Regards sur la problématique de la parité dans le sport et les efforts à fournir en termes de médiatisation et de visibilité des sports féminins. Entretien croisé avec l’ancienne championne de beach-volley, Norma Zambon, aujourd’hui cheffe du service des sports de la ville d’Esch-sur-Alzette et présidente de la Fédération Luxembourgeoise de VolleyBall ; et Jean-Marie Ersfeld, membre du comité du Boxclub Esch, fier du succès de ses sociétaires femmes.
Mental! : Depuis que vous êtes impliqués l’un et l’autre dans le monde sportif, que vous participez à la mise en place d’actions concrètes pour contribuer à l’égalité femmes-hommes dans le sport, quelles avancées avez-vous pu constater au Luxembourg ?
Norma Zambon : En tant que Service des sports d’Esch-sur Alzette, nous collaborons beaucoup avec le Service de l’Égalité des Chances de la commune sur ces thématiques. Nous nous sommes tous mis autour d’une table afin de rédiger une charte pour l’égalité femmes-hommes dans le sport. Nous avons par ailleurs créé un label sport et égalité or, argent et bronze qui vise à récompenser financièrement et valoriser les clubs qui s’engagent dans ce domaine.
Cela bouge aussi dans d’autres communes, qui nous contactent pour nous demander conseil, mais aussi au niveau du ministère des Sports ou de l’Égalité des chances : tous soutiennent la Journée internationale du sport féminin et s’intéressent à notre charte. Il y a aussi de nouvelles réglementations ou de nouveaux subsides communaux. Nous espérons qu’un jour, les ministères s’en chargent, car le fait que cela vienne d’« en haut » a toujours plus de poids et donne une réelle impulsion. Au niveau de la Fédération de Volleyball, nous participons au projet européen Erasmus+ avec la Confédération européenne du Volleyball et trois autres fédérations. Dans ce sport, nous avons la chance d’avoir même un peu plus de filles que de garçons. À mon avis, c’est bien différent en boxe !
Jean-Marie Ersfeld : C’est simple : quand j’ai commencé la boxe, il n’y avait pas de femmes au Luxembourg et peu au niveau mondial. Cela ne fait que 15-20 ans que les femmes sont plus impliquées dans les sports de combat. Ce qui pose encore des soucis pour trouver des adversaires et nous oblige à devoir chercher des athlètes dans la Grande Région pour organiser des combats. Je suis très fier de dire que, dans notre club, l’athlète du club au meilleur palmarès est une femme ! Ines Anselm (18 ans) a gagné, à ce jour, plus de combats que nos compétiteurs masculins. Elle s’entraîne avec beaucoup de discipline et d’assiduité, tout en poursuivant sa scolarité. C’est un modèle pour beaucoup et nous avons besoin de tels exemples.
Je suis content de voir de plus en plus de femmes qui pratiquent des sports de combat. Elles ne craignent plus les stéréotypes, elles s’émancipent et sont très investies. Dans mes cours, il y a une femme qui est venue d’abord dans le cadre du programme « Intégration par le sport » proposé par la commune d’Esch. Aujourd’hui, elle a gagné une réelle confiance en elle, elle a appris à taper dans la vie, se battre pour ses projets. C’est une joie pour moi.
« Plus il y aura de sportives qui feront rêver, qui donneront envie, plus ce sera facile d’embarquer des femmes pour pratiquer »
Comment interagissez-vous avec les instances sportives, mais aussi les ministères, les communes ou encore les institutions ou associations telles que le CNFL, qui œuvrent pour cette égalité de genre ?
NZ : Le service des Sports a lancé un programme de promotion du sport qui évolue tous les cinq ans. Nous travaillons avec les associations afin de comprendre leurs fonctionnements et leurs besoins pour motiver les femmes à pratiquer, mais aussi à inciter les hommes à faire de la gymnastique par exemple. Cela va dans les deux sens. Nous développons également une offre de formation en lien avec l’INAPS et nous travaillons main dans la main avec les ministères. Promouvoir le sport au féminin est l’affaire de tous. Pour ce qui est de la Fédération de Volleyball, nous nous sommes associés à la FLF, FLH, FLBB et FLTT pour réaliser une vidéo, co-financée par le ministère, afin d’inciter les filles à pratiquer certains sports collectifs. Une autre campagne a été lancée pour l’arbitrage. Nous collaborons aussi avec le CNFL, Joëlle Letsch et notre service de l’Égalité des chances. Tous ont un grand réseau sur lequel nous pouvons nous appuyer pour mener des actions concrètes.
JME : La Ville d’Esch nous met à disposition une plateforme sur laquelle les clubs peuvent s’inscrire pour se faire connaître. Personnellement, je fais beaucoup de promotion pour inviter les filles et les femmes à pratiquer la boxe. Elle met également à notre disposition une nouvelle salle pour proposer un entraînement réservé aux femmes, car certaines préfèrent rester entre elles. C’est une autre façon de les attirer, en les sécurisant.
« Je préfère parfois entraîner des femmes ! Elles sont souvent plus motivées »
Aujourd’hui encore, dans les structures institutionnelles du sport (clubs, fédérations ou autres), trop peu de femmes sont présentes dans l’encadrement et dans les sphères décisionnelles. Pourquoi ? Comment y remédier ?
NZ : Effectivement, il y a neuf présidentes de fédérations sur 66 et seulement 21% de femmes dans les conseils d’administration. À mon avis, il manque des role model qui encouragent les filles à pratiquer du sport. Les garçons, eux, ont Messi, Ronaldo,… Mais, la visibilité des sportives dans les médias reste problématique. Les équipes féminines y sont moins considérées, moins mises en avant que les équipes masculines.
JME : Souvent, les articles qui relaient le sport féminin sont vraiment petits. Et quand il y en a, les noms sont peu cités, notamment pour les sports collectifs. La plupart du temps, on ne sait même pas qui a fait quoi dans l’équipe.
NZ : Plus il y aura de médiatisation, plus il y aura d’athlètes qui feront rêver, qui donneront envie, et plus ce sera facile d’embarquer des femmes pour pratiquer et pour encadrer. Il faut que les mentalités changent, mais tant que les femmes devront faire les courses, le ménage, s’occuper des enfants et travailler à la fois, elles auront du mal à ajouter une charge à leur emploi du temps.
JME : Oui, c’est une question de société, mais ça change quand même. Les discours sont différents maintenant, surtout chez les jeunes. Et pour être honnête avec vous, je préfère parfois entraîner des femmes ! Elles sont souvent plus motivées, plus focalisées sur leurs entraînements et elles râlent moins (rires) !
NZ : J’ai entendu dire la même chose en volley ! Dans 10 ans, quand les hommes aux cheveux gris auront laissé la place aux plus jeunes dans les CA, l’état d’esprit sera différent, c’est certain.
À votre avis, toutes les démarches entreprises jusqu’ici et celles en cours bénéficieront-elles d’un effet post-JO paritaires pour la première fois de l’histoire ?
NZ : J’espère que ça ne fera pas « flop » et que ces Jeux vont amener un souffle nouveau. Que ce dynamisme permette aux gouvernements d’anticiper, d’identifier comment mieux intégrer les femmes, dans les instances sportives, à tous points de vue (formation, financement et médiatisation). J’y crois.
JME : J’ai un autre point de vue. Tous les grands Jeux sont bien médiatisés, tout le monde s’y s’intéresse, mais ensuite, il n’y a pas de campagne qui suit vraiment. L’intérêt dans les médias retombe. C’est dommage.
NZ : Peut-être que ça aide tout de même. Voir des athlètes se dépasser peut provoquer des vocations, des « moi aussi, je veux essayer, je veux rêver ». Mais tu as raison : si au niveau politique, personne ne saisit cette chance, l’engouement sera oublié dans six mois.
JME : Moi, j’ai applaudi quand les joueuses américaines de soccer avaient menacé de faire grève en 2022 pour obtenir l’égalité de traitement. Comme elles étaient championnes du monde, elles avaient pu faire entendre leur voix. Elles l’ont fait et ont obtenu gain de cause. C’est exemplaire !
NZ : Oui, comme les joueurs de foot masculins danois qui ont donné leur prime cet été pour permettre aux filles d’obtenir une rémunération identique. Les mentalités bougent.
JME : Dans notre club, les bourses sont égales entre hommes et femmes. Les sommes sont identiques.
« C’est aux clubs de valoriser, promouvoir leurs athlètes féminines »
Il demeure également des stéréotypes basés sur le genre qui entourent les pratiques sportives. Nous pouvons citer pour exemple la question du casque en boxe, qui est toujours obligatoire pour les femmes aux Jeux olympiques, mais plus pour les hommes depuis 2016. Qu’en pensez-vous ?
JME : Aucun boxeur, aucune boxeuse ne veut de casque ! Des études avaient été menées en 2012, mais que sur des hommes. Un cerveau reste un cerveau dans une boîte crânienne ! Casque ou non, la boxe, c’est taper fort. C’est du full contact. Mais cette question ne concerne que certaines élites. Elle ne se pose pas pour les amateurs qui n’en portent pas en dehors des JO.
C’est super que les boxeuses se soient manifestées, ça crée des vagues et des discussions.
NZ : On est en train d’avoir des femmes modèles qui s’investissent pour leur sport au féminin. C’est une excellente nouvelle. Ça me rappelle les volleyeuses en beach volley, il y a plus de 10 ans, qui ont manifesté contre le port obligatoire du bikini d’une taille réglementaire de 7 centimètres. Pour y avoir joué, je peux vous dire qu’on se sent mal dans ces petites culottes ! Aujourd’hui, on peut mettre un short, un legging long, un bikini… le choix est libre.
JME : C’est vrai qu’en tant qu’hommes, on s’intéressait aux tenues, mais ce n’est pas du peep show ! C’est du sport et c’est cela qu’il faut valoriser. Les résultats, les performances. Pas les corps. J’ai une phrase toute simple : ce qui compte pour les disciplines sportives dans lesquelles les femmes sont sous-représentées compte également pour les disciplines où les hommes sont sous-représentés. Après 40 ans de combat féministe, j’aimerais que cette discussion ne soit pas plus sur la table, c’est fatigant. Parlons des résultats, des athlètes, du sport. J’ai à coeur que cela change vraiment, pour les futures générations.
Quelles seraient les priorités et les actions à mener à plus long terme afin de faire du Luxembourg un pays exemplaire en matière d’égalité femmes-hommes dans le sport ?
JME : Les clubs doivent s’engager davantage, parce qu’on entend toujours qu’il n’y a pas assez de promotion pour les femmes, que les sponsors sont frileux. C’est aux clubs de valoriser, promouvoir leurs athlètes féminines, de les mettre en avant pour obtenir du sponsoring et de bien vendre le sport au féminin (ou au masculin pour la gymnastique par exemple). Ça changerait tout. J’ai une phrase toute simple : ce qui compte pour les disciplines où les femmes sont sous-représentées compte aussi pour celles où les hommes sont sous-représentés.
NZ : Pour moi, il y trois axes d’amélioration à travailler : atteindre la parité dans les compétitions nationales et internationales ; encourager les femmes à entrer dans les conseils d’administration et améliorer la couverture médiatique du sport au féminin.
Anne-Clair Delval
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