Avant qu’Elsy Jacobs ne devienne la première lauréate du Championnat du monde de cyclisme sur route, les femmes ont dû batailler pour gagner leur place dans le paysage sportif. De spectatrices à héroïnes, bilan de plus d’un siècle de combat pour la parité.
Pour bien comprendre les avancées et éventuels atermoiements, il faut avant tout se remémorer à quel point l’on part de loin. Sans forcément revenir sur l’interdiction portée aux femmes de porter des pantalons jusqu’à la demande de dérogation de la peintre Rosa Bonheur au XIXe siècle, ni sur le statut juridique des femmes dans le Code Civil napoléonien de 1804, considérées comme « incapables » au même titre que les enfants mineurs et les déficients mentaux, force est de constater que, dans le sport aussi, mesdames n’étaient guère les bienvenues.
Lorsque le Baron Pierre de Coubertin, « l’inventeur » des Olympiades modernes et néanmoins misogyne accompli qu’il faut cependant replacer dans ce contexte écrasé par la pensée masculiniste hégémonique, fut interpelé pour intégrer les femmes, il s’était fendu de son petit commentaire : « Cette participation, j’y demeure hostile. Elle serait impratique, inintéressante, inesthétique, et – ne craignons pas de l’ajouter – incorrecte. Cela va à l’encontre de la pureté ». Pied de nez à ses coups de freins répétés, les femmes deviendront pourtant des athlètes olympiques dès 1900, aux premiers Jeux de… Paris. 18 femmes s’affrontent ainsi notamment dans les épreuves féminines de golf, tennis et escrime, ainsi que dans des épreuves mixtes de voile, croquet ou équitation..
Noyés dans l’Exposition Universelle, ces jeux avant l’heure vont ouvrir la voie mais la révolution est loin d’être en marche. En 1904, seules 6 à 8 femmes (selon les sources divergentes) sont admises à participer aux Jeux de Saint Louis (USA), toutes en tir à l’arc. Quatre ans plus tard, les Jeux de Londres, organisés sur 6 mois et regroupant des « jeux de printemps », « jeux d’été », « jeux nautiques » et « jeux d’hiver », accueillent 37 sportives. Elles sont cependant cantonnées à quatre disciplines réservées : tir à l’arc, patinage artistique, voile et tennis. Le CIO, fondé par Coubertin en 1894 et exclusivement composé d’hommes, rechigne effectivement à ouvrir aux femmes les épreuves olympiques mais consent à leur inscrire dans deux nouvelles disciplines en 1912 : Stockholm verront donc des femmes participer aux épreuves de natation et de plongeon. En 48 femmes participeront à ces Jeux, une augmentation notable qu’il faut relativiser avec la croissance exponentielle du nombre d’athlètes : elles ne représentaient que 2% des engagés. Si bien que des premiers Jeux mondiaux féminins vont se dérouler en 1922.
Il faudra attendre 1924, les deuxième Jeux de Paris et les derniers du Baron Coubertin, pour voir une véritable avancée : 135 femmes font partie des 3089 athlètes. Parmi elles, Renée Brasseur et Lory Koster représentent le Luxembourg en natation tandis que Rozel Le Gallais porte nos couleurs lors du tournoi de tennis. À partir de 1928, après des années de combat de la Française Alice Milliat qui militait pour cette ouverture, les sportives ont enfin accès aux épreuves de gymnastique et d’athlétisme : nos premières représentantes seront Triny Bourkel, Milly Ludwig et Tilly Decker. Mais les mentalités ont mis bien du temps à évoluer : après le 800 mètres lors des Jeux d’Amsterdam, la presse est vent debout contre l’Allemande Lina Radke qui remporte la médaille d’or. On se moque de son manque de féminité, allant jusqu’à rabaisser son exploit en soutenant que la physiologie des femmes ne peut leur permettre d’atteindre le niveau requis. Le CIO prend même la décision (conspuée légitimement par les mouvements féministes notamment anglais) de ne plus faire disputer de courses supérieures à 200 m aux sportive ! Un couperet arbitraire qui ne ne sera remis en cause qu’à partir des Jeux… de 1960.
En 1948, la star de l’athlétisme néerlandais Fanny Blankers, exhortée par l’opinion publique à rentrer chez elle s’occuper de ses enfants, a subi des lois archaïques qui rendaient impossible à une femme de s’engager sur plus de trois épreuves individuelles olympiques. Déjà sacrée sur 100m, 200m et 80m haies, elle dut donc faire l’impasse à Londres sur les sauts en longueur et en hauteur, disciplines dont elle détenait pourtant le record du monde. Elle se consolera en remportant un quatrième titre sur le relais 4x100m (considérée comme la même épreuve que le 100m), ce qui lui vaudra le surnom ô combien affligeant de « ménagère volante » par la presse de l’époque.
Les Jeux d’Helsinki (1952) sont les premiers où la part d’athlètes féminins dépasse la barre des 10% d’engagés. Au Grand-Duché, pourtant, le patriarcat d’avant-guerre avait encore de beaux jours devant lui : en 1956, la jeune escrimeuse Colette Flesch, 19 ans, avait l’occasion de participer à ses premières Olympiades. Mais on l’en a dissuadée pour laisser sa place à un homme, étant donné que les quotas depuis Los Angeles 1932 restreignaient l’accès aux jeux à trois athlètes par nation. Flesch devra patienter 1960 et des JO entièrement couverts par la télévision italienne pour connaître l’aventure olympique.
Rome est l’occasion de faire entrer les sportives dans une nouvelle ère, avec ses stars : la Noire-Américaine Wilma Rudolph fait carton plein en remportant l’or sur le 100m, le 200m et le relais 4x100m. La Tchèque Dana Zatopkova n’est plus dans l’ombre de son époux le légendaire Emil Zatopek en devenant à quasiment 38 ans l’argent au lancer de javelot. L’Américaine Christine Von Saltza domine la natation en récoltant quatre breloques et trois titres, pourtant loin de la gymnaste russe Larisa Latynina qui ratisse sa moyenne habituelle de 6 médailles dont trois en or en 1960, après ses 4 titres en 1956 et ses deux médailles d’or en 1964. La révolution sexuelle passe par là et les esprits les plus réfractaires se laissent convaincre. Lors des Jeux de Munich en 1972, tristement célèbres pour d’autres drames, les femmes représentent plus de 20% des athlètes participants. L’Allemande Liselott Linsenhoff devient la première cavalière à remporter un titre en épreuve individuelle d’équitation. La gymnaste soviétique Olga Korbut prend la suite de sa compatriote Latynina en empochant trois titres olympiques, tout comme la nageuse australienne Shane Gould, 15 ans seulement, sur 200m nage libre, 200m 4 nages et 400m nage libre. En 1976, Montréal organise le premier tournoi olympique féminin de basket-ball et ouvre également l’aviron aux sportives. Los Angeles 1984 inaugurera la compétition cycliste féminine par une épreuve de course en ligne et ouvre le tir aux femmes.
En dehors des Jeux, tous les grands événements sportifs se mettent à la page des femmes : le Tour de France féminin, après une édition isolée en 1955, sera un succès populaire de 1984 à 1989 en lever de rideau des étapes masculines, notamment grâce à la locale Jeannie Longo. Ce n’est toutefois pas du goût de tout le monde, le cycliste Marc Madiot déclarant face à la championne en 1987 : « Il y a des sports qui sont masculins, des sports qui sont féminins. Voir une femme danser, pour moi, c’est très joli. Voir une femme jouer au football, c’est moche, voir une femme sur un vélo, c’est moche… ». En 1990, les deux tours divorcent et le tour féminin, devenu « Tour de la CEE », décline loin des projecteurs, comme son concurrent « La Grande Boucle féminine internationale » et son successeur la « Route de France féminine », disparus dans l’indifférence générale.
Du côté du ballon rond, après plusieurs compétitions organisées sans son aval et réunissant des équipes féminines internationales l dans les années 70-80, la FIFA décide lors du Mondial 1986 de Mexico d’enfin étudier la mise en place d’une véritable Coupe du monde féminine de football : un test grandeur nature est réalisé en 1988 en Chine sous forme de tournoi international amical. La première édition officielle aura lieu en 1991 avec une périodicité de 4 ans comme chez les hommes, en année impaire suivant immédiatement la tenue du mondial masculin.
Avec la réintroduction du tennis au programme olympique à Séoul, Steffi Graff éblouit quant à elle en mondovision toute la planète sport en remportant en 1988 les 4 tournois du Grand chelem et la médaille d’or aux Jeux, achevant de démontrer que les sportives peuvent autant faire rêver que leurs homologues masculins, et que leurs performances sont tout aussi remarquables. C’est dans cette philosophie que les Jeux de Barcelone introduisent les épreuves de judo féminin. À Atlanta 1996, les femmes sont plus d’un tiers des engagés olympiques, et peuvent désormais disputer un tournoi de football féminin (ainsi que le beach-volley). Quatre années après, Sydney fait évoluer les disciplines réservées aux hommes en rendant enfin accessibles le lancer de marteau, le saut à la perche, le water-polo, l’haltérophilie et le pentathlon moderne aux femmes, comptant désormais pour 40% des participants. En novembre 1999, la FIA redore le blason bafoué en 1948 de Fanny Blankers, quadruple médaillée d’or à Londres, en l’honorant du titre d’athlète féminine du XXe siècle. À Pékin, 127 épreuves féminines et 10 mixtes sont au programme en 2008. Le comité d’organisation a en outre décidé de réduire l’écart entre la participation des hommes et celle des femmes en augmentant le nombre d’équipes participant aux tournois féminins de hockey sur gazon, de handball et de football.
En 2012, pour la XXXe Olympiade moderne, Londres autorise des femmes à prendre part à la compétition de boxe. Ces Jeux sont alors les premiers au cours desquels les femmes sont autorisées à concourir dans la totalité des 26 sports. Le Qatar, Brunei et l’Arabie Saoudite finissent par inclure des athlètes féminins dans leur délégation sous la pression du CIO qui tient à ce que Londres marque la fin de l’exclusion des femmes dans chacune des nations olympiques. La page du sexisme institutionnel a été tournée.
Avec #Me Too puis la pandémie qui ont révélé la violence quotidienne faite aux femmes, les derniers Jeux d’été ont été les premières Olympiades paritaires de l’Histoire. Un événement tardif mais à marquer d’une pierre blanche : 5250 athlètes hommes et 5250 athlètes femmes ont en effet participé à Paris 2024. En boxe, une catégorie féminine prend même la place d’une épreuve masculine, une décision impensable il y a encore au début du nouveau millénaire. Le sexisme ordinaire n’est pas pour autant éradiqué de la sphère sportive, comme nos confrères de Slate l’ont épinglé lors des Jeux de Rio en compilant les commentaires douteux des journalistes de la télévision française. Davantage concentrés sur le physique ou sur la supposée fragilité émotionnelle des athlètes féminins plutôt que sur leurs performances sportives, on peut entendre de nombreux « extrêmement jolies » ou « mignonne et féminine » côtoyer les « ça pleure chez les gonzesses » ou autre « les deux plus grandes drama queens du circuit : il va y avoir des grandes démonstrations, des cris, des larmes ».
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