Après un tour initial des locaux, particulièrement conséquent, un café et deux verres d’eau face à nous, l’entretien d’un homme pressé peut débuter. Présent seulement quelques jours encore au Luxembourg avant d’ouvrir une nouvelle filiale de sa compagnie Cap4 Group, 3e au classement Bestplace To Work en 2022 – une fierté pour le dirigeant – Fabien Zuili nous rencontre, certes dans ses bureaux, mais pour parler d’un autre sujet : le ballon rond. Et évidemment, sa reprise de la présidence au FC Schifflange 95.
Grandi au sein d’un ménage particulièrement modeste, Fabien Zuili est vite dévoré par le virus du football, largement influencé par un père ayant joué de nombreuses années, que cela soit en Tunisie ou en France. Et est un grand fan de football, dans lequel « on retrouve sur un terrain tous les traits de caractères d’une personne ». Notre hôte pour quelques heures savoure, sans nécessairement le dire, l’idée d’aujourd’hui prendre les rênes d’un club, lui qui aspirait à des choses tellement éloignées de cette destinée plus jeune. « À la base, je voulais faire prof de sport ou d’histoire » sourit-il. Finalement, la trajectoire sera tout autre. À 56 ans, le nouveau président du FC Schifflange 95, proche de rejoindre la BGL Ligue, n’a pas nécessairement eu le parcours qu’il s’imaginait, mais se réjouit d’être où il est aujourd’hui, avec un nouveau projet, conséquent, qui se présente devant lui.
« De l’autre côté de la frontière, les gens sont trop dans la compétition. Ici, je trouve que ce c’est pas assez. Ce sera l’objectif de trouver le juste équilibre »
Si le futur président admet sans peine que les mois à venir feront partie de l’apprentissage (« Je vais être dans l’observation dans les mois qui viennent »), la vision de l’homme lui, est déjà fort claire. Et s’appuie, au-delà de l’ambition sportive, sur ce qui lui tient le plus à coeur : le caractère particulier du football luxembourgeois. « Les forces du foot ici, c’est avant tout l’esprit associatif qui demeure très présent. L’enfant du village est mis en avant. Je retrouve un peu ce côté très familial et protecteur des enfants que j’ai connu en grandissant en Corse. Maintenant, cela peut aussi avoir l’avantage de ses défauts. De l’autre côté de la frontière, les gens sont trop dans la compétition. Ici, je trouve que ce n’est pas assez. Ce sera l’objectif de trouver le juste équilibre ».
Ainsi, malgré des ambitions bien réelles (on y reviendra), le résident luxembourgeois depuis maintenant bientôt 30 ans semble avant tout se focaliser sur l’importance de l’aspect communautaire et citoyen du ballon rond. « Le foot est fédérateur. On peut passer des années dans un village sans connaitre personne. Mais à partir du moment où les gens vont voir les matchs de leurs enfants, ou jouent eux-même, alors les liens se créent. On propose alors des barbecues, des rencontres, et on crée une communauté ».
Un amour certain pour le monde du football associatif, qui n’aveugle néanmoins pas l’homme d’affaires, conscient des difficultés actuelles auxquelles sont confrontés beaucoup de bénévoles au sein des clubs. « Le risque d’un club en milieu associatif, c’est l’usure des bénévoles, car on retrouve toujours les mêmes. Sans renouvellement, il y a une saturation mentale. C’est un vrai enjeu pour un président de club au Luxembourg, de créer une dynamique pour avoir un renouvellement et un soulagement des bénévoles au pays. C’est quelque chose sur lequel, avec la formation des jeunes, je veux absolument me focaliser ».
En commençant par améliorer l’encadrement des jeunes, « base essentielle » selon notre interlocuteur, pour assurer un renouvellement du bénévolat, et un intérêt des Schifflangeois pour leur club, plus proche que jamais de rejoindre l’élite. « Si on forme les jeunes au club, ils s’y sentent attachés. Ils resteront pour regarder les autres jouer, et s’impliqueront potentiellement dans la vie du club. Tout comme les parents, qui accompagneront leurs enfants, peuvent trouver en ce cadre un lieu de communauté, de partage, et continuer à faire évoluer ce rapport fédérateur à leur équipe. Tout commence là. Je veux aussi créer plus d’échange avec les écoles de foot, offrir des alternatives dans le recrutement. »
« créer une dynamique pour avoir un renouvellement et un soulagement des bénévoles au pays »
Il est parfois compliqué, en certains moments, de suivre le fil de la conversation, tant l’homme d’affaires, les pensées aussi polyvalentes que ses différentes fonctions, peut débuter sur un sujet, avant de finir sur un autre. Un trait de personnalité que Zuili admet parfaitement, nous encourageant, à un moment, de le couper et poser des questions, au risque de nous perdre. Soit. Autant aller droit dans le vif du sujet : « Si je vous dis « Schifflange va être un candidat à l’Europe d’ici trois ou quatre ans, est-ce déconnant » ? La réponse, ici, fuse, et est parfaitement claire : « Non, ça n’est pas déconnant. Je veux faire de Schifflange un acteur majeur du football au Luxembourg. J’ai trouvé un comité qui a vraiment l’amour de son club et veut le faire évoluer. Ils n’ont pas hésité à venir me chercher, à moi de leur rendre dorénavant. C’était impossible pour moi de dire non, et visons grand dorénavant ». Preuve en est que l’homme d’affaires n’est pas venu au Luxembourg pour faire de la figuration et entend bien faire de Schifflange, une nouvelle place majeure du football au Grand-Duché.
Derrière ces envies de grandeur se cache néanmoins un planning qui pourrait paraître incompatible avec une telle activité. Avec un agenda particulièrement chargé, que Zuili nous narre brièvement à notre arrivée, entre inauguration d’une nouvelle filiale à New York cette semaine, et autres déplacements nécessaires à venir en Asie, la question se pose de la capacité à être présent dans la régularité au sein du FC Schifflange 95. Une interrogation partagée par notre interlocuteur, qui assure néanmoins, avoir prévu de modeler son agenda pour être un acteur présent. « Je vais déléguer beaucoup dans l’entreprise pour pouvoir trouver du temps pour ce club, et trouver un équilibre entre le foot, mon entreprise et la famille ». Et confirme vouloir être « présent au stade, à chaque fois que je peux me le permettre ».
« On ne peut pas concurrencer le PSG en termes de moyens, mais on le peut dans la qualité de ce que l’on fait »
Alors que Schifflange n’est potentiellement qu’à une victoire dimanche prochain contre Bettembourg d’assurer son futur dans l’élite du football au Grand-Duché, le nouveau président l’assure : ce n’est pas cette hypothétique montée qui a pesé dans la balance. « Je n’ai pas choisi de venir car le club va probablement monter en BGL Ligue. Il y avait un désir de passer la main à un président qui peut amener un peu plus de dynamisme financier, de relationnel, et de management » assure-t-il avant de tempérer. « Après, avait-on vraiment besoin d’un président comme moi avec une Sophie Lamorté aussi professionnelle, et qui donne sa vie pour ce club ? ». Des louanges pour la Directrice Générale, qui lui permet d’embrayer sur l’importance d’un groupe décisionnaire compétent. « Un président, c’est aussi ceux qui l’entourent. Je viens dans une réflexion de continuité, pour apporter ma pierre à l’édifice, et faire encore plus progresser le club. On voit qu’on peut faire des choses avec peu de moyens si on a la conviction, les envies, les idées.. On ne peut pas concurrencer le PSG en termes de moyens, mais on le peut dans la qualité de ce que l’on fait. En apportant cette mentalité dans le foot, on peut faire de grandes choses ».
Adepte de citations, Zuili semble en utiliser un grand nombre pour synthétiser sa vision du monde, tant dans l’aspect privé, que professionnel. Et n’hésite pas à en utiliser certaines plus classiques que d’autres, à l’instar de l’indémodable « La patience est la meilleure des vertus », avant de préciser « Être patient, cela ne veut pas dire rien faire. C’est travailler, travailler, travailler ».
« Je ne ferai preuve d’aucune ingérence (sur l’aspect sportif). Je sais où est ma place »
Avec de réels moyens à sa disposition – le budget de Schifflange devrait considérablement augmenter – Fabien Zuili le sait, il est une pioche rare au Luxembourg. Et peut donc, en bon passionné, vouloir contrôler peut-être plus que son prédécesseur certains pans d’un club, en particulier sur le plan sportif. Alors que l’homme de 56 ans peut, ici ou là, partir dans certaines envolées, cette fois ci, confronté à la possibilité d’empiéter sur les responsabilités de son entraîneur, la réponse est particulièrement directe. « Je ne ferai preuve d’aucune ingérence. Je sais où est ma place » avant de confirmer les personnes en poste. « Ismael Bouzid aura le plein pouvoir avec Sophie Lamorté sur le rayon sportif, ils le connaissent bien mieux que moi. Je propose, il dispose. De par mes contacts, je peux offrir des profils, par exemple. Mais si Ismael me dit non, alors c’est non. Aussi simple que ça. Maintenant, si j’ai une idée qui me vient, ou si j’entends quelque chose, alors évidemment je donnerai mon opinion. S’ils sont réceptifs, go, et si non, c’est fini. Un président doit mettre son égo dans sa poche, être à l’écoute, et apporter ».
Qu’est-ce être un bon président précisément, selon Zuili ?« Le président a une vocation de représentativité du club, et doit être en support des autres. On peut tendre vers une direction que l’on a discuté entre nous, on doit être d’une certaine manière un guide, mais à un moment donné, ma responsabilité, c’est donner tous les outils pour que cela fonctionne. On a un chat avec Sophie et Ismael pour communiquer ensemble. J’ai appris que l’entraîneur avait besoin d’une caméra spécifique pour mieux travailler les entraînements. Une semaine après, il l’avait. Car j’ai compris que c’était important, et donc, j’ai essayé d’aider ». Avant, une dernière fois, de revenir sur un ballon rond qui, selon lui, doit dépasser les pelouses. « Je veux fédérer par un état d’esprit. Sion, on crée quelque chose sans âme. Tout seul, on n’est rien. »
Cette aide vient évidemment de moyens financiers certains. Une manne que le dirigeant ne nie pas. « Bien sur qu’il faudra plus d’argent pour être compétitif. Je vais faire appel à grand nombre de mes connaissances pour recevoir leur soutien » avant d’enchaîner sur les infrastructures. « J’estime que les gradins ne sont pas au niveau d’un club de BGL Ligue. D’ailleurs, au Luxembourg, on peut trouver des clubs de qualité avec des terrains catastrophiques, et d’autres moins forts mais avec des bien plus belles pelouses. Il faut donc s’assurer une communication fluide avec la commune, qui est indispensable dans le bon vivre d’un club ».
Après plusieurs heures à discuter, la flamme qui anime le nouveau président de Schifflange reste bien présente. Une nouvelle aventure qui, selon ses propres dires, « promet d’être passionnante ». Avant, encore une fois, de se targuer d’une de ces citations dont il est si friand. « La recherche du bonheur, c’est raccourcir les moments qui séparent les instants d’extase ». La dernière d’un entretien chargé, parfois décousue, mais face à un homme qui semble savoir exactement où il veut aller. Des intentions et moyens bien présents, mais qui seront évidemment mis à mal par les habituels tracas d’un club dans le microcosme luxembourgeois, mais aussi, et surtout, de l’imprévisibilité du sportif. Pas de quoi freiner Fabien Zuili, qui, une dernière fois, rappelle qu’il n’est pas ici pour une aventure d’un soir : « Je ne suis pas là pour rester deux minutes. Je suis là pour autant de temps que le club me voudra. J’ai tout à apprendre du milieu du foot. »
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