Le jour et la nuit. Entre son arrivée au Grand-Duché comme joueuse en 2018 et sa troisième saison sur le banc, Elodie Martins a pu savourer une évolution remarquable du paysage du foot féminin. Entretien long format avec la coach qui rafle tout sur son passage.
Elodie Martins a commencé le football dans un petit club perdu au milieu de la Meuse, à 50km à l’ouest de Metz. Au VHF, entente entre les communes de Vigneulles-lès-Hattonchâtel, Hannonville-sous-les-Côtes et Fresne-en-Woëvre, elle montre rapidement son talent. Elle fera ses preuves du côté de Woippy d’abord, puis Saint-Avold avant de revenir à Woippy, assurer une pige à Algrange et de rejoindre le FC Metz où elle connaît sur le tard l’élite du foot féminin français. Depuis 7 ans, elle s’est expatriée à Luxembourg où elle a trouvé au Racing plus qu’un club : un accomplissement.
Vous avez joué de nombreuses saisons en France avant de débarquer au Racing : quelles sont les différences notables avec l’autre côté de la frontière ?
Elodie Martins : Déjà le niveau sportif, mais surtout les infrastructures… Et encore, nous ici au Racing on est bien loties, mais ce que j’ai vu à l’extérieur… Parfois on est reçues dans une petite cabane, dans des conditions scandaleuses. D’autres fois on est bien accueillies mais le terrain est très difficile. Il y a des clubs où tout se passe très bien, mais d’autres ou c’est compliqué. Honnêtement je suis contente de voir qu’à Hesperange ou Junglinster les conditions sont réunies pour nous concurrencer, qu’il y ait au moins un club qui ait cette ambition.
Quelle image du football féminin avez-vous à présent ? Cela doit être bien différent de celle que vous aviez quand vous avez commencé à pratiquer ?
J’ai commencé avec les garçons, donc je ne savais pas vraiment ce qu’était le football féminin, je ne m’y intéressais pas à l’époque. Mais maintenant, je dirais qu’il y a eu une très grosse évolution. Enfin ! Les footballeuses sont des sportifs à part entière. Que tu sois un homme ou une femme, tu pratiques le même sport, et sportivement on n’a rien à envier aux garçons.
Depuis votre arrivée au Grand-Duché, quelles sont les améliorations que vous constatées ?
Le nombre d’étrangères qui sont venues surtout : c’est vraiment le point positif qui a fait que le championnat a changé. C’est réellement un nouvel élan. Et la couverture médiatique aussi, avant il n’y avait rien de rien. Je dis toujours que je travaille pour le Racing mais aussi pour le Luxembourg, car quand tu vas en Ligue des champions, tu représentes le pays. Si j’ai pu apporter quelque chose au football pour le Luxembourg, j’en suis fière.
Il reste toutefois du chemin à parcourir, on pense par exemple à l’arbitrage des matchs de Ligue 1, avec un seul arbitre et personne pour officier sur les touches…
J’ai vu que la fédération avait mis en place un quatrième officiel sur les matchs de BGL Ligue, je faisais des bonds de 40 mètres : ce serait bien que nous on ait droit à trois arbitres ! C’est vraiment le gros point noir pour tout le monde. Pour les clubs, pour le public et en premier pour l’arbitre central qui est seul et pour qui c’est hyper compliqué… En plus nous on leur en rajoute en leur mettant la pression derrière ! C’est bien d’en mettre trois sur les « gros » matchs mais il faudrait peut-être penser à tout le monde…
Comment fait-on pour attirer des joueuses qui ont connu des structures plus professionnelles chez nos voisins en Allemagne, en Belgique ou en France ?
D’abord si tu as un petit réseau, c’est un peu plus « facile ». Je vais chercher des filles que je connais, avec qui j’ai joué. Ensuite et c’est le plus important, le projet. On a la chance de jouer la Ligue des champions depuis plusieurs années, c’est un atout sur lequel on peut s’appuyer. L’environnement aussi : 100% de nos filles sont sous contrat, ce qui montre la confiance du club et la volonté d’engagement des joueuses. Et puis quand je dis que notre président est une femme, c’est quelque chose qui peut faire la différence. Avec mon staff quasiment exclusivement féminin, ça peut convaincre, et ça prouve aussi que même si on est une femme, on peut avoir les qualités pour pouvoir faire les choses comme les hommes !
Qu’est-ce qui nous démarque des clubs que vous avez joués en Ligue des Champions (comme joueuse contre Benfica ou la Juve, ou comme coach contre le PAOK ou Galatasaray plus récemment) ?
Ça va se faire petit à petit, et ça passera forcément par le recrutement. Tous les ans, apporter une ou deux joueuses qui vont aider l’équipe à passer un cap. Car même si le niveau est meilleur qu’il y a quelques années, on a encore un gros cap à franchir et ça prendra du temps. Après, on parle de filles qui gagnent 5.000€ par mois en face, on n’a pas été ridicule cet été, on est même allé chercher une troisième victoire [nldr : en Champions League après Sarajevo en 2021 et Flora en 2022]. Mais au Racing on a une énorme force : c’est la cohésion de groupe. Je pense que dans toute ma carrière, ce sont mes meilleures années, celles où je me suis le plus amusée, même en tant qu’entraîneuse ! Et je pense que cette saison, malgré tous les départs qu’on a subis, avec des arrivées bien ciblées, c’est ma meilleure année humainement au Racing.
Ça doit être une énorme satisfaction de voir vos meilleures joueuses partir et de rester quand même leader contre toute attente ?
Oui… Tout le monde nous a enterrés avant même que la saison ne commence… (Rires) Ça a été dur. C’est bien beau d’avoir gagné plein de choses avec le Racing mais il ne s’agit pas de baisser les bras quand c’est la merde. Donc avec Andrea [ndlr : Burtin] et Julie [Wojdyla], ainsi que Chloé Luthardt qui fait partie de mon staff, on s’est mis autour d’une table et on a discuté. On a fait tellement de sacrifices qu’il fallait qu’on tente quelque chose, et à l’heure d’aujourd’hui, visiblement… bingo !
Le passage à 10 clubs avec des play-offs a fait entrer la ligue 1 dans une nouvelle ère. Doit-on aller plus loin en restreignant l’élite à 8 équipes pour plus de compétitivité ?
Ça ferait encore des play-offs plus longs… C’est vrai que c’est hyper compliqué pour le bas du tableau. Ce système de play-offs, il est vraiment bien : ça offre des matchs avec plus d’intensité, plus régulièrement, mais c’est concentré sur une fin de saison où les organismes souffrent déjà. On commence déjà très tôt avec la Ligue des champions alors en rajouter… J’aime bien parce que ça me plaît d’aller chercher cet engagement, mais sur la durée, physiquement pour des filles qui travaillent 8h par jour, c’est difficile.
La littérature scientifique a mis en évidence que le foot était essentiellement pensé pour les joueurs masculins : équipement (forme des chaussures, couleurs des shorts), technologies (chasubles GPS) voire infrastructures (terrains de seconde zone, entraînement partagés avec équipes jeunes, éclairages…). Partagez-vous cet avis ?
Pas vraiment. La seule chose que je demande, c’est pas de short blanc. Le deuxième jeu de maillots est noir, mais le bleu ciel est l’identité du club et pour l’anecdote, les trois quarts des filles préfèrent jouer en bleu ! Concernant les infrastructures, on est vraiment gâtées ici. On a notre terrain propre, dans un complexe 100% féminin, j’ai ma propre kiné qui s’occupe de toutes les filles… On a accès quand on veut à la salle de muscu du club, on joue sur le grand terrain…
Le regard du public est parfois encore très stéréotypé sur la qualité voire la légitimité du football féminin. Vous-même avez-vous déjà été victime ou témoin de remarques sexistes ?
Franchement, pas à ma connaissance. Après j’ai un très gros caractère, donc peut-être que ça s’est produit et que j’ai tellement bien répliqué que ça m’est passé au-dessus de la tête ! Même quand je jouais avec les garçons, je ne me souviens pas. Alors oui, forcément quand je vais sur les réseaux et que je lis certains commentaires, ça me fait bondir… Sur le terrain ou dans un stade, à part entendre des choses comme « c’est une danseuse », et là je vais toujours protéger mes filles… Mais on entend ça aussi chez les garçons !
Cela signifie que les mentalités évoluent. Mais alors comment expliquer qu’il y ait si peu de femmes à la tête d’une équipe ? Et que la seule T1 (BGL Ligue et L1 dames réunies) n’ait toujours pas remporté le Dribble! d’Or ?
Je ne sais pas, je ne me l’explique pas, surtout que chez les dames ici, il n’y a pas de restriction de diplômes comme en France. Parfois j’ai l’impression d’être seule au monde… Mais encore une fois c’est peut-être à cause de mon caractère. Ce qui peut être un atout chez un coach homme peut me desservir. C’est un rôle d’être coach. Déjà quand j’étais joueuse, j’étais « la chiante » du groupe. Et comme coach sur mes séances d’entraînement je suis très dure. J’ai même des fois du mal à redescendre ! Je coache mes filles comme si je coachais des hommes. Je leur parle sèchement, mais c’est ça aussi qui fait qu’elles adhèrent à ma vision, car elles savent que je suis droite et carrée. Et puis il y a aussi beaucoup d’amendes chez nous… (rires) On voit en général la femme comme quelqu’un de douce, et je ne corresponds pas du tout à ce type de personne. C’est le seul trophée qui me manque au Luxembourg ! Mais l’an passé, entre ce que Gerome a fait à Hesperange, Pol qui fait un boulot énorme à Ell… Désormais avec Julien Turnau que je connais depuis 20 ans [ndrl : Junglinster] ou David Regis [Mamer], il y a du beau monde sur les bancs luxembourgeois, mais pas de femmes… Ça va venir !
Il n’y a pas beaucoup de monde dans les stades non plus… Comment pourrait-on améliorer l’affluence et la façon dont on considère les footballeuses au Luxembourg ?
Parfois je suis tellement dans mon match que je ne me rends pas compte du nombre de gens présents au stade. Ce que je sais, c’est qu’il y a de plus en plus de couverture. Il y a sept ans quand je suis arrivée, il ne se passerait rien, c’était le néant ! Il n’y avait rien sur les réseaux, et petit et petit il y a eu un engouement. Je trouve que c’est vraiment pas mal comparé au moment où je suis arrivée. C’est sûr qu’on veut toujours plus, on aimerait que la coupe soit plus couverte par exemple, mais l’être humain en veut toujours plus !
Alors comment créer le cercle vertueux pour passer ce cap que vous soulignez et améliorer la qualité de jeu ?
Je n’aime pas parler salaire parce que c’est un sujet de division, mais honnêtement, l’argent reste le nerf de la guerre. Aujourd’hui, si vous voulez vraiment une très très bonne joueuse, elle ne viendra pas pour rien du tout. Et avoir été joueuse fait que je comprends, c’est dur de cumuler le travail, les entraînements, les matchs… Le foot évolue ? Les filles avec ! Elles ont des rêves, et l’objectif de consacrer leur vie au foot, donc si le club n’est pas capable de le leur offrir… Je pense que l’évolution passera forcément par là. On ne peut pas demander à une fille qui a son travail où elle fait 40h semaine et l’entraînement les soirs d’être aussi performante sur le terrain et dans son hygiène de vie qu’une fille qui est payée uniquement pour ça. En France, c’est cette prise de conscience qui a permis à certains clubs d’investir pour créer un engouement. Cela a pris du temps, alors que c’est un autre pays, bien plus grand, avec beaucoup plus de licenciées, incomparable avec le Luxembourg.
Pourtant, de plus en plus de clubs y viennent et ouvrent (ou ré-ouvrent) une section féminine : Dudelange, Strassen… Donc le vivier est bien présent ?
Il y a vraiment de très bonnes joueuses ici. Après, je pense qu’il faut savoir les laisser partir, qu’elle passe un cap en allant voir ailleurs. Alors oui c’est moche pourle championnat luxembourgeois, voir des filles comme Marta – même si j’ai essayé de la garder ! – partir pour le PAOK ou Catarina en Allemagne, j’étais tellement contente pour elles. Et fière car on a parlé d’elles par rapport à ce qu’elles ont montré au Racing. Mais pour revenir sur le cap à passer, selon moi le fait que les entraîneurs ne soient pas diplômés, c’est un vrai frein. C’est bien d’avoir des filles, mais il faut mettre des choses en place pour les faire progresser. Si vous ne mettez pas des personnes compétentes devant elles, c’est problématique. Sur la ligue 1, un diplôme UEFA-B me paraîtrait le minimum pour pouvoir proposer des choses cohérentes et en toute sécurité.
Vous avez un travail, vous êtes engagée comme coach et joueuse aussi côté français, comme faites-vous pour jongler avec toutes ces casquettes et surtout avoir de si bons résultats avec le Racing ?
C’est simple : je suis sur le terrain du lundi au dimanche (rires) ! Une ou deux fois par mois, je m’accorde un petit peu de temps, mais sinon j’essaie d’amener ce que je peux amener de positif où je le peux. J’apporte mon vécu de joueuse, mais j’apprends beaucoup aussi. Ce n’est que ma troisième saison sur le banc, même si j’ai déjà coaché à Forbach ou sur des plus jeunes, le vrai coaching c’est celui du Racing. En mélangeant ce côté presque pro ici et le côté amateur de Longeville-lès-Saint-Avold, ça m’enrichit énormément. Mais quand les trêves arrivent, ça fait du bien !
Est-ce qu’on pourrait imaginer Elodie Martins au Luxembourg dans un autre club que le Racing ?
Je n’y ai jamais pensé ! C’est une question trop difficile, je n’ai connu que le Racing au Luxembourg. Je suis bien dans ce club. Surtout cette année, où il a fallu être inventive pour faire tous les médias (rires). J’ai choisi de ne pas communiquer sur les recrutements, et d’avoir travaillé dans l’ombre, encore cet hiver, j’étais hyper fière. Épuisée mais très fière.
À bientôt 40 ans, quel regard portez-vous sur votre carrière ?
J’ai eu ma fille très jeune, et avec mes problèmes au genou, j’ai dû recommencer au plus bas niveau en France jusqu’à arriver en D1 sur le tard. Mon but était d’arriver à toucher l’excellence, et j’ai pu le faire ce dont je suis particulièrement fière. Et l’arrivée au Racing en fin de carrière m’a redonné un surplus de motivation… Et j’ai toujours envie de jouer comme si j’avais 20 ans, mais mon corps ne suit pas (rires) ! Des fois, ça me démange de rentrer sur le terrain pour les aider et surtout vivre les choses avec elles. Parce que j’ai un groupe de filles qui sont des guerrières, elles donneraient leur vie sur le terrain. Ça m’épuise plus d’être coach que joueuse, c’est fatigant !
On vous voit rarement célébrer. Est-ce que c’est parce que vous avez banalisé les victoires au Racing ?
Non, alors pas du tout ! J’ai une causerie avec neuf feuilles : tout est détaillé, mes objectifs, etc. Et juste avant, je fais toujours un bilan avec l’équipe qu’on reçoit, le classement, en essayant de les stimuler le plus possible, tout le temps. C’est pas une habitude de gagner, pour elles. Elles gagnent parce qu’elles vont le chercher, en se remettant en question. Je leur dis trop peu les choses bien… J’insiste devant tout le groupe sur nos erreurs, sur les fois où on a été mises en danger. Pour l’instant ça passe bien, les filles sont réceptives, que ce soit les nouvelles qui viennent d’arriver comme Boissou ou Michalak qui ont connu le haut niveau, ou les toutes jeunes comme Gloria ou Zoé qui sont emmenées par les « vieilles ». Alors c’est vrai que ça chante jamais dans le vestiaire, on préfère se chambrer sur les bêtises des uns ou des autres, mais elles sont fières de passer les étapes. C’est plus en interne qu’on va se féliciter. D’ailleurs je tiens remercier mon staff de me supporter au quotidien !
Si vous deviez comparer le foot masculin et le foot féminin au Luxembourg, quels sont les points communs et les différences que vous retiendriez ?
Au niveau des différences, le rythme : chez les garçons, ça va un peu plus vite, c’est plus puissant. On n’est pas faits pareils, c’est normal. Mais les femmes pleurent moins que les garçons, c’est une réalité ! Mais la culture tactique au Luxembourg chez les femmes est un vrai problème. Tant qu’on n’aura pas des personnes diplômées qui savent ce qu’ils font dès le plus jeune âge, ce sera hyper compliqué. J’ai quand même récupéré des filles qui ne savaient pas ce que voulait dire « coulisser côté ballon ». Elles n’y peuvent rien parce que personne ne leur a jamais appris. Le diplôme ne fait pas tout, mais ça te donne une certaine base. Quant à moi, je veux vous remercier de prendre le temps de parler du foot féminin, et exprimer ma reconnaissance au club, en particulier à Pia et à la présidente, mes joueuses sans qui je ne serais rien, mon staff qui travaille dans l’ombre à la perfection, et surtout mes proches qui vivent au fil de mes saisons, notamment les deux personnes les plus chères à mon cœur !
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