Depuis la crise du covid, plusieurs facteurs contribuent à allonger les délais de livraison des véhicules, notamment électriques. Comment en est-on arrivé à cette situation, et une amélioration est-elle possible en 2023 ?
L’économie mondialisée est souvent présentée comme un gigantesque domino, une action entraînant souvent une répercussion à l’autre bout du monde, provoquant elle aussi une réaction, et ainsi de suite ; vous connaissez le principe. Plusieurs facteurs indépendants les uns des autres sont responsables de la durée parfois extrêmement longue pour la livraison d’un véhicule neuf, encore plus quand il est électrique.
Pour ces derniers, c’est tout d’abord en raison d’une demande mondiale qui a littéralement explosé. Rien qu’au Luxembourg, si l’on compare les ventes de véhicules entre 2012 et 2022, il y a un peu plus de dix ans, seulement 21 véhicules électriques étaient vendus, contre 5 506 l’an passé ! Au niveau mondial, les chiffres sont également impressionnants puisque selon CleanTechnica, il s’est vendu 6 340 000 véhicules 100 % électriques dans le monde du 1er janvier au 30 novembre 2022, contre plus de 4 600 000 sur l’intégralité de l’année 2021.
Parmi les constructeurs aux ventes les plus significatives, on retrouve bien sûr le numéro 1 du secteur, l’Américain Tesla (18,1 % des ventes), devant les Chinois de BYD (12,7 %) et SAIC Motor (9,6 %). Premier constructeur européen, Volkswagen se situe un peu plus loin (7,5 %). La tendance risque en tout cas de s’inverser, les spécialistes du marché indiquant que BYD devrait dépasser Tesla au troisième trimestre 2023. La Chine prend en tout cas plus largement le leadership en matière de vente de véhicules électriques, avec quatre constructeurs parmi les sept qui sont les plus vendeurs.
Vers l’infiniment petit
Selon les spécialistes, c’est en 2023 que l’on devrait voir le bout du tunnel de la pénurie mondiale de semi-conducteurs. Ces puces électroniques ont en effet pris une importance croissante dans la fabrication de produits comme les ordinateurs portables, les téléviseurs, les consoles de jeu, les smartphones de plus en plus puissants notamment avec la 5 G, mais aussi les avions, l’électroménager, les objets connectés, les montres, et également – et c’est ce qui nous intéresse ici – les voitures. D’un point de vue technique, un semi-conducteur est un matériau qui a pour spécificité d’être plus ou moins conducteur de courant électrique. Cette conductivité dépend des matières premières qui entrent dans sa composition (silicium, germanium, carbure de silicium…) et de son processus de fabrication (introduction d’impuretés pour modifier les propriétés électriques du semi-conducteur).
Concrètement, ces semi-conducteurs sont comme des plaques très fines que l’on va empiler, formant ainsi ce que l’on pourrait appeler de minuscules transistors, et cette technologie devient aussi de plus en plus pointue ! Cela nécessite également des investissements très importants, et ce secteur est dominé par des sociétés asiatiques comme TSMC – la plus importante basée à Taïwan – ou encore plus connue du public, l’entreprise Samsung en Corée. Outre-Atlantique, IBM et Intel sont aussi parmi les géants du secteur.
Quand le covid grippe l’industrie
Mais c’est bien TSMC qui se taille la part du lion, produisant à elle seule plus de 50 % des semi-conducteurs de la planète, et surtout 85 % du marché mondial des semi-conducteurs mesurant moins de 7 nm. Car la bataille se situe à des niveaux d’infiniment petit : plus les semi-conducteurs sont fins, plus il devient possible d’en empiler au sein d’une puce électronique. Samsung est également capable de produire ce type de semi-conducteurs, tandis que du côté américain, Intel a annoncé la fabrication de ses premières puces en 7 nm pour 2023. Quant à IBM, il devrait lancer un processeur de cette catégorie destiné à ses serveurs d’ici la fin de l’année, et a récemment annoncé être en mesure de produire une feuille de semi-conducteurs épaisse de seulement 2 nm. Cela permettrait, selon IBM, d’accroître de 45 % les performances d’un semi-conducteur de 7 nm et de réduire de 75 % sa consommation d’énergie. Aucune date de sortie de ceux de 2 nm n’a été précisée par IBM. Loin derrière, deux entreprises européennes détiennent un peu plus de 8 % du marché mondial, les Allemands d’Infineon et les Franco-Italiens de STMicroelectronics, mais ces derniers sont capables de produire des composants de moins de 22 nm.
Plus de 1 000 puces pour un véhicule
C’est tout d’abord la pandémie de Covid-19 qui a interrompu la production des fonderies, tandis que la demande n’a, de son côté, pas cessé d’augmenter. Les différents confinements, le télétravail et le déploiement de la 5G partout dans le monde ont amplifié la consommation de semi-conducteurs. Malgré la crise sanitaire, le marché a augmenté de 5,4 % en 2020, atteignant 442 milliards de dollars, et a encore augmenté en 2021, avec 476 milliards.
La pénurie entraîne donc des retards de production. Dans l’informatique, l’électronique et l’automobile, les délais s’allongent. Pour de nombreux produits, les prix augmentent pour cette raison et également à cause de la flambée des coûts du transport maritime (290 % en un an). Dans le secteur automobile, les constructeurs ont été frappés de plein fouet. Notamment Toyota, qui a dû réduire momentanément sa production de 40 %, avec 14 usines pour certaines complètement à l’arrêt ou tournant fortement au ralenti. D’autres comme Renault, le groupe Stellantis ou encore Volkswagen ont eux aussi vu leur production baisser. Seul Tesla a réussi à maintenir son rythme de production en 2021. Au total, selon le cabinet IHS Markit, la production mondiale de véhicules a chuté de 12 % en 2021, soit un peu plus de 10 millions d’unités en moins.
Afin de construire un véhicule thermique, plus de 1 000 puces entrent dans le processus de fabrication, encore plus pour une voiture 100 % électrique. Le retour à la normale au niveau sanitaire dans le Sud-Est asiatique (Malaisie, Vietnam) a contribué à relancer les exportations de semi-conducteurs. Toutefois, le retour à la normale espéré en 2021 n’a pas eu lieu, et le P.-D.G. d’Intel a eu le nez creux à l’époque, en prévoyant une sortie de crise dans le courant de l’année 2023.
La guerre en Ukraine a aussi son impact
Outre les semi-conducteurs, un autre élément d’importance a vu sa production fortement perturbée. Les faisceaux électriques, produits pour la grande majorité en Ukraine, pays envahi par la Russie depuis février 2022, sont venus à manquer, exposant un peu plus la fragilité du secteur automobile face aux éléments géopolitiques. D’autant plus que les faisceaux électriques sont indispensables au bon fonctionnement des véhicules qu’ils soient thermiques, hybrides ou électriques. Les usines Leoni et Aptiv n’ont donc pas pu honorer les commandes passées par des groupes comme Volkswagen, Mercedes ou BMW, l’industrie automobile allemande ayant beaucoup de connexions avec l’Ukraine. À tel point que Porsche a dû momentanément mettre à l’arrêt son usine de Leipzig en mars dernier.
Les observateurs estiment donc que le retour à la normale devrait intervenir à la fin de l’année 2023, voire au printemps 2024 pour les plus pessimistes, même si les retards tendent à se raccourcir. Ils varient toujours en fonction des marques, et aussi du modèle choisi. En moyenne, celui-ci se situe autour de 8 ou 9 mois. Mais si l’on prend par exemple deux modèles différents au sein de la gamme Mercedes, les différences sont notables. Pour un modèle recherché comme un CLA Shooting Brake, il faut compter 18 mois de délai, tandis que si l’on souhaite s’offrir un Classe G, le délai peut s’élever à trois ans ! La raison ? Certaines marques donnent la priorité aux modèles électriques de leur gamme. Et comme ceux-ci sont de plus en plus nombreux… les marques qui tirent leur épingle du jeu en cette période troublée sont donc celles qui avaient constitué du stock. Parmi les bons élèves, on en retrouve certaines du groupe Stellantis, comme Citroën ou Opel.
Enfin, dernier facteur à l’autre bout de la chaîne de production, la pénurie de chauffeurs routiers. Une tendance qui ne va pas aller en s’améliorant en raison d’une demande accrue dans le transport, et aussi d’une pyramide des âges vieillissante. Le fossé croissant entre les départs à la retraite et les nouveaux conducteurs devrait voir le taux de postes vacants de chauffeurs routiers tripler pour atteindre plus de 60 % d’ici 2026, et quintupler pour les chauffeurs d’autobus et d’autocars pour atteindre près de 50 % d’ici cette même année.
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