Entraîneur fédéral et directeur technique à la FLNS, Christophe Audot analyse au cours d’une interview les résultats récents des nageurs luxembourgeois et dresse un état des lieux de la natation grand-ducale.
Christophe, si la natation est un sport très exigeant pour les athlètes, elle l’est également pour les encadrants, en témoigne l’été chargé qui vous attend…
Il y a les Championnats du monde qui arrivent, les 4 nageurs qualifiés et moi-même, on part le 11 juillet au Japon. Mais avant cela, je pars dès dimanche 2 juillet en Serbie pour les Championnats d’Europe juniors. J’enchaîne ces deux déplacements d’affilée juste après Rome, où j’étais la semaine passée. On est contents, mais entre les préparatifs et les compétitions, c’est un peu chaud bouillant. Le coaching est assez intense, et il faut gérer tout cela parfois sur deux endroits différents, car quand je pars je dois laisser des instructions à un autre entraîneur afin de pallier mon absence.
Qui sont les nageurs qualifiés pour les mondiaux de Fukuoka ?
Il y a Julien Henx, Pit Brandenburger, Rémi Fabiani, et Ralph Daleiden-Ciuferri. On a également deux nageurs sur les Championnats d’Europe juniors, du 4 au 9 juillet, il s’agit de Finn Kemp et Maud Allard. À partir du 23 juillet, il y aura aussi le Festival olympique de la jeunesse européenne, c’est mon collègue Arslane Dris qui partira avec Maud Allard encore et Albert Chaussard. Ensuite, il y aura les Championnats d’Europe U23 à Dublin du 9 au 14 août, j’irai là-bas avec Ralph Daleiden-Ciuferri et Joao Carneiro. Peut-être qu’il y aura encore Nicole Ricci si elle parvient à se qualifier, c’est ce que l’on va voir. Début septembre, il y aura les Championnats du monde juniors et ce sera Finn Kemp qui va représenter le Luxembourg. C’est un été plutôt cool pour la natation !
Pour en revenir aux JPEE de Malte, quel bilan avez-vous tiré des prestations des nageurs de la FLNS ?
J’ai trouvé une équipe très conquérante et très vaillante. Pour revenir sur 2019, on avait connu une édition absolument incroyable avec Raphaël Stacchiotti qui avait remporté 8 titres, et à cette époque on avait fait un peu la fine bouche ici dans la presse… Depuis, la réalité, c’est que le niveau de la compétition a vraiment monté d’un cran entre 2019 et 2023, il y a une vraie concurrence et la compétition était très intéressante. Pour parler un peu des pays adverses, la natation, c’est le sport national en Islande, à Malte, à Chypre, avec des délégations très fortes et donc une chouette adversité. Au niveau des conditions là-bas, on avait 3 heures de bus par jour, et aussi une eau à 29 degrés, alors que normalement on se situe à 26 en compétition. Cela a une incidence sur la performance, surtout sur le 200 m, 400 m, et tout ce qui est demi-fond. Il faut quand même aussi en tenir compte, parce que ce n’est pas l’idéal. Les points positifs de mon bilan, c’est déjà d’avoir trouvé une superbe cohésion de groupe. Entre nous, on s’est régalés au niveau de l’ambiance. Deuxième point, c’est qu’il y a un contraste, on le sait tous depuis quelques années, mais les départs de Monique Olivier et Julie Meynen, des filles qui ont vraiment touché le très haut niveau, à l’image de Raphaël Stacchiotti, ce n’est pas remplaçable. Chez les garçons, le collectif fort veut montrer que l’on peut remplacer, mais chez les filles il n’y a pas eu ce côté-là. Il y a un aspect saisissant entre le niveau des garçons et celui des filles. Si l’on prend la compétition et que l’on parle purement de natation, on a l’Islande et Chypre qui rivalisent avec le Luxembourg, si on ne prend que les résultats des garçons, par rapport aux Maltais, Chypriotes et Islandais, avec nos 8 médailles d’or, on écrase le jeu.
Il y a les retraites de Julie Meynen et Monique Olivier, mais n’y aurait-il pas également chez les filles un trou générationnel ?
Oui c’est vrai aussi, et cela peut s’expliquer par plusieurs choses. Monique et Julie ont dominé le jeu, et peut-être que certaines qui avaient du mal à exister à côté d’elles ont arrêté un peu plus prématurément. Il y a une réalité aussi, et c’est l’entraîneur qui parle, j’ai eu la chance de les entraîner très jeune, que ce soit Julie ou Monique, et c’est tout à leur honneur, mais l’autodétermination qu’elles possédaient était quelque chose de vraiment unique. Ce qu’elles ont été capables de faire dans leurs jeunes années, elles ne regardaient pas le niveau local, mais le niveau international. Je pense qu’il y a aussi un trait de caractère qui leur était propre, ce n’est pas tous les matins que l’on voit des personnes aussi déterminées. Ce sont des comportements que je vois dans la génération de garçons actuelle, mais il y a une part de talent aussi. Julie par exemple, c’était une fille très talentueuse et très déterminée, un talent à exploiter. Il faut se tourner vers les jeunes années chez les filles pour retrouver ce type de comportement, par exemple, on a récemment eu une belle surprise avec Maud Allard qui a été chercher les records nationaux du 50 et du 100 m brasse. Elle n’était pas qualifiée en brasse aux Jeux des petits États, alors qui sait, peut-être que l’on aurait pu avoir un relais 4 nages filles plus performant, avec une ou deux médailles individuelles supplémentaires. Évidemment, il va falloir mettre le paquet sur les jeunes générations, on est en concurrence avec le niveau international, et personne ne va nous attendre. La natation est un sport qui évolue, de plus en plus de personnes se professionnalisent et il va falloir suivre le rythme. Si j’avais quelque chose à dire aux jeunes nageurs, c’est de s’inspirer de leurs aînés, tout simplement.
Suivre le rythme des autres nations, c’est aussi une question de moyens. Lorsqu’on revient d’une compétition avec les bras chargés de médailles, est-ce un argument pour en réclamer davantage, que ce soit auprès de la Fédération ou du Comité olympique ?
Les moyens sont toujours les bienvenus, c’est toujours un plus. Je serais complément fou de dire qu’ils ne sont pas une composante de la performance. Avant tout, la natation est un sport simple : il y a les lignes d’eau, un nageur, et un entraîneur. C’est un microcosme très restreint, c’est souvent dans la passion que l’on va puiser la réussite. Évidemment, des facteurs comme les moyens sont importants, mais la performance, c’est complexe. Quand on regarde le reste du monde, on se rend compte de l’évolution, avec de plus en plus de pays qui arrivent à partir en stage dans de meilleures conditions et plus souvent. Mais il y a des contre-exemples. Dans ma position, bien sûr, il faut se battre pour avoir plus de moyens, mais je ne peux pas considérer qu’en manquer soit une excuse pour ne pas faire. Il faut se battre avec les outils que l’on a, et parfois il faut faire une force de certaines contraintes ou difficultés. Cela permet de se motiver, et de se dépasser. Quand je dis cela, je pense par exemple à Novak Djokovic, en Serbie à l’époque, il n’a pas attendu d’avoir des moyens pour devenir quelqu’un.
On approche rapidement des Jeux olympiques de Paris 2024. Lors de la précédente olympiade, deux nageurs étaient présents pour représenter le Luxembourg, Julie Meynen et Raphaël Stacchiotti. Aujourd’hui, un nageur luxembourgeois est-il capable d’aller chercher cette qualification olympique ?
Tout d’abord, il faut avoir conscience que les normes olympiques sont de plus en plus élevées, et d’olympiade en olympiade, cela devient plus dur. Mais en même temps, je vois deux jeunes nageurs qui sont très talentueux et bien encadrés, je pense à Ralph Daleiden-Ciuferri et Rémi Fabiani. Je pense qu’ils ont un potentiel énorme ; évidemment le chemin sera très dur, mais j’ai envie de leur dire qu’ils seraient fous de ne pas tenter leur chance. Ils doivent le faire. Si cela ne les amène pas à Paris, ce sera bon dans leur quête vers une qualification pour 2028. Ce sera un apprentissage. Ils doivent penser à cette opportunité. Mais je ne veux pas condamner les rêves et les espoirs d’autres nageurs, la natation est un sport qui a ses surprises, et qui a déjà vu des progressions qui ne sont pas toujours linéaires. Et ce n’est pas moi qui vais limiter les rêves des uns et des autres. Mais s’il faut donner deux noms, j’irai vers ces deux jeunes hommes.
Dans votre rôle, n’est-il pas parfois difficile de conjuguer les projets sportifs des uns et des autres nageurs dans l’organisation des stages, par exemple ?
Oui, parfois ce n’est pas évident, mais on trouve des solutions. Encore une fois, le mot facile ne fait pas partie du quotidien des nageurs ou des entraîneurs. C’est vrai que l’on a des missions où parfois on a des groupes de nageurs d’un certain niveau et d’un autre. On est tributaires également du calendrier des nageurs qui travaillent, d’autres qui sont scolarisés au lycée ou à l’université, avec des emplois du temps qui leur sont propres. La réalité c’est que la natation est un sport où l’on se doit d’assurer ses arrières, ce n’est pas une carrière de footballeur.
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