Huitième #ThrowbackThursday de l’année : Le nul héroïque du Luxembourg contre la France

Le 3 septembre 2017, l’équipe du Luxembourg accomplit l’un des plus beaux exploits de son histoire en accrochant un match nul héroïque face aux futurs champions du monde français. Pour cette huitième édition des #ThrowbackThursday, Mental! revient sur cette rencontre inoubliable des Roud Léiwen

David contre Goliath. Le petit poucet contre l’ogre. Pot de terre contre pot de fer. Ou, comme le dirait Karim Benzema, « Le karting contre la Formule 1 ». En ce jour de septembre, lorsque l’équipe de France affronte le Luxembourg pour ce match de qualification pour la Coupe du Monde 2018 à Toulouse, personne ne peut croire un instant sur un autre résultat qu’une victoire des tricolores. Aux yeux des médias, une défaite honorable paraît alors être le seul objectif à atteindre pour les hommes de Luc Holtz. Et peut-on vraiment les blâmer ?

Un long apprentissage

Depuis 1914, soit 103 ans, la France est toujours sortie vainqueur de ses confrontations face à son petit voisin. Tout aussi marquant, le bilan de buts marqués est de 50 pour seulement 5 encaissés. Un ratio de 10 pour 1 acquis au fil des années à coups de, n’ayons pas peur des mots, fessées mémorables. 8-0 en 1913, de nouveau 8-0 quatre décennies plus tard, 4-1 en 1965 ou bien encore 6-0 le 30 octobre 1985 : les années filent donc, sans réel sentiment d’évolution dans un monde du ballon rond où il est écrit que le Luxembourg, jamais, ne sera capable de rivaliser sur le terrain avec son voisin de l’hexagone. Au même niveau que les blagues belges se trouve alors le football luxembourgeois.
Pourtant, entre ces raclées devenues monnaie courante, le Grand-Duché, ô combien lentement, progresse. Des changements impossible à remarquer d’une année à l’autre, mais pourtant bel et bien présents.


En 1914, l'équipe du Luxembourg bat la France. Une prouesse jamais réalisée depuis, malgré 100 ans de confrontations…

En repartant de la création de la Fédération en 1910 à ce 3 septembre 2017, il est possible de voir, aussi rapidement qu’un escargot épuisé, l’évolution des Lions Rouges. Ne disputant que sporadiquement des rencontres de prestige dans les années 1920, 1930 et 1940, le Luxembourg préfère affronter les équipes B des nations dominantes du football européen. Une période marquée de défaites sur scores fleuves et niveau globalement catastrophique.

C’est à partir de la fin des années 1940, et les deux décennies qui ont suivi que les Roud Léiwen montrent un semblant de progression : victoires face à la Belgique ou la Norvège, plus grand succès (6-0) de son histoire face au modeste Afghanistan, élimination de l’Angleterre et défaite honorable face au Brésil lors des Jeux Olympiques de 1952, et succès de prestige face au Portugal d’Eusebio : cette vingtaine sera parfaitement symbolisée par la qualification, historique, en quart de finale de l’Euro 1964 des suites d’une victoire mythique face aux favorissimes Pays-Bas.
Malheureusement pour le Luxembourg, cet exploit retentissant marque la fin de vingt années de progression et le retour vers un football amateur ayant de plus en plus de mal à rivaliser avec des nations sur le chemin de la professionnalisation.

Le travail de Philipp – Hellers – Holtz, face à la meilleure équipe mondiale.

Jusqu’aux années 90, le football luxembourgeois semble incapable de rivaliser avec la modernisation du football et chute inlassablement au classement FIFA. Une situation compliquée qui n’empêchera pas l’équipe nationale, désormais dirigée par Paul Philipp de réussir quelques exploits et lentement mais sûrement, diminuer le nombre de défaites humiliantes. En faisant tomber Malte par deux fois en compétitions officielles et une République Tchèque future finaliste de l’Euro 1996, le Luxembourg montre des signes évidents de progression lors de cette décennie, sous l’impulsion d’un désir de moderniser les structures amateurs d’une fédération en trop grand décalage avec le football moderne.
Un travail de longue durée mais fructueux qui verra inexorablement la petite nation remonter au classement FIFA et s’extirper de cette image de sparring-partner. Si les défaites contre les gros font toujours le quotidien du Grand-Duché, les écarts sont dorénavant plus serrés et les confrontations ne donnent plus sempiternellement lieu à des déroutes accablantes.

La progression se prolonge avec l’arrivée de Guy Hellers, qui continue de développer avec le même enthousiasme le travail entamé par Paul Philipp. Avec le soutien d’une fédération de plus en plus désireuse d’améliorer son équipe nationale, le Grand-Duché se targue de quelques exploits (victoires en terre suisse et contre la Biélorussie) et résultats encore une fois en nette amélioration. Affronter les petits amateurs n’est plus gage de succès pour les sélections de seconde zone.

En 2010, la sélection change encore une fois d’entraîneur, Luc Holtz succédant à Guy Hellers, avec pour objectif de confirmer la relative sortie de l’obscurité des Lions Rouges. Si le nouvel entraîneur s’accorde en termes d’ambitions avec ses deux prédécesseurs, son style, lui, détonne. Fini le jeu archi défensif. Au pays, il faut maintenant jouer. Mais aussi, la fédération et le sélectionneur, d’un commun accord, poussent dorénavant leurs jeunes promesses à s’exporter à l’étranger plutôt que s’agglutiner dans le cocon familial. Le but ? Sortir ses joueurs du carcan amateur et valoriser leur potentiel en leur offrant des infrastructures et staffs de meilleures qualités que ce qui existe à la maison. Une stratégie payante qui permet l’éclosion de nombreux joueurs dorénavant dotés du statut professionnel et plus habitués aux joutes de haut-niveau.
Avec cet ensemble de mesures, les résultats de l’équipe nationale continuent de s’améliorer, et les rencontres, y compris contre les grandes nations, sont dorénavant plus disputées à défaut d’être remportées. Une progression symbolisée par une statistique qui en fera surement ricaner plus d’un, mais pourtant profondément encourageante : en 2010, pour la première fois de son histoire, le Luxembourg ne termine pas en dernière position de son groupe qualificatif pour la Coupe du Monde.

Quand bien même le Luxembourg a amélioré ses performances lors de ces dernières années, ce soir d’automne au Stadium de Toulouse, antre de l’EDF le temps d’un match, l’écart entre la bande à Deschamps et les amateurs de Luc Holtz n’en demeure pas moins abyssal. Sur le onze titulaire de l’équipe de France ce 3 septembre, neuf seront champions du monde neuf mois plus tard en terre russe. Et au total, seize des joueurs convoqués pour ce rassemblement automnal décrocheront une breloque en or à Moscou. S’il est facile de mettre cette donnée en avance aujourd’hui, rappelons que la France faisait déjà office de favorite pour le mondial Russe en ce neuvième mois de l’année. Surtout, les Bleus sortent d’une victoire écrasante quatre buts à zéro face à une Hollande, certes moins flamboyante qu’avant, mais toujours référence historique européenne. Portée par une génération magique, des résultats positifs et un objectif de qualification pour la Coupe du Monde 2018, la France semble alors revêtir toutes les facettes de l’équipe intouchable. À titre d’exemple, la côte de victoire des Bleus par au moins quatre buts d’écart est de… 1,25.


Avec une cote de 1,25 sur une victoire des Bleus par au moins quatre buts d'écart, la presse sportive a clairement fait son choix.

Berçant encore dans l’allégresse du carton infligé aux Pays-Bas quelques jours plus tôt, Didier Deschamps décide de ressortir le même onze, à l’exception de Kingsley Coman, remplacé par un Mbappé néo-parisien. Une décision de miser sur la continuité plutôt que la fraîcheur, dans une rencontre pliée d’avance où ses joueurs pourront travailler leurs automatismes. En face, Holtz aligne un onze bricolé en l’absence de nombreux cadres, et offre au jeune Vincent Thill l’honneur d’être le plus jeune joueur de la rencontre devant le nouveau buteur phare du PSG Qatari.

Tornade bleue sur la ville rose.

Porté par un public toulousain euphorique de cette réception de l’équipe nationale, le onze français démarre la rencontre pied au plancher et impose de suite une pression monstre aux luxembourgeois. Ces derniers, organisés en un 4-3-3 qui se mue en 4-5-1 en phase défensive souffrent face à la vitesse des tricolores. Dès les dix premières minutes, Mbappé fait passer des frissons dans la défense luxembourgeoise incapable de contenir le feu follet. Par deux fois, il élimine avec une facilité déconcertante. Mais ni un centre contré, ni une frappe de Griezmann inexplicablement non cadrée ne récompensent l’excellente entame tricolore. Comme paralysé par l’enjeu, le Luxembourg, clairement en panique, dégage à tout-va, et sur les rares ballons récupérés, la ligne offensive du Grand-Duché fait preuve d’un déchet technique indigne qui permet aux hôtes de repartir encore, à l’assaut.
Pourtant, au moment de conclure, les Bleus chancellent. À l’image des centres indignes du haut-niveau de Kurzawa (il battra ce jour-là le record de centres ne trouvant pas preneur), la France perd son sang-froid au moment de conclure et, lorsque la tentative est bonne, c’est un Joubert exceptionnel qui s’envole et détourne les offensives adverses. Pogba, Griezmann, Mbappe ou Sidibé… tous les membres francophones s’attellent à la frappe mais trouvent à chaque fois sur leur chemin un tacle héroïque, une parade ou l’extérieur du but gardé par le vétéran luxembourgeois.


Mbappé sème la zizanie dans la défense du Grand-Duché, qui plie mais ne rompt pas.

Passée cette tempête initiale, le Luxembourg parvient petit à petit à mettre en place un bloc bas plus solide, qui force la France à aller chercher l’exploit par le biais de frappes hors de la surface. Et, mieux encore, les hommes de Holtz se permettent même quelques incursions dans la surface adverse, à l’image de cette frappe de David Turpel qui file au dessus des cages de Lloris. Après quarante-cinq minutes intenses, l’arbitre siffle la mi-temps sur ce score nul et vierge. Une belle prouesse en soi pour les hommes du Grand Duché qui plient, mais ne rompent pas.

Pour quelques centimètres de moins…

Sans aucun changement effectué à la pause, les débats reprennent comme ils avaient commencé. Le bloc luxembourgeois demeure bien en place, et les Bleus, encore et toujours, n’ont pour seule solution que des centres infructueux et des frappes de loin hors cadre. Le public pousse de plus belle et entonne des marseillaises à tout-va pour pousser ses joueurs à déverrouiller la serrure des Roud Léiwen. Mais, malgré le soutien de fans acquis à sa cause, l’équipe de France continue, encore et toujours, à buter devant une tête, une main ou un tacle d’un groupe qui refuse de céder et est tout autant galvanisé, sinon plus que les grands favoris. Alors que Joubert multiplie les parades XXL et que la frustration de l’équipe de France ne fait que grandir, Holtz opère ses premiers changements avec la rentrée de Sinani et Gerson pour remplacer Alves da Mota et Thill, tous deux épuisés après leur immense débauche d’énergie.
Les deux nouveaux entrants se mettent vite au diapason et, alors que Philipps sauve une frappe de Lemar sur sa ligne, et que la barre empêche une tête lobée de Pogba d’aller au fond, Gerson récupère un ballon dans sa moitié de terrain. Après avoir parfaitement combiné, il dépose sur une accélération foudroyante Koscielny et se retrouve seul, bien qu’excentré, sur le côté gauche du terrain. Conduite de balle impeccable, rentrée dans la surface, ouverture du pied et frappe assurée, puissante et rasante : Lloris est battu… mais pas le poteau. La balle aura beau revenir dans les pieds de Turpel qui tente lui aussi sa chance, le Luxembourg ne marquera pas ce soir, pour quelques centimètres.
Qu’à cela ne tienne, et malgré une ou deux dernières actions chaudes encore repoussées au courage, la rencontre se termine sans buts de part et d’autre et offre au Grand-Duché son plus beau résultat en cent ans d’existence.


La joie énorme des joueurs du Luxembourg, conscients de l'immense exploit accompli.

À jamais dans l’histoire.

Sitôt l’exploit accompli, la presse s’enflamme sur ce résultat historique, et descend le onze français autant qu’elle célèbre le courage des visiteurs. Comparée sur le plan de la mentalité batailleuse à l’Atletico Madrid par Griezmann, félicitée par Deschamps ou Mbappé, la sélection peut ardemment profiter de ce « jour de gloire » – comme clamé à juste titre par Luc Holtz – et réaliser, petit à petit, la portée de leur exploit. Ce jour-là, un groupe de vingt-trois joueurs dont les salaires réunis n’atteignent pas le plus petit coté français avait tenu tête, fait trembler, et obtenu le nul face à la meilleure sélection mondiale.

Certains pourront qualifier ce résultat de chanceux. D’autres n’hésiteront pas à imputer ce résultat sur une défaillance totale des futurs champions du monde. Pourtant, comme dans tout affrontement, sportif ou non, les deux partis ont leur part de responsabilités dans le résultat final. Et il fallait, ce soir-là, voir ces amateurs courir plus vite, plus fort, encore et encore pour réussir l’impossible. Évident symbole de ce résultat historique, Jonathan Joubert et ses envolées fulgurantes pourrait aisément être considéré comme le héros de ce combat homérique. Mais cela serait faire injure à Chris Philipps, pourtant généralement milieu défensif au FC Metz et sauveur d’une tête sur la ligne à son poste inhabituel de défenseur. Ou encore Gerson Fernandes, dont sa rentrée pleine d’envie et d’une rare discipline a offert une véritable bouffée d’air frais à ses partenaires, et fait parcourir un frisson aux 30 000 spectateurs présents. Et que dire des remplaçants, substituant la déception de ne pas être présent sur ce terrain au soutien et encouragement de leurs coéquipiers, décuplant ainsi les forces.
Non, en ce soir, c’était bien un groupe, une équipe, refusant d’endosser le rôle de victime expiatoire qui avait, par son courage, abnégation, et talent, réussi à faire vaciller un groupe qui, neuf mois plus tard, paraderait dans les rues de France, trophée de la Coupe du Monde en main. Si l’allégorie du lion et la souris, non utilisée dans cet article conviendrait non sans mal à la situation, nous préférons, pour des raisons historiques mais aussi de fierté, clamer que les rois de la savane ce 3 septembre 2017, étaient bien les joueurs de notre pays. Des lions rouges, précisément.

Tendai Michot

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