Comment est née cette passion pour les chevaux chez vous ?
Sans doute par mon père. Il n’était pas cavalier, mais il avait beaucoup d’animaux. Comme tous les Luxembourgeois de cette génération, il venait de la ferme et était commerçant à Esch-sur-Alzette. Et il adorait les chevaux, je ne sais pas d’où ça vient exactement. À l’époque, il n’y en avait pas beaucoup dans le pays. À chaque fois qu’on voyait un cheval dans une prairie, on s’arrêtait. Dès l’âge de 10 ans – même avant – je rêvais de ça. On allait en vacances en Belgique, il y avait des chevaux à la plage, et c’était mon truc de la journée : j’attendais de faire un tour de cheval à la mer. Puis j’ai commencé à monter et à prendre mes premières leçons à dix ans ; à douze ans j’allais régulièrement à l’école d’équitation. Ensuite à 14 ans, j’ai eu un premier cheval qu’on avait chez nous et pas dans un manège, parce que ça coûtait beaucoup trop cher. Et depuis, j’ai toujours eu des chevaux… que je soignais moi-même ! C’est sûrement comme ça qu’est née ma vocation de vétérinaire dans le milieu équestre. Et cela m’a plutôt réussi puisque j’y ai passé toute ma vie.
Comment êtes-vous devenu éleveur ?
Je l’ai toujours été. Le premier poulain qu’on a fait naître avec mon père, c’était en 1969. Et depuis on a toujours eu un ou deux poulains par an, parfois trois ou quatre, mais jamais plus que ça.
Quelles sont les principales qualités requises selon vous pour être un bon éleveur ?
Je vais commencer par répondre avec une boutade : il faut être bon cavalier ! Si on élève, c’est mieux de bien connaître les chevaux et de savoir ce que l’on fait. Je crois que c’est important. Il faut avoir le feeling du cheval et ça, c’est difficile à expliquer, ce n’est pas toujours rationnel. Mais si vous avez touché au cheval à 15 ans et si vous vous en occupez, que vous en avez trois ou quatre ensuite comme c’était mon cas et que vous passez tout votre temps avec eux, c’est mieux. Dès que je sortais de l’école, je filais à l’écurie. Quand mes copains allaient au café, j’étais avec mes chevaux. C’est en passant des heures et des heures avec eux que l’on apprend. Je fonctionnais aussi beaucoup de façon intellectuelle.
À quoi reconnaît-on un bon cheval ?
La base d’un bon cheval, c’est son caractère, sa volonté de bien faire. C’est un peu comme chez les sportifs, chez les êtres humains : vous avez des gens qui ont un talent énorme, mais qui n’ont pas assez envie ; il y a ceux qui ont une volonté à la hauteur, mais qui n’ont pas le talent ; et puis il y a ceux qui ont le talent et la volonté, mais qui n’ont pas la qualité physique, n’ont pas le corps qui suit. C’est un peu la même chose avec les chevaux.
Quel regard portez-vous sur l’élevage luxembourgeois aujourd’hui ? Où en est-on ?
Il y a des changements énormes. Les débuts, c’était avec des fermiers : ils avaient des chevaux de trait et ils ont essayé de bifurquer à un moment pour développer l’élevage de chevaux de selle. Puis on a eu un premier stud-book au Luxembourg, tenu par un monsieur qui avait un fort caractère, mais qui était un vrai passionné ! Il a amené quelques étalons qui étaient très bien, une bonne base. Hélas, à l’époque, on n’avait pas les cavaliers pour les utiliser. Au fur et à mesure, ces gens ont disparu ou sont devenus très rares, donc ce sont plus des gens comme nous, qui sommes en quelque sorte des amateurs. Nous sommes des cavaliers devenus également éleveurs. Et la plupart des gens qui font de l’élevage au Luxembourg le font comme ça.
Quels progrès faut-il faire si on veut passer des caps ? Comment voyez-vous la suite ?
Je trouve que l’élevage, et c’est ma vision personnelle, doit être fait par des éleveurs individuels. Je ne crois pas trop dans les élevages par stud-books avec une forte concurrence. On est un petit pays, on ne sera jamais classés dans les meilleurs du monde, il ne faut pas rêver… Mais est-ce important ? Je ne pense pas. L’important, c’est de se faire plaisir. Il y a un élevage qui se fait de plus en plus de façon artificielle… On a une multiplication des techniques, la qualité se concentre de plus en plus. Des investisseurs se ruent là-dessus, c’est un peu dommage. Et ça devient plus difficile pour nous de concurrencer ces gens-là.
Vous avez transmis votre passion des chevaux à vos enfants, Charlotte, Victor et Basile, qui sont tous devenus de très bons cavaliers. Comment cela s’est-il passé ? Un peu comme votre père et vous ?
Non, c’est très différent. Ma femme vient du cheval également, elle a fait poney-club pendant plusieurs années, à Junglinster notamment, et c’est comme ça que les enfants ont commencé. Et le cœur de notre passion a toujours été l’équitation, bien monter à cheval. J’ai d’ailleurs toujours dit aux enfants qu’on fait de l’équitation en relation avec son cheval, on essaye de bien monter, quel que soit le cheval. C’est très frustrant pour les enfants, c’est une catastrophe, car ils dépendent de lui. Quand ça marche, ils le prennent pour eux, et quand ça ne marche pas, c’est la faute du cheval ! Il faut fixer son objectif en fonction du cheval que l’on a et pas l’inverse, cela évite pas mal de frustrations. Un exemple : quand un père achète un cheval très cher à un enfant et lui explique qu’avec celui-là, il n’a plus le droit de perdre… c’est terrible de mettre des enfants dans une telle situation de stress. Surtout que ce n’est pas parce que le cheval est cher qu’il sera forcément bon ! C’est la meilleure leçon que j’ai donnée à mes enfants : faire toujours en ayant conscience du cheval, avec lui et pas contre lui.
Plus globalement, quel regard portez-vous sur le sport équestre au Luxembourg ?
Il y a deux choses. Le positif : on n’a jamais eu autant de résultats au niveau international que maintenant – et pas seulement mes enfants. On a une demi-douzaine de cavaliers en plus qui ont de bons résultats. Malheureusement, entre le haut niveau et la base, au niveau intermédiaire, il y a peu de choses. J’ai pu observer les deux dernières années qu’il y a de plus en plus de jeunes aux concours au Luxembourg, et ça, c’est bien ! Mais entre eux et le haut niveau, il y a un creux.
Ce qui est compliqué également, c’est qu’il y a de moins en moins de structures alors que les exigences des cavaliers augmentent ; ils veulent de bonnes pistes et on n’en a pas tant que ça. Au haut niveau, cela devient aussi difficile pour les Luxembourgeois de s’engager sur de grands concours, qui rapportent des points pour le ranking international, parce qu’on n’organise pas de grands concours de notre côté. Et c’est un peu comme ça que ça marche… Du coup, on nous invite peu aux grands concours. On est confrontés à une sorte de plafond de verre.
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