Ce matin-là, un soleil printanier brille sur les hauteurs de Wiltz, au nord du Luxembourg, et réchauffe les champs et les forêts aux alentours. Le ciel est bleu, l’air léger. Certains oiseaux se permettent même de chanter pour célébrer l’arrivée proche de la nouvelle saison. Alignées devant nous, sur une petite aire de repos au détour d’une route grimpante, quatre magnifiques Fiat 500:une F beige de 1967, et trois rouges, une mobile break Giardiniera de 1977, une Fiat 500 L de 1969et une Replica Abarth de 1969. «Dai, più vicino… così», peut-on entendre à quelques mètres…C’est la voix de Vito Silvestri, volubile et chaleureux retraité de 66 ans, qui ne rigole pas avec l’alignement de ces Fiat de collection. Avec ce cadre, ces sonorités, cette vision, on se croirait dans la campagne toscane ou aux abords de Noci, le village dont il est originaire, au cœur des Pouilles.
Vito Silvestri a créé le premier et unique Club Fiat 500 du Luxembourg, il y a 25 ans, en 1997. «Le but et l’envie étaient de se retrouver entre passionnés. On était une trentaine de membres au début. Certains sont partis, d’autres piliers sont restés», explique le patron. Aujourd’hui, ils sont environ une centaine, âgés de 22 ans à… l’âge de la sagesse et de l’expérience, et ils se retrouvent au moins une fois par mois. Mais avant d’aller écouter le bruit des moteurs et admirer la carrosserie impeccable de ces belles italiennes, tentons d’abord de comprendre d’où vient la passion du fondateur du club pour cette petite automobile légendaire née de l’autre côté des Alpes.
«Je l’ai rafistolée complètement, avec les travaux, j’ai dépensé plus de 15 000€»
«La passion est venue par mon père. Dans le temps, il avait une 600 avec laquelle on faisait le voyage Luxembourg-Italie, jusque dans notre village des Pouilles et… c’était pas évident (rires)! Il avait une 500 aussi. Et à un moment, à 18 ans, je me suis dit “je veux ma propre 500 aussi”. J’en ai alors fait venir une d’Italie, de mon propre village, une Fiat 500 L beige de 1969. Un coup de cœur.» Et même un peu plus, le début d’une longue histoire d’amour… Car depuis, Vito ne s’est plus arrêté. «J’ai ensuite acheté une D blanche sur ebay, avec les portes suicide. Je la voulais absolument, je l’ai payée pas cher à cette époque (3500 euros). Je l’ai conservée six ou sept ans. Mais comme je suis président du club et que j’organise toutes les sorties, je ne pouvais pas garder deux 500. Alors j’ai vendu la D… Mais attendez, c’est toute une histoire! Quelqu’un me la prend tout de suite, pour 4000€. Au bout de cinq ou six ans, je vois que cette personne la remet en vente pour 10 000€! Je dis à ma femme “regarde, c’est ma voiture!”. Je ne voulais pas la laisser partir, ça me faisait mal… Je l’ai rachetée pour 7 200€! Je l’ai rafistolée complètement, avec les travaux, j’ai dépensé plus de 15 000€. Elle est au garage dans mon village en Italie, là…» Vito respecte à la lettre l’adage qui dit «quand on aime, on ne compte pas».
«La Fiat 500, c’est la voiture du peuple»
Cette passion, il n’est pas le seul à la partager et c’est pour cela qu’il a fondé le club. «La Fiat 500,c’est la voiture du peuple, qui a motorisé toute l’Italie. Ils en ont sorti environ trois millions entre1957 et 1975. Quand tu vois une 500, tu vois l’Italie», témoigne Vito, des étoiles plein les yeux. C’est sûrement pour cette raison qu’une bonne partie des membres du club est d’origine italienne, il y a une forme de nostalgie joyeuse, une volonté d’entretenir le lien avec la terre de ses racines. Mais il n’y a pas que des anciens, on rencontre aussi de jeunes passionnés comme Loris, 25 ans, propriétaire du beau break Giadiniera de 1977. Même s’il fait partie du club depuis qu’il a… 12ans! «Il s’intéressait déjà complètement à la voiture», se souvient Vito. «Il sait tout de la 500! A l’époque, il tournait autour des voitures, les touchait, ouvrait les capots, montrait aux gens le fonctionnement pendant certaines de nos expositions. Un jour, je l’attrape et je lui dis “maintenant ça suffit de toucher les voitures, tu claques les portes. Je te dis ça parce qu’un jour t’auras ta voiture à toi, tu vas râler quand les autres vont la toucher”. Cela n’a pas loupé, quand il a eu sa première 500, à 18 ans, il voulait que personne ne s’en approche! Je suis allé le voir et je lui ai rappelé “alors, tu te souviens de ce que je te disais!”… On a bien rigolé.»
Toit ouvrant, capot lustré, banquette aménagée rétractable
Le petit Loris a bien grandi et fait aujourd’hui partie des incontournables du club. Avec sa casquette vintage vissée sur la tête, il nous raconte l’évolution de sa passion: «Mon père m’a acheté ma première 500 à 14 ans, alors que je ne pouvais même pas encore conduire. Bon, elle était tellement pourrie qu’elle a dû partir à la casse avant que je m’en serve vraiment… Pour être au plus proche de ma passion, j’ai fait mon apprentissage en carrosserie chez Fiat et j’y suis resté trois ans. Je travaille toujours dans la carrosserie aujourd’hui, mais ailleurs. A 18 ans, j’ai acheté ma Giadiniera, et depuis je n’arrête pas de la bichonner.» Toit ouvrant, capot lustré, banquette aménagée rétractable, volant d’Alpha intégré car celui d’origine était trop bas et touchait ses jambes… rien n’est laissé au hasard, Loris est attentif à sa 500 comme à la prunelle de ses yeux.
Sur la pelouse de cette petite aire à la sortie de Wiltz, Ramo ne quitte pas du regard sa F beige de1977. A 70 ans, il est au club depuis cinq ou six ans. «Au début, c’est mon fils qui m’a beaucoup encouragé. Moi, je n’osais pas trop, je lui disais “qu’est-ce que tu veux que j’aille y faire, tu veux que je leur dise quoi?”. Finalement, je me suis laissé convaincre et je ne m’en lasse plus. Il y a une très bonne ambiance.» Denis, Français de 62 ans, est quant à lui membre du club depuis 2019:«Je m’y sens bien et cela me permet de parfaire mon Italien à chaque rencontre!», s’amuse-t-il. Il n’est pas d’origine italienne, mais il a vécu à Vicenza dans sa jeunesse, ses parents voyageant et déménageant beaucoup. Alors, cette atmosphère lui rappelle à lui aussi des bons souvenirs.
Ce cadre où chacun se sent bien, c’est exactement ce qu’a voulu créer Vito Silvestri quand il a fondé le club en 1997. Au départ, il fixe deux sorties, une en avril ou mai et une en septembre, la plupart du temps au Luxembourg, parfois en France ou en Belgique. «Il y a des belles routes dans le coin. On roule, on s’arrête, café, croissants… Dans la journée, on se balade en moyenne entre 100 et150km.Et on fait systématiquement ça un dimanche parce que je pense toujours aux enfants. On fait ça le matin et ensuite, à 4 ou 5h, on peut rentrer à la maison s’occuper de ses proches. J’ai toujours pensé aux familles, donc on évite le soir», explique le boss. Avec sa personnalité, sa gouaille et sa gentillesse, il transmet ses valeurs et sa joie de vivre. Si bien qu’avec le temps, ces rendez-vous dépassent le simple bon moment. «C’est plus qu’une rencontre conviviale… c’est familial je dirais!» En plus des deux sorties annuelles, le club participe à des expositions, et comme dit plus haut, les membres se retrouvent quoi qu’il arrive une fois par mois.
Le périple inoubliable à Garlenda
Il y a les sorties habituelles, les rendez-vous incontournables… et puis il y a les moments exceptionnels, inoubliables, comme ce déplacement du club en Italie, en 2017: «On est descendus une semaine, en juillet, à Garlenda, près de Savona, où se déroule le plus gros rassemblement de Fiat 500 au monde. Nous, on fêtait les vingt ans du club et le Luxembourg était mis à l’honneur. On est partis avec vingt-deux voitures… sur 1500 présentes en tout! C’était vraiment magnifique… On a fait trois haltes sur le chemin. On a vécu un vrai moment de partage», se remémore Vito, encore enthousiaste comme si c’était hier. Lui s’est déjà rendu quatre fois à Garlenda. La passion, encore, toujours, sans compter… «Et je vais sûrement y retourner l’année prochaine.»
Un président irremplaçable
A 66 ans, Vito est l’âme du Club Fiat 500 du Luxembourg. A tel point qu’à l’heure où ce dernier aspire à davantage de repos ou de recul, ses membres ne lui laissent pas le choix de repousser ce moment fatidique du passage de témoin, ou plutôt de volant: «J’ai créé le club il y a vingt-cinq ans, je suis président et j’aimerais sortir un peu de la fonction pour rester uniquement président d’honneur par exemple ou simple membre… mais les autres ne veulent pas! Ils disent que si je m’en vais, il n’y a plus rien qui marche! Hier soir encore, à la rencontre du club, on était dix-neuf, on a dîné, tranquille. Ils ne me laissent m’en aller. Là, je vais partir en Italie, je vais quand même assurer à distance pour le club, je prends le PC à droite, à gauche avec moi. C’est ma passion, et au fond j’avoue je ne peux pas laisser ce que j’ai fondé moi-même…»
Il est presque midi, le soleil brille toujours dans le ciel du Luxembourg. Les quatre Fiat rallument leur moteur, dont le bruit inimitable rappelle le temps d’avant. Leurs conducteurs ont le sourire large comme les hanches de Monica Bellucci, les yeux pétillants d’un plaisir simple et presque enfantin. La petite colonne repart sur les lacets de cette route du nord du pays, les autres automobilistes klaxonnent à leur passage pour les saluer. Encore quelques minutes à les regarder s’éloigner, dans un moment suspendu, à s’imaginer aux alentours de Rome, de Sienne, de Naples ou de Bari. Encore quelques secondes de magie, plongés dans le mythe de la Fiat 500, dans le cœur de l’Italie…
François Pradayrol
Mental Médias SARL
15 Rue Emile Mark
L-4620 Differdange LUXEMBOURG
m : moien@mental.lu