Gerson – Thill, balance précaire
En reprenant Gerson Rodrigues et Olivier Thill, Luc Holtz a pris une décision forte, mais pas dénuée de risques. Le retour des deux « bannis », entre rétropédalage concernant les propos du sélectionneur et potentiel mécontentement du groupe, semble osé, malgré les qualités évidentes des deux joueurs.
Ce n’était pas nécessairement le même niveau de déflagration que l’on a vécu lors de l’annonce des départs de Gerson Rodrigues et Vincent Thill après le match contre le Liechtenstein. Mais tout de même. L’annonce du retour des deux joueurs, en sérieuse disgrâce, a fait son petit effet au sein d’une sélection de plus en plus observée et médiatisée. Et la décision du sélectionneur peut légitimement interroger après une parenthèse sans les deux éléments particulièrement réussie.
Retour en arrière : alors que les Roud Léiwen se déplacent en Bosnie, le départ forcé de Gerson Rodrigues et la fugue de Vincent Thill provoquent un réel séisme. Dans la tempête, avec un scepticisme conséquent sur la capacité du groupe à récupérer quelque chose du match à venir, la sélection se fend d’une union sacrée et glane un résultat historique en s’imposant 0-2. Un exploit qui flirte grandement avec la victoire, non pas d’individualités au talent certain – mais à l’attitude désinvolte – mais bien d’une équipe unie, prête à mourir sur le terrain.
De la pénombre à la lumière
Derrière ce succès, le sélectionneur, quelques mois plus tard, doit de nouveau composer un groupe. Et si Vincent Thill est réintégré après « s’être excusé auprès du groupe et avoir montré toute sa motivation », Gerson, lui, ne fait pas son retour. Une décision justifiée par le technicien qui explique que « trop de choses se sont passées au moins de juin et aujourd’hui, l’écart entre le groupe et lui est trop grand pour qu’il puisse revenir en sélection ». Le sentiment prédominant, donc, est que le numéro 10 n’est pas près d’un retour pour représenter sa nation.
Pour Olivier Thill, les propos d’Holtz sont encore plus forts et semblaient, à l’époque, parler d’une décision définitive. Rappel : « Dans l’intérêt de l’équipe, il vaut mieux qu’Olivier ne joue plus avec nous. La porte est fermée et je ne l’ouvrirai plus. » Un manque de respect envers le staff, un désaccord sur la procédure à suivre pour le rétablissement médical, et voilà l’aventure d’un membre de la fratrie Thill achevée.
Sauf que… le 5 octobre dernier, au moment d’annoncer la liste des sélectionnés, Luc Holtz convoque, à la surprise générale, les deux joueurs. Une décision inattendue que le sélectionneur justifie par l’enjeu historique dans ce groupe de qualifications pour l’Euro 2 024. « Quand j’observe le classement, on est dans une situation que nous n’avons jamais vécue. Je me suis dit qu’il fallait remettre les compteurs à zéro. Je veux que tout le monde ait la possibilité de participer et d’aider l’équipe à performer au mieux. On a besoin de toutes les ressources possibles pour éventuellement réussir un exploit. »
Un choix parfaitement assumé par Holtz, qui poursuit en assurant que c’est lui qui « a fait le pas vers Olivier Thill. Je l’ai appelé et je lui ai expliqué la situation exceptionnelle dans laquelle nous sommes ». Un choix qui peut se comprendre, donc, et dont la réussite dépendra assurément de la capacité de chacun à « mettre les ego de côté, tant pour Gerson que pour l’intégralité du groupe » avant de conclure sur le sujet : « La seule chose qui compte, c’est l’équipe. »
Talent en hausse, harmonie en baisse ?
L’équipe, donc. Commençons par l’aspect sportif. Quand bien même il demeure des interrogations sur l’état de forme de Gerson Rodrigues qui n’a plus joué un match depuis le 3 septembre, renflouer le groupe par certains de ses meilleurs éléments a du sens. Et personne ici ne pourra critiquer le désir du sélectionneur de s’offrir les « meilleures ressources possibles » pour cette semaine indéniablement capitale pour l’histoire du football luxembourgeois. Avec ces deux rencontres à venir contre l’Islande et la Slovaquie, retrouver le meilleur buteur de la sélection est parfaitement logique.
Mais, ce n’est un secret pour personne, le football est aussi une affaire d’état d’esprit et de cohésion de groupe. Dans ce sens, on peut légitiment s’interroger sur le retour de ces deux bannis, et en particulier du numéro 10. Ce sont bien eux, sans leur joueur vedette, qui ont affronté la tempête, les critiques et le scepticisme, avant de s’offrir une des plus belles victoires de l’histoire du football luxembourgeois. Ce sont aussi eux qui ont confirmé, à domicile face à l’Islande, et fait dire au sélectionneur que l’objectif était dorénavant la qualification pour l’Euro 2 024.
Après avoir fait le dos rond, offert une solidarité et une abnégation totale avant de réussir la prouesse de remporter trois succès consécutifs, comment l’effectif va-t-il réagir au retour de Gerson, dont la réintégration au groupe n’avait pas été souhaitée en septembre suite à une réunion entre Luc Holtz et ses joueurs ? Si la brouille entre Olivier Thill et le staff est étrangère au groupe, l’absence d’efforts de Rodrigues à l’entraînement et son attitude désinvolte à certains moments a pu froisser les membres de la sélection.
Si la décision de l’entraîneur est louable et se comprend aisément, la recherche du meilleur effectif possible ne doit absolument pas contrebalancer l’harmonie du groupe. Et le post sur les réseaux sociaux de Gerson suite à l’officialisation de son retour, loin de faire amende honorable, prenait plus un accent d’individualisme, aux antipodes du désir « de mettre les ego de côté » du technicien.
Pour tempérer les propos, rappelons tout de même que les apparences publiques ne sont en aucun cas l’assurance d’une vie de groupe apaisée. Et gageons que, face à une possibilité historique comme celle-ci, les deux revenants sauront comment aborder la situation, se retrousser les manches, et se sacrifier au profit de l’équipe et de l’objectif ultime. Tout comme on peut légitimement estimer que l’état d’esprit d’unité vu ces derniers mois ne sera pas perturbé par le retour de footballeurs au talent certain.
Aux portes d’un authentique exploit, la sélection se trouve dorénavant face à deux matchs à l’importance historique, avec toutes ses forces footballistiques présentes. Reste à savoir si cette décision sera la bonne face à la réalité du terrain et des retrouvailles. Et, comme l’affirmait encore une fois Luc Holtz : « Il y a toujours du pour ou du contre dans un choix. Quand je mettrai les onze titulaires sur le terrain, cela sera la même chose. Cela fait partie du job. Il faut trouver le bon équilibre. » En espérant donc que la balance penche du bon côté.
Les sélectionnés
Gardiens : Anthony Moris (Union saint-gilloise/Bel), Ralph Schon (Wiltz), Tiago Pereira (M’Gladbach/All).
Défenseurs : Dirk Carlson (Sankt-Pölten/Aut), Maxime Chanot (AC Ajaccio/Fra), Eldin Dzogovic (Magdebourg/All), Lars Gerson (Kongsvinger/Nor), Mica Pinto (Vitesse Arnhem/Pbs), Laurent Jans (Mannheim/All), Seid Korac (Degerfors/Suè), Enes Mahmutovic (CSKA Sofia/Bul), Marvin Martins (Austria Vienne/Aut).
Milieux : Leandro Barreiro et Timothé Rupil (Mayence/All), Christopher Martins (Spartak Moscou/Rus), Mathias Olesen (Cologne/All), Sébastien Thill (Hansa Rostock/All), Olivier Thill (Sanliurfaspor/Tur), Vincent Thill (Sabah FC/Aze).
Attaquants : Yvandro Borges (M’Gladbach/All), Alessio Curci (Francs Borains/Bel), Aiman Dardari (Mayence/All), Danel Sinani (Sankt Pauli/All), James Rodrigues (Venezia/Ita), Gerson Rodrigues (Sivasspor/Tur).
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