nation comme le Portugal, j’envisagerais peut-être de mettre un bloc plus bas et de jouer la transition. Après la Serbie, on avait deux, trois jours de libre et j’ai fait une séance d’entrainement spécifique sur la transition. Ça a bien fonctionné, mais dans le match c’était plus difficile. Il faut toujours savoir quels sont nos forces et faiblesses.
Si on prend les deux matchs à domicile face à la Serbie (0-1) et le Portugal (1-3) qui ne se jouent finalement pas à grand chose, que manque t-il encore selon vous ?
Pour moi, il y a deux choses. On parle souvent d’agressivité. Mon discours face à la Serbie était basé sur cela. Je leur avais montré des images du match aller où les serbes avaient été très agressifs, à la limite de la régularité. Je leur ai dit « aujourd’hui, on est chez nous, c’est nous qui dictons l’intensité dans les duels, l’agressivité. Il faut être à la limite » et c’est ce qu’on a fait, presqu’à la perfection. Défensivement, on a été très présents avec une agressivité mentale quand l’adversaire avait le ballon. Ce qui nous manque maintenant, c’est cette agressivité quand nous, nous avons le ballon, dans les 30 derniers mètres. On n’est pas encore assez tueurs, on est trop gentils, on n’a pas la volonté de mettre cette balle aux fonds des filets. Donc il faut dans un premier temps davantage d’agressivité. La deuxième chose qui nous manque, c’est un buteur. On n’a pas cette individualité en pointe comme peuvent l’avoir la Pologne avec Lewandowski ou la Serbie avec Mitrovic. C’est ce qui nous manque encore selon moi pour battre des adversaires du calibre de la Serbie.
On parle beaucoup de cette troisième place qui serait historique pour le Luxembourg. Pour vous, que représenterait-elle ?
Pour moi, si on arrive à garder cette position, ce serait quelque chose d’extraordinaire car si on regarde l’Irlande, la plupart des joueurs évoluent en Premier League, donc terminer devant eux serait fantastique. Avec six points, on a déjà fait la meilleure phase de qualifications de notre histoire. On pourrait se contenter de cela, mais on a l’ambition de garder cette troisième place, ce qui passera par une victoire au minimum. Si je prends tous les matchs que l’on a joué jusqu’ici, contre la Serbie à domicile on aurait pu récolter quelque chose, face au Portugal aussi le premier match était très serré. En Azerbaïdjan et face à l’Irlande, ce seront une nouvelle fois deux rencontres qui se joueront à rien. Il faudra qu’on soit prêt mentalement et physiquement, et avoir ce facteur chance de notre côté. Quatrième, ce serait la place logique puisque nous étions dans le chapeau 4, mais passer une étape en plus en terminant troisième, ce serait fantastique. Ça collerait avec le développement que l’on a pris ces dernières années.
Vous parlez souvent de la difficulté d’enchaîner deux rencontres de si haute intensité dans des intervalles aussi faibles. Comment réussir à progresser dans ce domaine ?
Comme je l’ai dit, en ayant d’avantage de joueurs professionnels. Aujourd’hui, ils sont une quinzaine dans notre effectif et ce n’est pas suffisant. Au mois de juin 2022, on va démarrer la Nations League avec quatre matchs en douze jours, donc si on veut être performant sur ces quatre matchs, il faudra faire des changements à tous les postes. Or, aujourd’hui, c’est encore difficile parce qu’on ne peut pas remplacer les joueurs qui ont l’habitude de ces matchs un par un. Ça dépendra des équipes que l’on va jouer, mais je suis déjà en train de me poser la question de savoir contre quel adversaire pourrais-je faire tourner un petit peu l’effectif. Je vais essayer de jongler pour que nous ayons l’équipe type à 100% face à l’adversaire le plus coriace du groupe. Mais sur ces quatre matchs-là, nous aurons besoin d’absolument tous les joueurs, et tous devront hausser leur niveau, même ceux qui jouent en BGL Ligue, parce que l’intensité est différente. Pour vous donner un exemple, Aldin Skenderovic, qui joue à Niederkorn, a cette capacité de hausser son niveau. Et son pic, il l’atteint à chaque fin de stage, quand il a une certaine période d’entrainement plus intensive dans les jambes. Mon objectif, ça va être de faire des séances intensives sans pour autant fatiguer les joueurs. C’est pourquoi on travaille souvent par groupe par rapport aux joueurs titulaires dans leurs clubs et ceux qui jouent un peu moins. C’est la responsabilité du staff de faire en sorte que tout le monde soit frais et en forme pour débuter les matchs. C’est un vrai challenge.
Vous parlez du fait d’avoir davantage de joueurs professionnels. Vous pensez donc que l’exode des joueurs luxembourgeois sera plus bénéfique que de pousser vers la professionnalisation de la BGL Ligue ?
Pousser vers une BGL Ligue plus professionnelle, ce n’est pas forcément faisable aujourd’hui. Ce n’est déjà pas parce qu’un joueur est mieux rémunéré, que c’est un meilleur joueur. J’ai parfois l’impression qu’ici, on veut croire qu’un meilleur salaire implique des meilleures performances.
Mais avoir des joueurs qui sont à 100% concentrés sur le football plutôt que d’avoir un travail à côté, ne serait-ce pas déjà un bon en avant ?
Pour moi, c’est surtout la qualité de l’entraînement et l’intensité des matchs qui sont décisifs, pas l’aspect financier. Aujourd’hui, combien de clubs sont capables d’être gérés de façon professionnelle, que ce soit au niveau de l’administration, des joueurs, du staff ? Au niveau financier, il faudrait des budgets de quatre, cinq millions d’euros. Il y en a quelques uns qui ont des budgets élevés, mais on ne peut pas faire un championnat à quatre ou cinq équipes, même si je suis tout à fait d’accord qu’une BGL Ligue à seize équipes, ça n’augmente pas le niveau du football luxembourgeois. Après, pourquoi les meilleures équipes n’arrivent pas à creuser un écart important avec les plus petites équipes ? Comment Strassen peut être aussi bien placé, comment expliquer que Hesperange ne soit pas aussi dominateur ? Ce sont des questions que je me poserais si j’étais responsable de ces clubs. Donc faire un championnat professionnel, je pense que ce n’est pas faisable. Est-ce qu’avoir un championnat professionnel augmenterait l’intensité et la qualité de nos matchs ? Je me pose aussi cette question. Ce qui compte, c’est la qualité et l’intensité des séances d’entrainement qui se répercuteront sur les matchs, qui feront qu’on pourra dire « maintenant, on a franchi un palier ».
Que manque t-il selon vous précisément, pour franchir ce palier en BGL Ligue ?
Quand je regarde nos clubs qui jouent lors des tours préliminaires de coupe d’Europe, en dehors du résultat, j’ai rarement eu l’impression qu’on a eu la maitrise, le contrôle sur le match. En tant qu’entraineur et sélectionneur, c’est une question que je me pose quand on affronte la Serbie, l’Azerbaïdjan ou l’Irlande. Je pense qu’aujourd’hui, on a une certaine maitrise sur les matchs qu’on joue.
Le Fola a joué contre une équipe de Gibraltar, je me dis que si on n’arrive pas à avoir la maitrise contre une équipe comme celle-ci, quand est-ce qu’on peut l’avoir ? Le résultat est la suite logique de la maitrise, d’un contrôle sur le match. Ce n’est pas du tout une critique, car je sais combien ils travaillent et s’investissent, mais je pense qu’il faut mettre la réflexion sur ces questions-là. Néanmoins, je pense que nous allons dans le bon chemin, et que d’ici trois, quatre ans, ils seront capables de passer plus de tours.
L’image du pays semble changer, au vu des déclarations des adversaires, et le sérieux qui est mis pour l’emporter. Mais n’est-ce pas aussi l’image que se font les luxembourgeois qu’il faut aussi réussir à faire évoluer ?
Je pense que ça a tout de même évolué. Je prends note des critiques qu’on reçoit toujours et que moi, l’entraineur, reçois toujours. Et à ce niveau-là, j’ai lu il y a quelques jours un papier qui disait : « les gens qui te critiquent sont ceux qui travaillent moins que toi, et les gens qui te respectent sont ceux qui travaillent plus que toi ». Cela m’a beaucoup plu. Et je pense que le problème de beaucoup de luxembourgeois, c’est qu’il y a une grande jalousie de l’autre. On regarde toujours le voisin pour avoir mieux que lui. Et dans le sport, c’est pareil, il y a une certaine rivalité entre certains sports. Mais je pense que tout ça est en train d’évoluer et le meilleur exemple, c’est la vente des billets pour notre match face à l’Irlande. Quelqu’un de l’administration m’a passé ce message hier, il m’a dit que c’était la première fois de l’histoire que nous avons réussi à faire sold out en ayant vendu des billets qu’aux Luxembourgeois. Avant, c’était quand nous jouions le Portugal, la France, l’Italie… Et les gens venaient voir ces pays. Là, c’est contre l’Irlande et pour nous voir. Et on prend tous du plaisir à travailler dans ces conditions-là, donc je crois que les gens remarquent que quelque chose se passe. Il restera toujours des gens pour critiquer et pour me critiquer, mais on fait avec. Ma maman m’a fait la remarque encore il y a quelques jours que quelqu’un avait dit que je pouvais être moins arrogant. Je lui ai dit « j’aimerais avoir 23 joueurs arrogants ». Parce que si j’ai 23 joueurs gentils, on n’ira nulle part. Il faut avoir de la personnalité, de la confiance en soi, sinon on ne gagne rien.
Onze ans, c’est long. Comment réussir à garder les choses « fraiches », ne pas ressentir de lassitude, voire d’impatience ?
Je pense que ma motivation est encore plus grande qu’au premier jour. C’est peut-être mon caractère qui fait ça, mais même en temps que joueur, j’étais ultra motivé lors de chaque match. Ce sont aussi les critiques qui me motivent chaque fois à faire mieux pour leur montrer qu’ils ont tort. C’est un état d’esprit. Soit je fais quelque chose à 100% avec tout mon enthousiasme, soit je ne le fais pas. Si je n’ai plus cette petite flamme pour ce job, j’arrête. Mais aujourd’hui, ma motivation est plus grande que jamais et je suis toujours tourné vers le futur.
Entretien réalisé par Tendai Michot et Julien Sins
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