Masse salariale, subventions des instances, quête de sponsors : les clubs de BGL Ligue peinent à retrouver une santé financière. Un état qui pourrait conduire à terme à condamner notre football à rester au mieux amateur, au pire confidentiel et sans avenir.
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Avec des conséquences économiques et structurelles sur les effectifs, les sponsors, les fournisseurs, et même les médias. Autant d’hommes et de femmes passionnés en victimes collatérales d’une gestion calamiteuse et généralisée : faute de mécène, de personnel compétent dans les administrations, voire de bénévoles en nombre suffisant.
La fronde du vestiaire d’Hesperange, faisant la grève de matchs de préparation et entraînant la mise au placard de ses capitaine et vice-capitaine lors de la reprise après la trêve hivernale, avait effectivement ouvert la boîte de Pandore : c’était un secret de Polichinelle mais les états financiers en attestent désormais sans laisser planer aucun doute. Au moins six clubs doivent des salaires ou des primes à leurs joueurs ou entraîneurs. En tout, plus de 600.000 euros étaient a minima dûs par les 13 membres de l’élite à leur personnel, dont plus de la moitié par la Jeunesse, et plus d’un quart par le Swift. Une situation qui ne prend pas en compte certaines annexes imprécises ou lignes génériques dans la présentation des passifs, ni des hypothétiques absences de versements depuis mars 2024, le tout pouvant faire s’élever la note au million d’euros estimé.
Sans parler des différents types d’indemnités, car le contrat de travail classique (CDD de moins de 24 mois voire CDI pour les baux de 3 ans ou plus) n’est pas systématiquement le plus répandu. Les contrats de louage d’ouvrage, une sorte de freelance du foot, font des joueurs des prestataires de services. Les clubs ne sont alors plus leurs employeurs mais des consommateurs, et cela change tout : ils peuvent alors rechigner à payer la facture dans le cas d’une prestation qui ne serait pas sur le terrain à la hauteur de celle promise… Dans le cas de joueurs qui n’ont d’autres sources de revenus que leur activité sportive, la situation peut vite dégénérer. Signer en BGL Ligue dans un club qui a de l’ambition, serait-ce risquer de s’apercevoir qu’un championnat non-professionnel implique parfois un manque de professionnalisme voire d’éthique ?
Les charges les plus importantes sont sans surprise celles de la masse salariale, indemnités comprises, à commencer par le plus gros poste de dépense : les salaires et indemnités des joueurs. Si le Swift Hesperange est le champion incontesté des largesses en terme d’effectif et donc des traitements de son personnel avec près de 4 millions d’euros (en salaire de base, louage d’ouvrage et autres indemnités relatives aux avantages en nature), on retrouve aux côtés des trois autres grosses écuries du championnat un Racing et un UTP pourtant loin d’un budget à l’équilibre.
Autre chiffre intéressant : celui des transferts, avec la possibilité pour les clubs de les déclarer à part (pratique d’activation séparée) ou de les intégrer dans les indemnités et frais de personnel, permettant à certains comptes de profits et pertes de jouer avec les lignes. Pour comparer ce qui est comparable, nous avons donc ajouté l’ensemble des indemnités (salaires et primes des joueurs, entraîneurs et staffs, charges comprises, transferts de joueurs) en dernière colonne afin d’obtenir la masse salariale réelle.
Pour les clubs engagés dans des compétitions européennes, les frais de voyages, accueil et de représentation peuvent également faire grimper l’addition. Comptez entre 125.151€ (pour le FCD03) et 182.749€ (pour le F91), voire… 687.517€ pour le Swift Hesperange (dont 561.910€ pour leurs trois matchs UEFA). À noter également que le FC Wiltz est le club hors européens qui dépense le plus en matière de déplacement : une logique géographique qui n’en est pas moins peu équitable, les matchs à l’extérieur nécessitant quasi systématiquement la location d’un moyen de transport collectif.
Enfin, à observer attentivement les charges déclarées dans le compte de profits et pertes de chaque club, on s’aperçoit que la ligne « Autres » est souvent le troisième poste de dépense… Autres, c’est à dire tout ce qui ne rentre pas dans les frais liés aux compétitions (arbitres, redevances), au matériel (fournitures, équipements), à la logistique (transport, publicité, entretien) et au frais de gestion courante (assurances, frais juridiques et comptables). Donc tout ce qui reste obscur pour le commun des mortels. Une ligne qui peut pourtant atteindre jusqu’à 175.204€ (dans le bilan du Progrès) de dépenses non fléchées. Tandis que certains clubs avec un grand nombre de licenciés dans des équipes juniors ou féminines voient davantage leurs charges augmenter logiquement de manière exponentielle pour l’achat de matériel et d’équipement à leurs membres (138.227€ pour le Racing, 153.161€ pour le Fola, 166.844€ pour le Swift ; contre 21.341€ pour Rosport). Des charges personnalisées donc, selon la situation du club, son rayonnement, mais aussi son classement sur le plan sportif.
Certains dirigeants s’en remettent aux subsides, et surtout ceux de la FLF et de l’UEFA. Au point que la manne des instances est la seule bouée pour ceux d’entre eux qui ont goûté les joies d’une campagne européenne et surtout remporté un titre national sans avoir les fonds d’un mécène. La structure même du club est gage de subventions :pour la FLF « le nombre d’équipes de jeunes ou encore d’entraîneurs diplômés » est d’après son secrétaire général Joël Wolff le seul critère de répartition entre tous les clubs pour les versements fédéraux (soit la distribution aux 114 clubs recensés de ballons et d’un gâteau de 400.000€), auxquels il faut ajouter « une partie du partenariat avec BGL pour la division nationale et, selon le bilan annuel de la FLF, une distribution complémentaire », lorsque les finances le permettent.
Or, en 2022 après sa victoire en Coupe de Luxembourg, le Racing a touché 488.788€ de la FLF et 169.070€ de l’UEFA, contre respectivement 89.498 (FLF) et 80.833 (UEFA) l’année passée. Soit un manque à gagner de près d’un demi-million. Autre exemple, en 2023, le Fola a touché 262.965€ de subventions (FLF et UEFA réunies) contre 965.173 l’année précédente (quand ils avaient été sacrés champions), sans compter les aides de l’État.
En effet, « le ministère des Sports accorde un subside extraordinaire aux clubs sportifs participant aux compétitions européennes sur base d’un décompte détaillé des frais liés à la participation, y compris d’éventuels frais de location d’infrastructures, et prenant en compte de possibles subsides des fédérations européennes. En sus, les différents clubs sportifs se voient accorder, le cas échéant, une aide financière en fonction des résultats réalisés dans les compétitions européennes » d’après le ministre des Sports Georges Engel (Réponse du 12 septembre 2022 à la question parlementaire n° 6521 des députés Mars Di Bartolomeo et Dan Biancalana au sujet du congé sportif). Un complément substantiel (plus de 200.000 € pour le Progrès en 2023) qui s’ajoute à la note finale.
Le club le moins bien loti (Rosport) a touché au total plus de 119.000 € de subventions. Apport plutôt conséquent pour les finances d’un club, bien qu’à des années-lumière du pactole d’Hesperange (1,2 millions d’euros), dont on comprend mieux les dépenses lors des déplacements estivaux en Slovaquie, au Pays de Galles et en Macédoine du Nord. L’équipe a pu en effet bénéficier du financement de son investisseur pour disposer des meilleurs conditions sur place, mais également pour y envoyer un superviseur en amont afin de profiter d’un rapport circonstancié sur l’adversaire européen. Des méthodes pro qui ont forcément un coût.
Et qu’on ne s’y trompe pas : malgré les réticences parfois légitimes de certains à voir des fonds d’investissement mener la danse du sport grand-ducal, surtout quand ils mélangent les intérêts à travers des prises d’initiatives dans différents clubs (voir la question parlementaire N°3935 du 17 juillet 2018 de monsieur le député Roy Reding et la réponse du ministre des Sports Romain Schneider), les sponsors sont le nerf de la guerre du football de club. Les subventions sont loin d’être suffisantes, et c’est bien grâce aux investisseurs que nos équipes performent, qu’elles attirent des talents de plus en plus expérimentés et renommés, et qu’elles peuvent espérer jouer les premiers rôles en Conference League, à défaut des meilleures compétitions. Pour preuve, les rapports de gestion sont quasiment unanimes dans leur quête de nouveaux sponsors et partenaires, et force est de constater que le joker du Swift demeure Flavio Becca : sans le sponsor principal d’Hesperange, ce ne sont plus « que » 221.801€ d’argent frais dans les comptes injecté par les partenaires, un résultat à la hauteur des clubs de Käerjeng ou Wiltz.
Mais encore faut-il que les sponsors soient de bons payeurs. Or la situation économique actuelle les oblige parfois à devoir choisir entre payer les salaires de leurs employés et les cotisations sociales ou honorer leurs engagements envers les clubs. « C’est malheureusement une réalité, explique le président de l’USM. Nous vivons une situation similaire à Mondorf, mais nous eu la prudence d’anticiper en ne dépensant jamais la totalité de notre fond de réserve. On est en train de préparer la prochaine génération de gouvernance du club, et nous voulons le laisser dans une situation plus saine que celle dans laquelle nous l’avions trouvé. »
D’autant qu’il ne faut guère compter sur la billetterie pour gonfler les produits, les spectateurs ayant déserté les stades depuis de longues années. Ne restent plus que la Jeunesse et le Progrès pour garantir autour des 100.000 euros de recette annuelle hors abonnements. La vente de maillots ou de matériel pour les supporters est une source de revenus encore moins fiable, comme si les quelques irréductibles ultras qui font encore vibrer les rencontres de BGL Ligue étaient les derniers arbres qui cachent une forêt décimée. Peut-être lassée de voir les talents incontestables éclore chez nous avant de s’exporter à l’étranger ?
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