Fut un temps où une seule chose comptait dans la performance sportive d’un collectif : les qualités intrinsèques des athlètes. Seuls véritables facteurs influenceurs, ces derniers étaient en tous points les seuls responsables des résultats – bons ou mauvais – de l’équipe. Une physionomie qui a logiquement évolué, laissant de plus en plus de place à un encadrement spécifique focalisé sur une chose : la maximisation du potentiel. Ainsi, au simple entraîneur s’en sont ajoutés d’autres, plus spécifiques, aux objectifs plus poussés. Se sont également ensuivis des préparateurs physiques, mentaux, kinés, médecins, et bien d’autres. Une mue du sport collectif qui offre aujourd’hui des effectifs bien plus larges que par le passé, et où il faut, envers et contre tout, trouver sa place. Déjà tout un programme. Mais qu’en est-il lorsqu’il s’agit d’une femme au sein d’une équipe masculine ? Est-il plus complexe de réussir à faire partie du groupe ? Devient-on l’une des leurs , ou souffre-t-on toujours d’une discrimination basée sur le genre ?
Pour Laurence Reis, physiothérapeute au sein de la Résidence Walferdange depuis quatre ans, le monde a indéniablement changé ces dernières décennies. « Quand j’étais jeune, kiné, c’était “le”, pas “la”. C’était une autre mentalité. Aujourd’hui, cela commence à se dire, c’est devenu plus commun. » Pour la Française qui a baigné dans le sport toute sa vie, l’aventure au sein d’un collectif masculin ne date pas d’hier, mais d’il y a plus de trente ans. « Ma première équipe masculine, c’était en 1990 avec l’équipe de hockey d’Amnéville. »
Une époque que n’a pas connue Lara Heinz. L’ancienne nageuse, aujourd’hui médecin au sein de la FLF, a rejoint la Fédération en 2017. De fil en aiguille, et après un adoubement global, elle prend part aux déplacements et devient indissociable de l’encadrement des joueurs. Une avancée progressive qui se fait à coup de travail au sein d’un groupe où il n’est pas forcément aisé de se positionner. Au-delà de la différence de genre, il y a avant tout le défi de trouver sa place.
Un nouvel élément dans un ensemble déjà consolidé peut être source de perturbation dans un équilibre qui prend du temps à se mettre en place. Pour Reis, qui a aussi suivi un grand nombre d’athlètes individuellement, le premier obstacle se joue dans la mise en relation. « Il y a déjà une différence entre l’athlète individuel et collectif. L’athlète individuel a choisi d’être suivi. L’équipe, on le lui impose : “Cette année, votre kiné, c’est untel.” » Un choix dicté donc, qui peut légitimement créer une forme de jaugeage de l’interlocuteur : « C’est sûr que mon profil était forcément atypique. Je ne connaissais rien au basket, et j’ai acheté des livres pour apprendre. Il est certain que quand je suis arrivée et qu’ils ont vu que je faisais à peine un mètre, ils ont bien compris que je n’avais pas joué dans le passé ! » (Rires) Cependant, à force de travail, la place se fait et offre, avec le temps, une reconnaissance et un respect au sein du collectif. « Une fois que l’on a gagné leur confiance, on peut tout leur demander. Il faut juste prendre le temps d’en arriver là. »
Pour Lara Heinz, médecin au sein de la FLF et des Roud Léiwen, même opinion, considérant qu’il faut évidemment d’abord prouver qu’au-delà des compétences, la motivation est totale. « Au début, j’étais nouvelle et je devais évidemment prouver que je connaissais mon domaine et que je voulais m’engager. Et puis les joueurs et entraîneurs ont vu que j’avais les compétences, que j’étais investie à 100 %. Fondamentalement, c’est ce qui est le plus important. »
Un travail nécessitant du sérieux, donc, afin de confirmer ses compétences au sein d’effectifs bien plus observateurs qu’il n’y paraît. Passé le premier écueil et la validation du groupe, le dialogue professionnel se fait plus simplement. Convaincu de la valeur ajoutée du nouvel élément, l’effectif et l’encadrement n’hésitent alors plus à se reposer sur les compétences du nouveau venu.
Dans ce genre d’enquête, il ne faut évidemment jamais oublier que l’expérience personnelle ne saurait être gage de vérité générale. Ainsi, nos deux interlocutrices peuvent, sur bien des points, ne pas nécessairement avoir le même vécu. Pour Reis, une différence saute aux yeux. Elle qui, aujourd’hui encore, s’occupe autant de l’équipe masculine que de la féminine à la Résidence Walferdange. « Pour les garçons – en particulier quand ce sont des jeunes – il faut beaucoup répéter. Il faut être bien plus derrière eux pour être sûre qu’ils font les choses. Par ailleurs, les filles se confient plus. Les mecs ne vont pas te dire exactement ce qui ne va pas, que cela soit professionnel ou privé. Il faudra aller les chercher. Avec les filles, la relation de confiance s’installe plus facilement. » Un sentiment que ne partage pas nécessairement Heinz qui, au-delà d’avoir trouvé sa place au sein de la FLF, n’a jamais eu la sensation d’un moindre blocage de la part des joueurs de football et autres membres du staff.
Alors qu’une partie du monde s’embrase, à l’image de l’Iran, pour la liberté de la femme, il peut parfois paraître futile d’aborder de tels sujets et situations bien moins extrêmes. Mais la position du sexe féminin dans un monde encore dominé par le genre masculin se doit d’être discutée, alors même que des scandales explosent toujours ici et là. Le sport peut, par bien des aspects, demeurer un boys’ club, à l’abri des évolutions sociétales. Et l’apparition du sexe opposé peut là aussi perturber un équilibre trouvé il y a des années. Des données et défis qui pourraient donc vite être de sérieux tests de personnalité. Pas de quoi s’inventer une image pour des femmes bien, qui ont déjà pu tester leur capacité à se fondre dans un moule masculin. « Je suis quelqu’un d’assez facile. Je suis toujours partie avec des groupes dans l’ensemble masculins, à l’image de la natation. J’étais souvent la seule femme », explique Heinz. « Durant mes études, comme j’ai fait de l’orthopédie, c’était là aussi un monde dominé par les hommes. Je suis donc assez habituée. Et pour ce qui est de l’ambiance, des blagues… J’ai toujours eu du répondant. Déjà avant ma carrière sportive, j’ai toujours été dans un monde où les blagues s’enchaînaient. Dans le domaine de l’orthopédie, par exemple au bloc opératoire, il peut y avoir des blagues qu’il faut supporter. Soit on encaisse, soit on sait renvoyer la balle. Et c’est ce que j’ai toujours fait, y compris avec la sélection. S’ils veulent faire des blagues, pas de souci, mais ils savent que je vais répondre », confirme l’ancienne nageuse, à l’aiseau point de considérer le « bloc opératoire comme une ambiance plus difficile que la sélection ». Même son de cloche du côté de Laurence Reis, qui sait parfaitement comment réussir à faire son trou : « Au hockey, c’était la même chose, et ils étaient encore plus jeunes, donc plus compliqués. On sent que ça cherche un peu pour voir le répondant. Ils peuvent me chambrer, ça va repartir. Et surtout, si j’aime bien rigoler, je suis vraiment là pour bosser. J’ai senti qu’ils m’attendaient au tournant », dit-elle tout en distinguant bien les adultes des plus jeunes. « Avec les pros, ce n’est pas trop compliqué. Ils sont habitués. Avec les jeunes, j’allais saluer tout le monde individuellement pour qu’ils se souviennent que j’étais là, qu’ils comprennent bien que je ne faisais pas seulement partie du décor. Et maintenant que j’ai fait mes preuves, je vois bien qu’ils m’appellent directement sans passer par le coach. »
Sur l’échelle médiatique internationale, on ne peut pas réellement constater une réelle présence féminine à la visibilité accrue. On pourrait peut-être citer Eva Carneiro, dont la brouille avec José Mourinho à Chelsea avait fait parler d’elle. Sinon, c’est plus dans des rôles administratifs, voire de dirigeantes que l’on peut reconnaître certains visages et y associer un nom. Cette absence de réelle médiatisation ne peut néanmoins être imputée à la seule question du genre, tant les hommes eux-mêmes dans ces positions éloignées de la lumière ne gagnent pas particulièrement en visibilité.
En discutant avec nos deux interlocutrices, on perçoit assez rapidement que la discrimination en tant que femme n’est pas palpable. Tout du moins ne l’ont-elles jamais vécue. Questionnées sur l’obligation de devoir en faire plus au premier abord pour être considérées comme faisant partie de la bande, Heinz tempère, tout comme Reis, préférant se rappeler de leur simple désir de tout donner, du premier jour jusqu’à aujourd’hui. Comme une certitude que souvent, c’est simplement le travail qui paie et est reconnu, que l’on soit une femme ou un homme : « Je ne pense pas que cela soit vraiment un défi supplémentaire d’être une femme », assure Heinz. « Je ne me sens pas différente. J’ai prouvé que j’avais ma place, et tout le monde s’en est rendu compte. Les joueurs me disent relativement vite s’ils ont une blessure, y compris dans leurs clubs. Certains me demandent très rapidement mon avis. Et s’ils ont un pépin, ils viennent. Au sein de la sélection, je me sens clairement reconnue. »
Ainsi, malgré un univers nécessairement différent, nul besoin de se réinventer pour être acceptée. Alors que la professionnalisation ne cesse de prendre de l’importance, que chaque aspect de la vie du sportif est scruté, encadré et maximisé, les instances ne semblent plus chercher qu’une seule chose : la compétence. Pour ce qui est de se familiariser et de faire partie de la « famille », là encore, nul besoin de changer d’attitude ou de s’inventer une image aux antipodes de ce que l’on est dans la vie privée. Un sens du naturel que confirme pour conclure Lara Heinz, dans un élan de sincérité montrant que fondamentalement, rien ne sert de se retourner la tête : « J’ai toujours été moi-même. Se créer une autre personnalité, cela ne peut pas fonctionner sur le long terme. De toute façon, je ne peux pas changer qui je suis. »
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