Article issu du magazine Mental! #18
Quel a été votre rapport au sport, de votre jeunesse à aujourd’hui ? Et quels sports vous plaisent le plus ?
J’ai fait du basket pendant vingt ans, dans le club du village où j’ai grandi, et où je vis toujours d’ailleurs, à l’AS Soleuvre. C’était avant tout une histoire familiale, puisque mon père était joueur, puis président. Mon grand-oncle a fondé le club et mes oncles y ont joué, au même titre que mes cousins. Il n’y avait donc vraiment qu’un club possible pour moi. J’ai ensuite dû arrêter, car j’ai décidé de plus m’investir dans la musique. À ce moment-là, comme je jouais en équipe première, ce n’était plus possible de faire les deux.
Aujourd’hui, pour ce qui est du sport, honnêtement, je n’en fais pas trop. Je devrais pratiquer plus. J’essaye d’avoir une activité physique plus étendue, plus poussée, une fois par semaine. En somme, cela veut dire que je transpire (rires) ! Je fais du jogging ou du vélo, j’ai fait l’acquisition d’un vélo d’appartement pendant le confinement, comme beaucoup de gens.
A contrario, y a-t-il des disciplines qui ne vous touchent pas ou ne vous plaisent que très peu ?
Je peux me passionner pour tous les sports. Il y en a que je préfère à d’autres, évidemment. J’aime beaucoup le basket, le rugby, et dans l’ensemble les sports collectifs. Mais à titre d’exemple, j’étais à la remise des coupes de la FLT il y a quelques semaines… Je peux tout aimer. Si vous prenez la natation synchronisée, c’est tout bonnement ahurissant, mais j’ai moins la capacité de juger avec précision la qualité d’une performance. J’ai aussi récemment été voir la FLAM et je leur ai dit que je ne connaissais objectivement que très peu leur sport. Si je regarde un match de karaté, je ne peux pas comprendre ce qui constitue un point, une pénalité, etc. Mais j’apprécie néanmoins énormément ce qu’ils font, qui plus est dans les arts martiaux où le Luxembourg a connu énormément de réussites.
Selon vous, que doit englober la position de ministre des Sports ? Le poste implique-t-il de regarder toute l’actualité sportive luxembourgeoise devant son écran ?
Il est toujours préférable d’être informé de ce qui se passe dans le monde sportif luxembourgeois. Je lis les journaux, on me prépare une revue de presse quotidienne pour connaître l’actualité de nos athlètes. C’est bien d’être intéressé, même si, en effet, cela n’est pas absolument indispensable. Être ministre des Sports ne veut pas dire être sportif. On prend des décisions au niveau politique pour améliorer la vie sportive en général, les conditions dans lesquelles on pratique, pousser et soutenir ceux qui veulent devenir professionnels afin qu’ils atteignent leur but, mais aussi offrir à ceux qui ne sont pas intéressés par la compétition la possibilité de pratiquer dans de bonnes conditions. Le sport, ce n’est pas seulement la compétition ou l’acte sportif en soi. Il y a un volet santé, un volet inclusion, un volet de communauté, un volet économique… C’est énormément de choses.
On vous a vu enchaîner les rencontres ces derniers temps, avec un grand nombre de fédérations et institutions sportives du pays. Que retenez-vous principalement de ces échanges ?
En ce qui concerne les fédérations, je suis toujours impressionné par l’engagement de tous ceux qui s’impliquent, sur le terrain ou au-delà. Des milliers de personnes s’engagent bénévolement dans le sport et n’en retirent rien matériellement. Ce sont des heures et des heures, chaque semaine, comme n’importe quel emploi. Les heures prestées ne varient d’ailleurs pas trop d’un job standard.
Je crois aussi que le Luxembourg est bien organisé au niveau du sport fédéral. On voit un réel investissement personnel, mais aussi des structures bien faites. Et j’ai aussi été extrêmement impressionné par tout ce que la Coque offre aux sportifs. En tant que spectateur ou client, quand tu entres dans la petite ou grande arène, à la piscine ou au restaurant, c’est déjà fort. Mais quand on voit tout ce qui est fait derrière, en particulier pour le sport de haut niveau, c’est formidable : des cabines thermiques pour s’entraîner sous de fortes chaleurs, d’autres pour pratiquer dans des conditions jusqu’à 5 000 mètres d’altitude, le couloir de sprint… Ce qu’ils offrent est fascinant, et ils ont encore des projets pour offrir plus. J’ai été assez bluffé.
Vous n’êtes évidemment pas que ministre des Sports, mais aussi du Travail, de l’Emploi et de l’Économie solidaire, ce qui n’est pas une mince affaire. Dans ce cadre, quelle part de votre temps pouvez-vous raisonnablement allouer au sport ? Est-il possible de prédéfinir cela ?
J’ai un jour fixe – le mercredi – où je suis au ministère des Sports. Les autres, je suis ici, à celui du Travail. J’ai d’ailleurs l’intention d’y faire ma journée dédiée aux sports et de combiner les deux. Jusqu’à maintenant, je n’ai pas encore réussi à tenir mon pari, mais je fais du sport ici (rires) !
Est-ce que vous estimez que c’est une représentation adéquate du temps consacré à chacun ?
C’est difficile à dire, cela fait à peine plus d’un mois que je suis ministre. C’est donc compliqué pour moi de définir une règle fixe. Mais ce que je peux affirmer, c’est que le ministère des Sports n’est pas un accessoire. C’est un travail à part entière, qui demande énormément d’engagement. Cela ne se fait pas pendant une heure de trou. Il y a beaucoup de chantiers, de choses à faire, et il y a chaque jour des projets à mener.
Si vous deviez résumer, comment définiriez-vous la situation du sport actuellement au Luxembourg ?
Pour analyser la situation du sport au Luxembourg, il faut déjà voir quel éventail de sportifs nous avons. Nous sommes 660 000 personnes ici, avec 330 000 Luxembourgeois pour la représentation nationale. L’éventail est donc fort réduit. Et si l’on considère le nombre limité de personnes pouvant évoluer au niveau national, je trouve les résultats excellents. Si l’on fait une comparaison proportionnelle avec d’autres nations, on ne devrait pas avoir de place dans le sport international. Mais nous avons des résultats énormes : récemment, Charel Grethen aux Jeux olympiques, Sarah de Nutte et Ni Xia Lian qui sont neuvièmes mondiales et premières en Europe : c’est magnifique. Si on prend les années 2000 à 2 012, le Luxembourg était une des nations dominantes au niveau du cyclisme mondial. Sur le Tour de France 2008, les coureurs luxembourgeois portaient 3 maillots distinctifs, Kim Kirchen le jaune et le vert et Andy Schleck le maillot blanc. Sans oublier les nombreuses victoires d’étape et finalement la victoire du Tour en 2010 par Schleck. Donc oui, j’estime que les sportifs luxembourgeois font des performances énormes.
Sur le plan des loisirs, les infrastructures du pays semblent dans l’ensemble de qualité, mais à la suite de nos discussions avec certaines communes, on perçoit qu’un manque de place commence à se faire sentir. Est-ce un challenge ?
J’ai été quinze ans bourgmestre d’une commune, et ce problème de place, je ne l’ai pas connu. Je peux imaginer que dans d’autres, où la densité est différente, ce souci puisse exister, mais je préfère retenir que dans l’ensemble, les infrastructures sportives sont d’excellente qualité.
Vous avez déjà exprimé certains souhaits de réformes à mettre en place durant votre mandat, à l’image des congés sportifs. Y a-t-il une quelconque raison qui pourrait les empêcher de passer ?
Je pense qu’il y a des éléments qui seront critiqués dans ce projet, notamment la définition du sportif d’élite qui a été modifiée. Il se peut qu’on nous critique sur le nombre de jours alloués en congés sportifs, car on trouvera toujours des gens qui en veulent plus. Mais en général, je pense que c’est une loi qui répond aux besoins des sportifs.
Vous êtes donc optimiste sur le fait que cela aboutisse ?
Oui, je pense que cela devrait passer sans trop de difficulté.
Est-il possible d’envisager une date pour le vélodrome de Mondorf ?
La première chose que j’ai apprise en faisant de la politique, c’est de ne jamais donner de dates (rires) ! Ce que je peux vous dire, c’est que le projet a franchi une étape importante au conseil communal de Mondorf. Et il y a quelques jours, j’ai eu une réunion avec les responsables de la commune pour évoquer comment nous allions régler certaines questions qui restent ouvertes et sont toujours en phase de négociation.
Mais sait-on si l’État va être propriétaire ?
C’est certain. Le maître d’ouvrage sera la commune de Mondorf, qui va tout construire, et c’est l’État qui va racheter et sera donc seul propriétaire. On parle ici d’un gros complexe avec des halls sportifs, des cabines, des locaux pour la fédération de cyclisme, une piscine, etc. Tout ça est englobé dans le projet, qui coûte 115 millions. Une partie, qui concerne juste le vélodrome et qui coûte 53 millions, sera la propriété de l’État et on verra ensuite comment les autres locaux seront alloués. Ce sont encore des négociations pour le futur.
Vous avez aussi parlé de la possibilité de s’embarquer dans une carrière professionnelle, cette fois-ci en passant par le civil. Une idée qui semble couler de source, mais dans vos déclarations précédentes, vous en avez parlé au conditionnel. Encore une fois, y a-t-il des obstacles à la mise en place d’un tel projet ?
Ce qui est clair, c’est que dans le programme de coalition, il est noté que parallèlement à la carrière de sportif dans l’armée, une carrière civile va être analysée. C’est là où nous en sommes. Il y a eu des discussions avant, mais qui n’ont pas abouti à un projet concret. Nous sommes donc pour le moment dans l’analyse : voir ce que font les autres pays, ce qui paraît bon pour le Luxembourg, ce qui semble moins intégrable… On en est au tout début. Mais le but est d’avoir une ébauche assez rapidement pour véritablement avancer et savoir quelle direction prendre. Il me paraît bien et nécessaire d’ouvrir une carrière civile pour tous ceux qui ne peuvent pas – ou ne veulent pas – aller à l’armée.
Le Luxembourg est-il à la traîne dans ce domaine ?
Je pense que la filière de l’armée a aidé pas mal de sportifs à faire leur sport dans des conditions de sécurité sociale assez bonnes. Mais je ne saurais pas vous dire si nous sommes en retard… Le cours du temps fait qu’il est en tout cas nécessaire aujourd’hui, à mes yeux, d’offrir une carrière de civil.
L’idée d’instaurer la possibilité de passer par le cadre civil pour se lancer dans une carrière professionnelle semble très intéressante et encourageante. Néanmoins, le problème n’est-il pas plus profond ? La solidité financière du pays n’est-elle pas un frein au désir de prendre une voie somme toute risquée ? Lorsque l’on parle aux acteurs du sport du Grand-Duché, le même constat revient inlassablement : les conditions de vie sont « trop bonnes » pour prendre le risque de se lancer dans une carrière professionnelle. La qualité de vie est-elle un souci ? Et que faire pour y remédier ?
C’est clair que la situation économique et le haut standard de vie au Luxembourg jouent certainement sur la décision de se lancer dans une carrière professionnelle inconnue, risquée et ouverte à l’échec. Dans des pays où l’avenir n’est pas si serein, il est plus facile de se lancer dans quelque chose d’incertain, mais de potentiellement très enrichissant. Cependant, je pense que pour ceux qui veulent s’engager, nous avons beaucoup de structures. Il y a le Sportlycée, qui forme régulièrement de bons sportifs professionnels. Le LIHPS, qui est une structure très importante pour soutenir les athlètes, et la Coque, qui permet d’évoluer dans d’excellentes conditions. Il existe donc pas mal de choses qui aident ceux qui veulent se lancer.
Le Luxembourg n’accueille que peu d’événements internationaux, avec malgré tout çà et là des enceintes adaptées. Pour offrir de la visibilité, accroître la culture sportive du pays, mais aussi engranger des revenus, n’est-ce pas quelque chose de vital ?
Vous parlez à l’ancien bourgmestre de la commune de Sanem qui a organisé les championnats du monde de cyclo-cross en 2017. Je suis donc averti de la situation et, en général, favorable à de grands événements sportifs. En tant que commune, nous avons fait cela avec le communauté d’organisation, la fédération, mais on a géré une grande part. Une étude que nous avions faite lors de ce championnat du monde avait montré – il faut vérifier si elle est scientifiquement valable – que l’effet économique tournait autour des douze millions rapportés rien que pour l’événement. Cela a demandé un effort conséquent, mais porte ses fruits. Donc oui, j’y suis favorable. Nous avons déjà des idées, qui ne peuvent pas encore être officiellement divulguées, mais c’est clair que ces événements auront un impact réel.
On remarque une véritable baisse du nombre de spectateurs (BGL Ligue, handball, basket, tournoi WTA), qui ne saurait simplement être imputée au covid : comment faire pour relancer l’attractivité du sport et éviter que les Luxembourgeois s’intéressent plus à l’actualité internationale ?
Je pense qu’il y a beaucoup de raisons à cette diminution. Pour moi, l’explication prédominante est que les équipes fanions s’éloignent toujours plus de leurs supporters par certains choix. Si elles ne sont composées que de joueurs sans attaches avec le club, les gens se demandent pourquoi ils devraient venir. L’identification est un facteur clé dans le supporterisme. Dans les clubs où l’identification est grande, il y a encore un certain nombre de spectateurs.
Mais n’est-ce pas une manière un peu révolue de voir les choses, quand on observe la dynamique du sport aujourd’hui et les effectifs qui s’internationalisent de plus en plus ?
Si nous avions un club qui joue la Champions League, évidemment, la donne serait différente. Mais nous n’en avons pas. Il y en a qui investissent pas mal, en risquant de perdre l’identification à la scène locale. Je trouve que c’est dangereux…
Néanmoins, il y a toujours eu des effectifs cosmopolites dans les sports collectifs au Luxembourg, avec des Français, des Belges, des Allemands, et l’affluence, en BGL Ligue par exemple, atteignait des chiffres bien plus élevés qu’aujourd’hui. Maintenant, certains clubs peinent à être 200. Il y a donc sûrement d’autres explications…
Je ne pense pas que le facteur que j’ai évoqué soit le seul. En effet, aujourd’hui, avec l’offre télévisée, on peut regarder n’importe quel sport, n’importe quel championnat, et à n’importe quelle heure, chaque jour de la semaine. Cela joue certainement aussi. C’est clair qu’il y a vingt ans, si on voulait voir un match de NBA, c’était compliqué…. Aujourd’hui, c’est d’une facilité incroyable, et ça joue, c’est certain.
Est-ce quelque chose qui vous inquiète ? Car ce sont les finances des clubs qui sont impactées. Aujourd’hui, au Luxembourg, la billetterie et les revenus qui en découlent – buvettes, sponsorings – en souffrent.
Il est clair que tous les dirigeants de clubs vont devoir réfléchir à où ils veulent dépenser leur argent. J’ai un respect énorme pour ceux qui viennent offrir leurs services gratuitement tous les samedis et dimanches, par amour pour l’équipe. Si ceux-là ont l’occasion de voir le cousin de leur voisin jouer, leur investissement sera plus grand que pour un joueur présent pour une saison seulement. Et ce sera la même chose pour les spectateurs. Cela pourrait créer un cercle vertueux d’attachement. Si on ne crée pas ce désir de passion, d’identification, de fierté envers son équipe, des sentiments qui peuvent être partagés au sein des familles, on ne se demande pas pourquoi le nombre de bénévoles et de spectateurs diminue. Car l’explication est là.
Vous avez déclaré en réponse à une question parlementaire : « De manière générale, le sport et la politique doivent rester séparés (…). Les questions nécessaires doivent être posées avant de prendre une décision concernant le lieu d’un grand événement sportif. » Le sport et la politique sont-ils réellement séparés aujourd’hui ? Et pour ceux qui ne sont pas décisionnaires, n’est-ce pas normal d’associer sport et politique et d’exprimer son mécontentement ?
Il est clair que tout le monde a le droit d’afficher son mécontentement et est libre de le faire. Et oui, évidemment, aujourd’hui le sport et la politique sont liés. On ne peut pas le nier, ce serait idiot. Le rapport entre les deux est fort. Ce que je voulais dire, c’est que la décision aurait dû être prise avant. Se poser la question deux semaines avant le début des Jeux olympiques me paraît étrange. Il aurait fallu s’interroger là-dessus il y a six ans, lorsque les Jeux ont été alloués. Et à l’avenir, on devrait établir des critères fixes et inamovibles au moment de choisir qui accueillera un événement. Dans cette optique, les droits fondamentaux de l’homme devraient être, à mes yeux, une condition sine qua non à l’organisation d’événements mondiaux.
Entretien réalisé par Tendai Michot
Mental Médias SARL
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