Il n’est pas cruel de dire que les prouesses sportives du Luxembourg ne sont pas, à l’échelle européenne ou mondiale, légion. Un constat somme toute logique pour un pays à la population infiniment plus faible que ses voisins, et à la culture sportive somme toute légère. Au cours du dernier siècle pourtant, certains acteurs ont réussi à tirer leur épingle du jeu et, à la surprise générale, remporter de magnifiques trophées, médailles ou autres reconnaissances individuelles de par leurs performances. Une belle prouesse bien entendu, mais encore plus dure à réaliser quand l’individualité n’est plus suffisante et que tout un collectif doit réussir, ensemble, avec ses forces et faiblesses à retourner un autre groupe en face. Une réalité qui rend encore plus grande et plus épique la qualification en 2018 pour la première fois dans l’histoire d’un club Luxembourgeois en phase de groupe de compétition européenne.
Une progression foudroyante.
Pour expliquer la victoire mémorable face au club de Cluj, il faut revenir quelques temps en arrière : 30 ans, précisément. En mars 1991, Dudelange est déjà un acteur du football luxembourgeois. Le problème, c’est que ce n’est pas par le biais d’un club, mais trois : l’Alliance Dudelange, le Stade Dudelange et l’US Diddeleng qui participent tous aux compétitions nationales. Incapables de rivaliser à la plus grande échelle, les trois clubs décident de s’unir sous un nouveau patronyme : F91 Dudelange. Un union qui à l’époque ne fait pas que des heureux, la rivalité entre les trois clubs étant bien réelle. Cette décision marque alors la fin d’une longue époque où les différents quartiers de la ville s’affrontaient avec férocité. À cette belle rivalité s’opposait néanmoins une réalité bien plus maussade : ces équipes, depuis de nombreuses années n’étaient plus en mesure de jouer les premiers rôles dans le championnat luxembourgeois. Dès lors, un choix devait, et a été pris.
Dès sa première année d’existence, le nouveau club montre ses ambitions en accédant immédiatement à la première division du championnat. Une trajectoire foudroyante qui en bien des aspects sera une parfaite représentation de l’explosion du club dans le monde du ballon rond du Grand-Duché. Très rapidement, sous l’impulsion de leur nouvel investisseur Flavio Becca, richissime et controversé personnage du pays, qui n’hésite pas à aligner les billets pour améliorer la compétitivité de son équipe, Dudelange franchit les étapes chaque année avant d’enfin récupérer le titre de champion en 2000, neuf petites années seulement après sa création.
A partir de là, et malgré une lutte certaine de ses adversaires qui voient d’un mauvais oeil l’arrivée de ce « nouveau riche », la progression du club du sud-ouest demeure inéluctable. De l’année 2000 à 2018, le nouvel ogre de la BGL Ligue dévore tout sur son passage en remportant 14 titres de champion, et de nombreuses coupes.
Malgré cette large domination, il demeure compliqué pour Romain Schumacher, président, et ses hommes de se faire une place dans une Europe professionnelle et par conséquent bien mieux armée. Si quelques victoires seront remportées durant ces longues saisons d’apprentissage, dont une historique face au Red Bull Salzbourg en 2012, l’accession aux phases de groupe d’Europa League continue de se refuser au F91 Dudelange.
Sur la lancée de trois titres consécutifs, les hommes de Dino Toppmöller accèdent en 2018 comme bien souvent au 1er tour préliminaire de Ligue des Champions. Une marche encore une fois trop haute, ainsi prouvé par une élimination honorable face aux champions en titre hongrois de Videoton. Encore une fois, les rêves de se qualifier dans une phase de groupe de compétition européenne passe donc par l’Europa League.
Trois marches avant le paradis.
Pour accéder au précieux sésame, trois tours doivent être remportés. En premier lieu se dresse sur le chemin les kosovars du FC Drita, adversaire abordable pour les Dudelangeois. Sans briller et des suites d’un joli renversement de vapeur au match aller à domicile, Joubert et ses collègues accèdent à l’étape suivante.
À l’image des jeux vidéos, le prochain « boss » rencontré sur la route s’avère plus coriace et à l’histoire bien plus fournie. Sur l’échelle européenne, il est difficile, pour ne pas dire impossible, de convaincre qui que ce soit que le Legia Varsovie – ancien demi-finaliste de Ligue des champions et auteur de nombreuses aventures européennes – boxe dans la même catégorie que les protégés de Becca. Alors que les polonais voient ce match comme une occasion de se racheter de leur récente élimination de la Ligue des Champions, les Dudelangeois abordent cette rencontre conscients de la différence de niveau entre un club au budget dix fois plus élevé, et le leur. Pour autant, les joueurs du Grand-Duché, conscients de l’opportunité qui se présente à eux ont envie « d’écrire l’histoire », des dires de leur entraineur Dino Toppmöller. Car une qualification serait déjà une première extraordinaire pour le petit poucet. En effet, jamais un club du Luxembourg n’a réussi la prouesse d’accéder au quatrième tour de qualifications d’Europa League.
En Pologne, dans un stade peu rempli, les Dudelangeois font jeu égal avec le Legia et ouvrent le score à la surprise générale par Couturier. Si la réaction polonaise ne se fait pas attendre avec une égalisation trois petites minutes plus tard, la rencontre bascule réellement en fin de première mi-temps quand Astiz, en position de dernier défenseur sèche Stumpf et récole un carton rouge mérité. Une expulsion qui change définitivement la donne et pousse les locaux à tenir ce résultat pourtant déjà mi-figue mi-raisin. Quarante-cinq minutes plus tard, grâce à un deuxième but marqué par Turpel sur penalty, Dudelange file en tête et, malgré plusieurs occasions d’aggraver le score, se contente pleinement de ce résultat extraordinaire.
Au match retour une semaine plus tard, les Luxembourgeois continuent sur l’impression du match aller et en 20 minutes, le temps de deux buts de Stumpf et Stelvio plient le match et assurent une qualification mythique. Ce n’est pas les deux buts encaissés en fin de match qui changeront quoi que ce soit. Dudelange a déjà écrit l’Histoire et aura le droit d’aller encore plus loin, face à un nouvel adversaire amplement supérieur sur le papier : le CFR Cluj. Club dominateur du championnat roumain depuis plus de dix ans et déjà double participant à la Ligue des Champions, Cluj est dorénavant un habitué des joutes européennes et a bien l’intention d’atteindre son but en éliminant cette équipe de Dudelange qu’ils ont besoin de chercher sur une carte pour la situer. La première manche aura lieu au Stade Josy Barthel, le 23 aout 2018.
David contre Goliath.
Pas intimidés pour un sou, et portés par un public tout acquis à leur cause, les joueurs luxembourgeois rentrent dans la rencontre pied au plancher et imposent de suite leur rythme. Serein, concentré, Dudelange s’applique à contourner le bloc roumain et placer des banderilles, à l’image des tentatives de Stolz par deux fois ou Turpel, face à un Cluj tentant sa chance en contre-attaques heureusement brouillonnes. Malgré une franche domination et de belles occasions, le score à la mi-temps demeure nul et vierge. Un résultat décevant au vu de la franche domination locale, et qui, comme tant d’autres rencontres passées entre un petit et un gros, fait craindre la sanction et les regrets en deuxième période. Cette dernière commence d’ailleurs fort mal avec la blessure spectaculaire du gardien Jonathan Joubert, obligé de céder sa place à Joe Frising. La perte du gardien titulaire apparait comme un coup dur, mais à peine dix minutes après son entrée, le gardien remplaçant offre une parade magnifique qui rassure tout un stade sur les capacités de ses joueurs à aller chercher cet exploit. Revigoré par cet arrêt, Dudelange repart encore de l’avant pour aller chercher cette victoire si précieuse dans le cadre d’une compétition aller-retour.
Loin d’être découragé par les occasions ratées en première période, Turpel, encore lui, réussit enfin à faire chavirer le stade en logeant au fond des filets un ballon récupéré à la suite d’un gros cafouillage dans la défense roumaine. 1-0, l’Histoire, avec un grand H, est en marche. Pas suffisant pour les hommes de Toppmöller qui, loin de se contenter de ce résultat, laissent venir le club de Cluj pour mieux les piéger en contre. Une stratégie payante quand Danel Sinani et sa belle patte gauche réussissent à transpercer le mur adverse sur coup-franc et donner une avance de deux buts à ses coéquipiers transcendés. Dans une ambiance folle, imperméable à la pression et agressif sur chaque ballon, David faisait donc succomber un Goliath qui, en toute franchise, n’avait ce soir-là rien d’un géant.
Au firmament
Une semaine plus tard, sans Joubert toujours convalescent, Dudelange arrive en terres roumaines concentré mais aussi doté de l’expérience du tour précédent, où les supporters adverses avaient été particulièrement hostiles. Plus que cela, ce sont les deux équipes dirigeantes qui dégainent par presse interposée. Une joute verbale des plus agressive qui ne fait que confirmer la tension et l’enjeu que cette deuxième opposition crée.
Car pour Cluj, une élimination serait un énorme camouflet. Pour ce club historique de Roumanie, ne pas accéder aux poules de Ligue Europa constituerait déjà un échec en soi, mais face à des inconnus d’un pays minuscule, hors de question. Alors c’est tout un pays qui sort les armes pour intimider leur « petit » adversaire du soir, paradoxalement traité comme un grand. La presse titre «Tous au stade, les Luxembourgeois craignent l’ambiance », comme pour moquer les petites affluences du Grand-Duché. Le président du club roumain, dans une conférence de presse d’anthologie dégoupille à tout va, déclare se sentir insulté par la présence d’un chef luxembourgeois dans la délégation des visiteurs, et termine son chef d’oeuvre par une déclaration sans équivoque : « Nous sommes Cluj. Nous ne ferons pas deux fois les mêmes erreurs ».
Au Luxembourg, même degré d’intensité, mais sentiment différent. Pas de colères ou passes d’armes, mais un engouement sans précédent. Les bars diffusant la rencontre n’ont plus une place de libre deux heures avant le match. Des gens de tout âge se réunissent pour encourager leur équipe et célébrer, qui sait, un retentissant exploit. Pour la première fois dans un pays qui ne célèbre que rarement ses vainqueurs, et qui ne voit pas nécessairement d’un bon oeil les investissements massifs consentis par Becca depuis plus de quinze ans, la population fait fi de ses réticences pour soutenir à l’unisson le groupe du président Schumacher.
C’est dans cette ambiance des grands soir que la rencontre débute au stade Constantin-Rãdulescu. Promises à une entame infernale, les premières minutes de la rencontre vont prouver que le petit poucet se sent bien assis à la table des grands. Loin d’être intimidés par l’enjeu ou l’ambiance, les partenaires d’un Sinani cette fois bien titulaire font jeu égal, et mieux encore, se créent les premières occasions. Devant des visiteurs sereins, Cluj prend un certain temps avant de prendre le contrôle du jeu. Mais ni Frising, auteur d’une sortie complètement ratée qui aurait pu couter très cher, ni les attaquants du club roumains encore une fois maladroits n’arrivent à faire chavirer la rencontre. À la mi-temps, l’absence de but d’un côté comme de l’autre fait espérer – ou craindre, c’est selon – un résultat historique. Pour cela, il faut encore tenir quarante-cinq minutes.
Mais quarante-cinq minutes, c’est long. Du moins, trop long pour Sinani. Alors le jeune attaquant, qui de son propre aveu a eu « du mal à s’imposer en première mi-temps », décide de prendre les choses à son compte. Et au fond s’ajoute la forme. D’une frappe extraordinaire du gauche que n’aurait pas renié Messi, le natif de Belgrade douche autant qu’il émerveille les supporters roumains. Et le récital n’est pas fini. Profitant d’une équipe encore groggy des suites de ce but splendide, Sinani enclenche un nouvel uppercut du gauche face à une défense ouverte pour asséner le K.O final. 0-2, 55e. Sur le terrain comme au pays, l’euphorie est de mise. L’incrédulité aussi. C’est donc cela de faire l’histoire ? On peine à y croire. Malgré cette avance quasiment irrattrapable – il faut maintenant que Cluj marque cinq fois – la peur demeure. Comme si, après l’excitation et la tension, l’euphorie n’avait pas encore sa place. « Ne sait-on jamais ? ». Alors, en bon serviteur, Turpel, déjà buteur au match aller ,décide de définitivement libérer 600 000 personnes. En inscrivant le troisième but à la 78è minute, le milieu fait chavirer tout un pays dans l’hystérie. Et rien ni personne, pas même les deux buts marqués en toute fin de match par des roumains humiliés ne peut contrecarrer le sentiment de félicité. Dudelange y est. Dudelange l’a fait. Et avec 3 000 000 de primes reçues par l’UEFA, les raisons de célébrer sont bien multiples.
Signe de la performance retentissante, au sortir de leur avion sur le retour, les héros d’un soir – ou plutôt d’une année – sont accueillis par un contingent de supporters impatients de célébrer au plus tôt l’exploit footballistique. Du jamais vu au Luxembourg. Loin de contenir leurs joies, les joueurs célèbrent sans retenue avec leurs fans, amis, et membres de la famille ce succès et réalisent, toujours un peu plus, la portée de ce résultat.
Si nul ne peut oublier sa première fois, rendant ainsi ce moment ancré à vie dans les souvenirs de tout amateur du ballon rond au Grand-Duché, l’histoire gagne en beauté en se rappelant bien que plus qu’un one-shot, cette qualification historique ne sera pas sans lendemain puisque dès l’édition suivante, F91 Dudelange se retrouvera à nouveau dans la compétition des suites d’une nouvelle campagne européenne de juillet et août maitrisée de bout en bout. Une nouvelle belle aventure qui verra le club remporter sa première victoire de poule et encore une fois remplir les livres d’histoire. Une autre formidable aventure, pour un autre jour.
Tendai Michot.
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