Dix-huit jours sont passés depuis l’arrivée d’Olivier Thill et de son frère Vincent au Luxembourg. Nous rencontrons le premier au stade Jos Haupert pour un entretien d’une demi-heure avec comme discussion centrale son ressenti concernant un voyage épuisant moralement et physiquement. Car il leur aura fallu quatre jours pour réussir à regagner le Luxembourg. Un périple qu’il ne s’attendait pas à vivre encore quelques semaines plus tôt. « Au début, personne ne pensait qu’il allait se passer quelque chose. Nous les étrangers, on a même demandé à nos coéquipiers ukrainiens et aux dirigeants s’il fallait s’inquiéter, mais ils étaient sûrs qu’il n’y aurait pas de guerre. La guerre du Donbass existe depuis déjà des années, donc ça a été une surprise pour tout le monde et personne n’y était véritablement préparé. » C’est ainsi qu’Olivier Thill se réveille le jeudi 24 février, à six heures du matin, au son des sirènes. « Quand je me suis réveillé, j’ai tout de suite compris. J’ai appelé Vincent, mais comme il ne décrochait pas, j’ai pris un taxi pour aller directement chez lui. Quand je suis arrivé, je lui ai dit “prends une valise, on part” ». À neuf heures, les deux frères se rendent au centre d’entraînement, là où une réunion était organisée par le club pour décider quoi faire. « À Poltava, on était a priori en sécurité, mais ils ont autorisé les étrangers à rentrer chez eux. Logiquement, on voulait tous partir, du coup ils ont essayé de nous trouver un bus, mais il a mis trop de temps à venir. »
« J’ai encore des flash-back dans la tête de certains pères qui quittaient leur famille pour aller combattre », Enes Mahmutovic
Les joueurs veulent rejoindre Kiev, mais les affrontements se font déjà ressentir dans la capitale ukrainienne. C’est alors que l’un des directeurs sportifs du club leur propose deux voitures pour se rendre dans sa maison, à Lviv, 900 kilomètres plus loin. « On est partis à neuf personnes dans deux voitures, avec des coéquipiers croates. Dans la voiture, c’était plutôt calme. Il y avait beaucoup de bouchons et les routes en Ukraine, ce n’est pas top. Il y a eu beaucoup de changements de plans et on a dû modifier notre chemin plusieurs fois ». Parmi ces changements, le bombardement d’un pont et l’idée alors de rejoindre Tiraspol et la Moldavie, là où leur frère aîné, Sébastien, joue actuellement. Car Lviv se trouve à huit heures de route, alors que Tiraspol n’en était plus qu’à trois. Ils optent finalement pour la maison de leur directeur sportif, où ils arriveront vers trois heures du matin le samedi.
Enes Mahmutovic nous rejoint alors. Le défenseur central, qui évolue depuis un an et demi du côté du PFC Lviv, aussi en première division ukrainienne, revient sur une conversation avec Olivier : « La veille, Oli m’appelle et me dit “fais attention, il y a un truc qui va se passer”. Et le lendemain matin à six heures, j’entends les sirènes, je vois que j’ai reçu plein d’appels durant la nuit et je me dis “c’est sérieux maintenant”. C’est comme dans un film, on ne sait pas trop quoi faire, on regarde le journal, les réseaux sociaux… La première chose à laquelle on pense, c’est faire une valise. » Lui n’a pas pris le même chemin que les frères Thill. Vivant à seulement une heure et demie de la frontière polonaise, Enes Mahmutovic a pris directement cette direction. « On a eu une voiture du club. On est partis le jeudi à 19 h, mais au lieu de mettre une heure et demie en temps normal, on a mis plus de trois heures à cause des bouchons. On s’est arrêtés à quinze kilomètres de la frontière et on a fini à pied. Le président avait mobilisé tous les hommes d’origine ukrainienne de 18 à 60 ans pour combattre, donc des voitures faisaient demi-tour. Quand on est arrivés en Pologne, il y avait déjà des milliers de gens qui attendaient. Je suis resté là-bas plus de 24 heures. » Une fois en sécurité, la Fédération organise son retour au Luxembourg.
« Tous nos coéquipiers ukrainiens sont restés […] pour faire des sacs de sable et des cocktails Molotov », Olivier Thill
S’il ne veut pas parler de traumatisme, Olivier Thill sait que « c’est quelque chose que l’on n’oubliera jamais. On n’aurait jamais cru faire cela. Les deux premiers jours, j’ai eu beaucoup de mal à dormir, je ne me sentais pas bien. Le football, c’est notre boulot, mais on se rend compte qu’il y a d’autres choses, en sachant qu’il y a encore beaucoup d’amis en Ukraine. Ça reste dans la tête », avant d’ajouter qu’il a aussi en quelque sorte « la chance de ne pas avoir entendu de bombardements et de ne pas avoir vu de morts. Je pense aux gens qui vivent cela au quotidien et on ne peut même pas comparer. »
En parlant de cela, la question des coéquipiers ukrainiens qui combattent pour leur pays arrive tout naturellement. « Les docteurs du club sont partis vers Kiev pour soigner les soldats. Pour le reste, tous nos coéquipiers ukrainiens sont restés à proximité et ont repris l’entraînement il y a quelques jours. Mais avant, ils ont aussi fait des sacs de sable et des cocktails Molotov. Ils ne sont pas allés à la guerre, mais je pense qu’ils sont prêts et équipés. »
Le football reprend ses droits
Désormais au Luxembourg depuis plusieurs semaines, Olivier et Vincent Thill, accompagnés d’Enes Mahmutovic, reprennent peu à peu leur forme physique grâce à des entraînements individuels au sein de la Fédération luxembourgeoise de Football, à Mondercange, mais aussi en s’entraînant avec le Progrès Niederkorn.
Un retour à la compétition progressif avec deux rencontres amicales internationales face à l’Irlande du Nord, le 25 mars, et la Bosnie le 29 mars. Si le doute subsiste sur leur capacité à tenir une ou plusieurs rencontres de 90 minutes, les trois compères espèrent profiter de cette trêve pour se montrer auprès de clubs qui pourraient être intéressés par leurs profils dès ce mois de mars. Car jusqu’au 7 avril prochain, et ce grâce à la fenêtre de transferts exceptionnelle ouverte par la FIFA pour les joueurs évoluant en Ukraine et des joueurs étrangers évoluant en Russie, ils pourront trouver un nouveau club. Si l’on sait que le Progrès, et peut-être d’autres clubs de BGL Ligue, aimeraient volontiers récupérer l’un ou l’autre joueur, pourquoi pas Luxembourgeois, les intéressés ne devraient pourtant pas revenir dans le championnat luxembourgeois de sitôt. « Je préfère retrouver un club professionnel. S’il n’y a rien, je pourrai revenir ici, mais c’est très peu probable », souligne Olivier Thill. Un sentiment partagé par Enes Mahmutovic, qui veut « juste jouer au football à un bon niveau. Je ne prétends pas signer dans un club de Premier League, d’autant plus que trouver un nouveau club en un mois, ce n’est pas facile ! ». Quoi qu’il en soit, tous les deux sont impatients de retrouver les terrains pour de bon, car « même si le foot n’est pas le plus important actuellement, ça reste notre métier ».
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