Claude Kremer : Il faut une vision

16 minutes
Claude Kremer

Après une réflexion durant presque un an, Claude Kremer a pris la décision de poser sa candidature contre Paul Philipp pour la présidence de la FLF. Durant deux longues heures, le candidat a expliqué les raisons de ce choix, ce qui doit changer selon lui, et comment il envisage le futur en cas de victoire.

Depuis combien de temps pensez-vous à cette candidature, et qu’est-ce qui la motive ?

Cela fait plus ou moins un an. C’était lors d’une réunion entre amis. Une personne m’a poussé, en blaguant un peu, à poser ma candidature en tant que président de la Fédération. Je suis rentré à la maison et l’idée est restée, cela a mijoté dans ma tête. J’ai alors commencé à contacter des amis et des clubs dont je suis proche, pour sonder un peu tout le monde. Beaucoup m’ont dit que cela allait être difficile évidemment, face à Paul Philipp, qui est une institution au pays. Mais ils ont aussi soutenu mes idées et dit qu’ils voyaient bien que je représentais tous les clubs et pas seulement ceux des divisions supérieures. Par ailleurs, j’ai eu quelques discussions durant cette année avec Paul Philipp lors desquelles je n’étais pas du tout de son avis. Cela m’a conforté dans ma décision. 

Sur quels sujets étaient ces désaccords avec Paul Philipp ?

Beaucoup me demandent ce que je lui reproche. La chose principale qui me gêne, c’est que l’on traîne trop. En dix-huit ans, on a fait de très bonnes choses. Mais cela prend parfois des mois, des années. On est dans un monde, le football, qui bouge tout le temps, et pas uniquement sur le terrain. La société change complètement et on ne réagit pas assez vite pour rester en adéquation avec notre époque. Il y a eu des situations où l’on a eu des discussions en novembre, et les décisions ont été prises en juillet. C’est trop long. Il faut innover et avancer avec le temps. On ne peut pas être uniquement dans la réaction. Il faut une vision. En 2004, on a fait une révision des statuts et des règlements. Depuis, cela n’est plus arrivé, alors que c’est nécessaire. Nous sommes dorénavant dans un monde digital et nos statuts ne sont tout simplement pas adaptés. Nous avons fait un référendum en juillet sur les indemnités des arbitres : les clubs ont dû envoyer leurs réponses par voie postale, en recommandé… Nous avons des années de retard. Je pense aussi que si l’on a un mandat depuis une longue période, on n’a plus forcément la « niaque » nécessaire. Je suis d’ailleurs d’avis, si je suis élu, de mettre en place une limitation de mandats.

À combien ?

Trois mandats, soit douze années. Quatre années, ce n’est pas suffisant. Sur huit, on peut commencer à voir les fruits de notre travail, mais j’estime que douze, c’est le bon équilibre.

Quels étaient, et quels sont les rapports aujourd’hui avec Paul Philipp ?

Nous avons toujours eu des rapports cordiaux. Je n’irais pas jusqu’à dire que nous étions amis, mais après avoir travaillé plus de dix-huit ans ensemble, c’était un bon camarade. Nous étions amenés à souvent échanger sur de nombreux thèmes, et toujours de manière correcte. Ces derniers temps évidemment, cela s’est refroidi. Cela se limite au strict minimum, ce qui est tout à fait normal. Je comprends parfaitement que cela soit compliqué en ce moment.

Comment expliquez-vous que Paul Philipp n’ait pas eu de véritables opposants à ces élections lors de ces dernières années ?

Monsieur Philipp est une institution au pays. Il a été joueur international, coach de la sélection : c’est une personnalité. Pour poser une candidature face à un tel personnage, il faut – sans prétention – du courage. C’est sûrement pour cela que personne n’a osé proposer sa candidature au fil des années. Aussi, les premières années, les projets que nous avions ont été réalisés, à l’image de ces fameux statuts. Les aides financières pour les clubs ont été augmentées, ce qui les a évidemment satisfaits. Aujourd’hui, on entend assez souvent que tout le monde n’est pas content. 

Si vous deviez faire le bilan de son mandat, quels seraient les points positifs et négatifs ?

Il faut déjà se rappeler que c’est le bilan d’une équipe, et pas d’une personne. Le point phare a été la réforme des statuts. C’était un tout, très complet, avec des avancées très intéressantes pour les clubs. Les aides financières ont beaucoup apporté aux clubs. Une adaptation des formats de jeu chez les jeunes, en particulier des bambini jusqu’aux minimes, a été très utile. Le développement du football féminin est aussi une réussite. Quand on a commencé en 2004, il n’y avait même pas de département pour cette discipline. On avait douze équipes, alors qu’aujourd’hui nous en avons quarante. 

Je ne sais pas si des choses ont été mal faites. Pas faites, oui. La digitalisation, les réseaux sociaux… Je les ai proposés il y a presque dix ans au conseil d’administration et cela avait été refusé. Deux ans après, finalement, on pouvait en discuter. Mais on a perdu deux années. Le site Internet de la FLF a enfin une nouvelle présentation, mais je ne suis pas sûr que cela soit possible de mieux s’y retrouver qu’avant. On entend souvent l’argument : « On joue au foot. » Mais nous sommes une entreprise de 35 salariés. On n’a pas que le volet football sur le terrain. On doit aider nos clubs sur le plan administratif, structurel… J’exagère un peu, mais on continue de travailler avec des faxes, d’envoyer des formulaires que les clubs doivent signer à la maison et renvoyer… Ce monde-là n’existe plus, et certains clubs ne renvoient même plus ces papiers.

Les résultats sportifs de la sélection, extrêmement positifs et en nette progression, peuvent-ils jouer en votre défaveur ?

Je ne pense pas. C’est beau de voir que l’équipe nationale progresse et a de très bons résultats. Mais je pense que les clubs sont capables d’évaluer l’intégralité du travail effectué au sein de la FLF. Les problèmes sont bien plus vastes que les résultats de la sélection nationale. 

Parlons un peu de votre programme. On demeure aujourd’hui encore dans une BGL Ligue à deux vitesses, avec des clubs en quête de professionnalisation et d’autres satisfaits du statu quo. Dans ce contexte, comment réussir à trouver un concept marketing satisfaisant pour tout le monde ?

Il faut d’abord se demander pourquoi il y a des niveaux différents dans la communication. Pour moi, c’est avant tout une question de savoir-faire. Pour avoir les bonnes personnes, cela coûte, et si on n’a pas les moyens, c’est une tâche encore supplémentaire pour les bénévoles, qui diminuent drastiquement. On voit par exemple au sein du F91 une communication marketing absolument excellente. Cela a un coût financier, mais qui, j’en suis persuadé, rapporte par la suite. Il faut donc mettre les parties ensemble, même si leurs intérêts sont différents, pour discuter de la marche à suivre et les soutenir sur le plan du savoir-faire. Il faut sensibiliser tous les clubs à l’importance d’aller vers une communication digitalisée plus poussée. Cela sera une valeur ajoutée pour tous les clubs, j’en suis certain. J’aimerais recruter quelqu’un au sein de la FLF qui soit en charge de tous ces aspects, mais qui pourrait aussi aider les autres clubs à se lancer.

La diminution du bénévolat a souvent été attribuée à l’arrivée du covid dans nos vies, qui aurait grandement changé le système. Mais le problème semble aujourd’hui plus culturel que simplement « ponctuel ». Dans ce contexte, n’est-il pas risqué  de continuer à lutter pour maintenir un système qui ne semble plus tenable, plutôt que d’essayer de trouver une alternative ?

Je ne suis pas de cet avis. Bien sûr, le monde change. On a plus d’offres d’activités qu’à mon époque. On pouvait bien moins facilement se déplacer, avoir une voiture, et donc on passait logiquement plus de temps au sein de notre club. Aujourd’hui, c’est différent. Mais c’est à nous d’augmenter l’attractivité du football. Cela commence par les installations. Il y a encore trop de clubs qui n’ont pas de gradins ou tribunes. Cela n’incite pas les gens à venir voir des matchs. On pourrait aussi trouver un moyen d’offrir une reconnaissance du bénévolat par un congé spécifique, par exemple. Même si ce n’est qu’un ou deux jours, cela fera une différence apportée par les instances publiques et ce sera une belle récompense.

Vous parlez d’un soutien financier pour les équipes féminines existantes ou en création, mais qu’en est-il des changements dans l’architecture du championnat ? Beaucoup grondent sur cette Ligue 1 Dames à deux vitesses, des forfaits dans tous les sens, et une difficulté à avoir des rencontres compétitives… Aussi peut-on imaginer que les matchs de l’élite du football féminin arrêtent de se jouer avec un seul arbitre ?

Il faut avant tout mettre en place quelqu’un – ce que je souhaite – qui aura une vraie vision pour améliorer la qualité du football féminin. On a les moyens et il faut en profiter. On peut valoriser le football féminin. Pour ce qui est de la compétitivité du championnat, on a vu en effet de multiples problèmes ces dernières années… Je pense qu’il faut diminuer le nombre d’équipes. Si on passe à 10 clubs, il y aura 18 matchs à jouer, ce qui ne sera pas suffisant. Donc en effet, mettre en place des play-offs tant en haut qu’en bas serait intéressant. Au-delà des forfaits, avoir un tel déséquilibre au sein des écuries n’est pas bénéfique. Il ne faut pas non plus avoir peur d’essayer quelque chose de complètement nouveau, avec l’accord des clubs. Avec les jeunes, on jouait toujours de septembre à décembre. On s’est rendu compte qu’on pouvait voir beaucoup de déséquilibres, donc nous avons pris la décision de faire des matchs de septembre à mi-octobre, de mettre en place des montées et descentes, et de reprendre. Cela a permis d’offrir un championnat dans lequel chaque équipe avait des adversaires à son niveau, dans l’ensemble. Il y a des solutions. À nous de les trouver. Pour ce qui est de l’arbitrage, c’est un problème aussi. Je serais d’avis, pour commencer, de mettre trois arbitres sur les matchs clés, à savoir une rencontre à véritable enjeu, et à partir de là, cela instaurera déjà un début de changement.

Vous parlez d’une valorisation du futsal, mais comment la voyez-vous concrètement ?

Je suis à la commission du futsal depuis deux ans. Avant, ma connaissance de cette discipline n’était pas poussée. On a ouvert la porte à ce sport au sein de la FLF. Si on les a pris au sein de la Fédération, on doit faire quelque chose pour améliorer ce qu’il s’y passe. On doit échanger avec les acteurs et trouver ensemble une voie à suivre pour améliorer sa compétitivité. Notre dernier plan stratégique fait avec LUNEX ne comportait même pas le futsal… Ce n’est pas normal. À terme, avec une vision, une activité, on peut arriver un jour avec une équipe nationale, une équipe féminine, etc.

Réadapter les statuts et règlements du championnat : voyez-vous quelque chose en particulier qui doit être mis à jour ?

La digitalisation, directement et en priorité. En France, la licence digitale existe, avec énormément de licenciés. Comment peut-on continuer à plastifier des cartes au Luxembourg, plutôt que de tout faire de manière dématérialisée ? Il y a aussi le tarif des jeunes. Actuellement, chez les bambini, si un club vient chercher un jeune de 7 ans, il peut le faire toute la saison sans demander l’accord de qui que ce soit. Les grands clubs peuvent donc facilement prendre de nombreux joueurs sans difficulté dans des équipes plus modestes, qui se retrouvent avec un vrai manque d’effectif. Ce sont des structures où l’on est tellement en retard que l’on en arrive à des situations pareilles. Il faut aussi revoir les instances fédérales. Ce n’est plus possible que parfois, un joueur doive attendre trois semaines pour savoir quelle sera sa suspension après son carton rouge, et demeure indisponible jusque-là. Et ce n’est plus possible que l’on ne puisse pas utiliser la vidéo pour analyser une action litigieuse.

Il y a eu une vraie diminution du public ces dernières années. On entend souvent parler de « perte d’identification » des supporters, ce qui expliquerait le désintérêt. Pensez-vous que c’est ce qui explique des stades de plus en plus désertés ?

C’est une bonne question. Sur le plan des joueurs locaux, je suis mitigé. En effet, il y a 25 ans, il y avait plus de joueurs du village dans les clubs. Forcément, il y avait alors plus de supporters, avec la famille, les amis… Mais à l’époque, il y avait aussi d’autres nationalités. Et je pense que le recrutement de joueurs étrangers ne réduit pas l’attractivité du jeu, au contraire. Si le football est meilleur, on devrait avoir plus de supporters. Pour moi, le problème est déjà une question d’offre : le dimanche, tous les matchs sont joués à la même heure, et je ne parle pas que de la BGL Ligue. Certains clubs commencent à décaler leurs matchs, ce qui est une excellente chose. Nous avons 110 clubs sur un petit territoire. Cela explique forcément que beaucoup de spectateurs soient indisponibles. Réajuster le calendrier pour offrir une forme d’exclusivité serait déjà un bon départ. Ensuite, il faut absolument mieux vendre notre image. Il est sincèrement difficile aujourd’hui pour un supporter neutre de trouver des informations pertinentes sur les journées à venir.

C’est la même problématique pour vous avec l’équipe nationale ?

Bien sûr. Un exemple : on joue la Lituanie au Stade de Luxembourg. Les billets ont été mis en vente le 21 août. Vous voyez cela quelque part ? C’est invisible. Si avec l’équipe nationale, on n’arrive pas à vendre notre produit, comment peut-on espérer le faire pour le championnat ? Je ne dis pas que si on fait un gros marketing, les stades seront remplis à chaque journée, mais je suis sûr que l’on gagnera des spectateurs. Il faut communiquer, communiquer, communiquer. Les dames ont perdu à la dernière seconde contre l’Irlande, que voit-on sur nos réseaux sociaux ? Le résultat. Pas d’interviews, pas de feed-back, rien. Ce n’est plus possible. Dans notre société aujourd’hui, tout passe par la communication. Nous avons un produit : il faut le vendre. Nous n’avons pas vendu de maillot au Stade pendant deux matchs. On l’avait pourtant fait auparavant, et on avait gagné l’équivalent de 600 maillots. On parle d’une dizaine de milliers d’euros. Comment peut-on ne pas en vendre les jours de matchs ? Le produit est bon, mais doit être mis en valeur. Ici, on arrive au Stade et on s’assoit. Car on ne crée pas d’ambiance. On ne veut pas le faire.  

Le partenariat entre RTL et les clubs de BGL Ligue et Promotion d’Honneur fait de plus en plus grincer des dents chez les dirigeants qui réclament, en vain, une contrepartie financière, arguant que l’espace laissé au sponsoring ne pourra pas réellement être rentabilisé. Quelle est votre opinion sur le sujet ?

Je pense que ce livestream est un outil pour vendre aux sponsors. Si on fait un bon travail sur le marketing, j’estime qu’on peut en sortir une bonne somme et donc monétiser cet accord. Aussi, le matériel peut être utilisé par le club, ce qui est un outil pour de l’analyse vidéo. Mettre en place tout ceci a un coût pour RTL. Cela signifie donc que d’une certaine manière, les clubs profitent d’un investissement externe pour améliorer leurs capacités d’analyse, et à l’entraînement. Par ailleurs, nous restons le Luxembourg… un pays à part. Les chiffres d’audience doivent donc rester dans l’ensemble assez modestes. Je ne pense donc pas que RTL soit prêt à négocier un paiement pour ces images, alors que tout ceci a déjà un coût pour eux. 

Depuis un bon nombre d’années, jouer en BGL Ligue devient de plus en plus un frein à la possibilité d’être sélectionné en équipe nationale. Pensez-vous qu’il faut continuer dans cette voie ? N’y a-t-il pas de plus-value à mettre en valeur la BGL Ligue, à la professionnaliser, afin de véritablement concentrer les talents locaux au sein du pays, et non devoir les « exporter » ?

C’est avant tout une très bonne chose que de nombreux Luxembourgeois arrivent aujourd’hui à être professionnels, et cela explique grandement les excellents résultats de la sélection. Je ne pense pas néanmoins que jouer en BGL Ligue soit un frein. La qualité intrinsèque du joueur doit toujours dépasser certaines attentes. Même si un joueur n’est pas aussi poussé qu’à l’étranger, il peut trouver sa place. Cependant, oui, « professionnaliser » le championnat dans le sens large est intéressant, mais il ne faut pas occulter les conséquences qui en découleront. Il faudra un investissement non négligeable des clubs. La volonté est là, mais les moyens…

Mais si on imagine que vous êtes élu et que vous réussissez à faire trois mandats, soit douze ans… Dans quelle situation pourrez-vous regarder la BGL et dire « on a fait du bon travail » ?

Avant tout, une bien meilleure vente au niveau marketing et communication. Ensuite, avec une réduction du nombre d’équipes, si le consensus se fait au sein des clubs. Je sais que c’est quelque chose que certains veulent, et redescendre à douze clubs me parait très intéressant. J’échange avec beaucoup d’écuries, y compris certaines qui sont en bas de classement, qui veulent aller dans cette direction. La pandémie a empêché tout cela, mais nous aurions dû planifier le retour à la normale. Aussi devons-nous avoir une communication plus conséquente avec les clubs. On les voit une fois lors du congrès, où chacun peut prendre la parole, mais toujours par rapport aux sujets du jour. Chaque division est vue en janvier ou février, avec 40 à 50 représentants. Dans ce contexte, on ne peut pas avoir de dialogue constructif. On n’a pas le temps d’écouter tous les sujets qui tiennent à cœur aux représentants. Cette manière de communiquer n’est plus adaptée. On doit défendre l’intérêt et les idées des clubs. Je veux donc mettre en place des réunions régulières, pour se voir au moins cinq à six fois par an, pour échanger et réagir plus rapidement.

Imaginons une victoire le 15 octobre. Comment se lanceraient les choses ? Quelles sont les premières décisions à mettre en place et à quelle vitesse pensez-vous pouvoir commencer à agir ?

Si je suis élu, je commencerai le dimanche suivant, car il y a énormément de choses à mettre en place. Il sera l’heure d’établir – rapidement – des objectifs. La première étape sera d’embaucher une personne au plus vite, et potentiellement de réfléchir à une ouverture vers des sociétés externes. Pour les réseaux sociaux, il faudra agir au plus tôt. Idem pour le site Internet, qu’il faudra remodeler totalement pour le rendre plus intuitif. Ce n’est pas un domaine très compliqué, puisqu’il n’y a pas grand-chose. Il s’agit juste de se lancer avec la bonne personne. Si l’on fait bien les choses, je suis persuadé que l’on peut attaquer la nouvelle campagne de communication et marketing dès 2023.

admin

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