Car si les femmes font désormais partie intégrante du paysage sportif, leur visibilité médiatique et l’angle d’attaque posent quant à eux encore question. En 2008, le célèbre media français So Foot, une référence dans le milieu, reprenait un sujet du quotidien espagnol Sport sur le « Top 11 des plus belles femmes de l’Euro »… De quoi s’interroger sur le travail qui restait à accomplir. Le projet « All In Plus, Promoting greater gender equality in sport » lancé par le Conseil de l’Europe en 2018 et qui clôturera sa deuxième session à la Coque en février 2025, s’intéresse notamment au traitement médiatique du sport sous l’angle de la parité. Les professionnels des médias des représentants de tous les États membres de l’Accord Partiel Elargi sur le Sport et d’autres pays partenaires bénéficient ainsi de retours d’expérience en collaboration avec le Comité international olympique et l’Union européenne de radio-télévision pour disposer de best practices, à l’image de ce que la ville d’Esch-sur-Alzette et ADT-Center avaient édité en 2022 lors du lancement de son projet « Tou.te.s ensemble vers l’égalité femmes-hommes dans le sport ».
L’objectif, d’après la membre du bureau exécutif du Conseil National des Femmes du Luxembourg Joëlle Letsch, est de voir « perdurer la prise de conscience et les actions dans le temps long, avec la mise en place d’une Charte d’égalité dans le sport qui a vocation à se décliner au-delà du territoire eschois ». En proposant des pistes d’amélioration et bonnes pratiques, en nous interrogeant sur notre propre regard sans jamais porter de jugement comminatoire, ces actions permettent d’axer la réflexion sur la valorisation plutôt que sur la stigmatisation ou la sanction de comportement discriminatoires fortement ancrés dans nos moeurs. « Il s’agit de faire preuve de pédagogie et de subtilité pour faire bouger les lignes et changer les habitudes. »
Ces louables initiatives partent du constat universel d’un traitement inégalitaire des athlètes féminins par la presse sportive, souvent centrée sur leur situation (grossesse, maternité, mariage, âge) ou leurs attributs supposés (grâce, souplesse, qualités esthétiques), et présentés avec des verbes condescendants (« participer », « concourir », « s’efforcer ») voire à la voie passive, d’après l’étude Aesthetics over Athletics when it comes to Women in sport réalisée par l’Université de Cambridge en août 2016 à partir de plus de 160 millions d’exemples contenus dans le corpus sportif de sa bibliothèque !
La boîte à outils « Comment influer sur l’égalité hommes-femmes dans le sport » publiée en 2019 par le Conseil de l’Europe et l’APES insiste : « Un solide corpus de recherches est consacré à l’analyse de la représentation des sportives dans différents médias, sur des périodes distinctes et dans plusieurs pays. D’une manière générale, les athlètes féminines sont beaucoup moins présentes dans les médias sportifs que leurs homologues masculins. De plus, elles sont souvent représentées de manière stéréotypée, comique, sexualisée, voire sexiste. Leur apparence physique, leur féminité et/ou leur sexualité sont plus souvent mises en avant que leurs aptitudes sportives. Par exemple, entre 1997 et 2008, 38 seulement (5,6 %) des 676 numéros du magazine américain Sports Illustrated ont mis en couverture des femmes, dont 12 n’étaient pas des sportives mais des mannequins en maillot de bain. » citant le rapport de 2009 « Women’s Sports and Fitness Facts and Statistics » de la Women’s Sports Foundation.
Il n’est d’ailleurs pas rare y compris sur le territoire du Grand-Duché de constater le sexisme ordinaire des commentaires « hors micro » de certains spectateurs voire journalistes venus assister à des compétitions féminines. Si toutefois nous sommes désormais loin des clichés sur la place des femmes « dans la cuisine » plutôt que sur les terrains, souvenirs réels de joueuses des années 70 mis en lumière par Tessy Troes dans son documentaire « Um ball : 50 ans de football féminin au Luxembourg » (2023), les préjugés sexistes qui ont toujours existé dans le sport sont encore monnaie courante.
Le Conseil de l’Europe salue tout de même les progrès constatés, et nul doute que les prochains bilans après la campagne All in Plus 2023-2025 iront en ce sens, notamment après des Jeux de Paris considérés comme exemplaires à ce niveau.
Il n’en demeure pas moins que les femmes ne sont pas traitées à la même enseigne partout, y compris par les plus hautes instances. Au Luxembourg par exemple, il aura fallu attendre 2024 pour que la Coupe d’athlétisme porte le même nom quel que soit le genre, à l’image de ses homologues en handball. Une grande avancée à saluer. Autrefois dénommée Coupe du Prince chez les athlètes hommes et Coupe des Dames chez les femmes, il en va néanmoins pour le moment de même au niveau des coupes nationales de football ou de basket. Avec une proportion de 45% de femmes licenciées, l’athlétisme ne pouvait s’asseoir sur cette évolution des moeurs. C’est probablement une autre paire de manches pour le basket où elles représentent 31% des actifs et encore davantage pour le football, où elles ne constituent que 8,07% du vivier en compétition (chiffres du Rapport d’activité du ministère des Sports – Exercice 2023).
Il faut évidemment comparer ce qui est comparable. Le traitement médiatique du sport féminin comme l’évolution du nombre de licenciées ne peuvent décemment pas souffrir la comparaison selon que le pays compte 67 millions ou 670.000 habitants. Au Grand-Duché, la couverture sportive par les médias est loin du volume pratiqué par la presse écrite, la radio ou la télévision de nos voisins. Quand on met dos à dos la médiatisation du football, sport le plus populaire sur notre territoire, avec le traitement de sports plus confidentiels outre-Moselle ou en France, la couverture luxembourgeoise du ballon rond est davantage située au niveau de celle… du tir à l’arc. Forcément, les premières à en pâtir sont celles qui subissent non seulement la sous-médiatisation inhérentes aux épreuves féminines des sports même les plus valorisés, une proportion de licenciées minoritaire, et une « qualité de jeu » réputée en-deçà alors même que le spectacle proposé serait supérieur. Quand bien même, c’est le dernier domino, qui attend qu’on améliore en amont tous les maillons de la chaîne. La promotion du sport (et de tous les sports) chez les jeunes filles, une formation à la hauteur de celle proposée par les staffs des équipes masculines, ou des infrastructures a minima égalitaires. Car certaines féminines de football doivent céder leur place en cas d’indisponibilité de leur terrain d’entraînement à l’équipe-fanion, la plupart ne joue pas les matchs officiels dans le stade A du club et se contentent du synthétique, sans gradins. Sans compter qu’il n’est à ce jour toujours pas prévu de diffusion de matchs du championnat régulier.
Certaines disciplines sont surreprésentées en terme de nombre de pratiquantes : 59% des volleyeurs sont des volleyeuses ; 2316 licenciées en gymnastique, soit plus de 84% du total de la FLG ; un chiffre qui va jusqu’à 87% en équitation. Dans des fédérations qui peinent déjà à relayer les compétitions et événements à l’échelle nationale au-delà de leur auditoire de niche. Et la situation n’est guère lus enthousiasmante pour les compétitions plus prisées. Plus d’une fois les responsables politiques et médias à vocation sportive se sont posés la question : le Luxembourg est-il un pays de sport ? Si la réponse est naturellement non, du moins en l’état actuel des choses, le sport féminin est le premier impacté et laissé pour compte. Car si l’on devait conclure ce dossier d’une seule idée, ce serait l’affirmation que nous aspirons à ne plus jamais traiter ce sujet dans nos magazines. Car nous n’aurons plus à nous poser la question de la place des femmes dans le sport, mais celle du sport en général, tous genres confondus, grâce aux résultats et performances des athlètes et équipes qui font rêver les jeunes générations et servent de modèles aux petits garçons et petites filles quels que soient les disciplines concernées.
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