Article issu du Magazine Mental! #18
Il fait partie des sports qui intriguent, fascinent, gardent une part de mystère pour les non initiés. Il suscite souvent un mélange de curiosité et de gentilles moqueries. On tombe dessus parfois au moment d’une insomnie sur une chaîne obscure du câble… Et pourtant ! Animés par notre soif de découverte, nous sommes partis sur les traces… du curling luxembourgeois! Ce sport où un coéquipier pousse une pierre en granit de 20kg sur une piste de glace de 40m, pendant que deux autres membres de l’équipe frottent frénétiquement un balais sur son passage afin de faciliter sa progression. Le but ? Que cette pierre se rapproche le plus possible d’un cercle concentrique de couleur rouge, blanc et bleu appelé « la maison ». Plus elle s’arrête proche du centre de ce cercle, plus l’équipe remporte de points. Chaque joueur de chaque équipe a deux pierres par manches ou « ends ». Une partie se joue en huit ou dix ends. Voilà pour les bases théoriques ! Pour la pratique, prenons le chemin de la glace…
Cette après-midi de fin novembre, il fait frisquet sur la patinoire de Kockelscheuer. Mais le sourire et l’enthousiasme de Karen Wauters, brune tonique de 60 ans, nous réchauffent vite. Cette canadienne d’origine, au Luxembourg depuis 1989, est membre de la fédération luxembourgeoise des sports de glace, s’occupe plus spécifiquement de la section curling, est présidente d’un club et membre de la fédération internationale de curling dans laquelle elle s’implique beaucoup. Quoi de plus naturel lorsque l’on sait que 85 % des joueurs de curling vivent au Canada ! « Mais c’est ici, au Grand-Duché, que j’ai découvert ce sport », précise immédiatement Karen. « Un jour de 1993, une copine écossaise m’a proposé d’essayer et je ne me suis plus jamais arrêtée. » L’Ecosse, le pays où le curling a été inventé au XVIe siècle. Le plus ancien (et sûrement le plus prestigieux) club du monde y est toujours en activité, à Edimbourg : le Royal Caledonian Curling club.
« Un mélange de pétanque et d’échecs »
Revenons « on ice » comme dit Karen, et brisons tout de suite les clichés et les idées reçues : « J’entends souvent que c’est facile et pas sportif, détrompez-vous ! On utilise notamment beaucoup les muscles des jambes et les abdos. » La silhouette de notre spécialiste confirme d’ailleurs cette thèse que les pratiquants du curling, à un bon niveau, sont bel et bien des athlètes. Mais au-delà du physique, il y a tout un aspect technique et tactique : « Il faut anticiper les coups de l’adversaire, calculer celui d’après, analyser les forces et les faiblesses, les siennes et celles des autres. Il faut aussi une bonne communication entre coéquipiers. Le curling est vraiment un sport complet qui fait appel à beaucoup de sens. » La façon dont on tient et lâche la pierre influe également sur sa trajectoire, les coups fiévreux de balais ont évidemment leur importance et ne sont pas là que pour proposer au public une chorégraphie déchaînée. « On peut dire que c’est un mélange de pétanque et d’échecs » tente de résumer Karen.
Un autre cliché a la vie dure et nous sommes là pour le démonter. Le curling serait un sport joué par quelques Canadiens donc, des Ecossais, et un petit cercle de pays nordiques où il fait froid et nuit tôt… Faux ! « Aujourd’hui il y a des équipes au Ghana, au Kenya, en Afghanistan, au Kurdistan, au Mexique, en Iran, en Corée du Sud », énumère la spécialiste luxembourgeoise. Cette discipline olympique officielle de nouveau depuis 1998 (elle l’avait été brièvement en 1924), s’est ouverte sur le monde et développée sur tous les continents.
Un sport inclusif
Au Luxembourg, ils sont aujourd’hui une petite quarantaine à pratiquer le curling. « Parfois un peu plus, parfois un peu moins », constate Karen. Ils pratiquent essentiellement à la patinoire de Kockelscheueur, où ils ont la chance de bénéficier de deux pistes dédiées : « Deux champions luxembourgeois qui avaient un bon niveau dans les années 70 l’ont exigé, et depuis on a la chance d’en profiter ! », se marre Karen. Ils sont une trentaine de membres dans le club qu’elle préside. « Un autre va se lancer, mais on est tous ensemble au fond. Le curling est une famille au Luxembourg. »
C’est l’autre caractéristique majeure de ce sport selon la canadienne, « l’inclusion ». Sur l’égalité des sexes pour commencer. « Le nombre d’équipes mixtes ne cessent de grandir, que ce soit en loisir ou dans le haut niveau » Sur les barrières intergénérationnelles ensuite : « Des pères viennent jouer avec leur fille ou leur fils, des mères font la même chose… Le curling permet et encourage un vrai mélange et se transforme souvent en moment de partage », témoigne Karen. Et le curling luxembourgeois ne s’arrête pas là dans ses ambitions en matière d’inclusion : « Nous travaillons avec les associations pour développer la pratique en fauteuil et permettre au public handicapé de s’épanouir avec nous. Nous espérons même faire du curling la première discipline handisport du Luxembourg ! » Cette après-midi là, Karen accueille pour la première fois un groupe d’adultes handicapés mentaux, qui avait très envie de tester l’activité. La fédération et le club organisent également beaucoup d’événements et d’initiations avec les scolaires, les lycéens, les collégiens. Tous les publics sont véritablement les bienvenus.
Curling is the future
L’ouverture, leitmotiv, donc, de ce sport de glace encore trop méconnu. Ouverture et modernité. L’année dernière, en pleine pandémie de Covid, la fédération de Curling a accueilli un jeune stagiaire dans le cadre de son partenariat avec la LuNex University et son Sport Management Program : « Il était très intéressé par l’e-sport, et nous avons travaillé ensemble pour voir comment le curling pourrait être attractif dans l’univers virtuel », raconte Karen. De là à ce que dans le prochain Terminator ou Star Wars, on voit les protagonistes s’élancer sur la glace et pousser des pierres de granit…
En attendant, tous les curieux qui ont envie de découvrir ce sport peuvent retrouver Karen et sa joyeuse équipe à la patinoire de Kockelscheueur. « Le vendredi soir peut être l’idéal. On organise nos Friday for future, avec des jeunes entre 11 et 17 ans qui nous rejoignent. C’est intergénérationnel, très convivial. Ou les mercredis ou les lundis sinon. » Vous n’avez plus de raisons de ne pas franchir la porte de la patinoire et de, qui sait, devenir les futurs rois ou reines du curling !
François Pradayrol
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