Lors de sa commercialisation en 1994 (l’année suivante en Europe), la première PlayStation a fait l’effet d’une bombe. Alors que depuis des années, nous étions habitués à un affrontement entre Sega et Nintendo, la petite console grise a permis à Sony de débarquer et de s’imposer avec fracas dans la guerre des consoles de jeux. Plus cool dans l’esprit, mais surtout visant un public plus âgé peut être lassé de Mario et Sonic, la PlayStation s’imposa très rapidement dans nos foyers grâce à ses graphismes en 3D, ainsi qu’avec de nouvelles franchises très éloignées de ce qui était proposé jusqu’à maintenant, à l’image de Gran Turismo, qui fête cette année ses 25 ans d’existence. Une occasion parfaite pour revenir dans Noob! aux origines de ce monument de l’ère 32 bits qui reste aujourd’hui encore le jeu le plus vendu de la console de Sony.
Pour bien commencer, revenons au 3 décembre 1994, date de sortie de la PlayStation au Japon.
Lors de son lancement, six titres étaient disponibles, et parmi eux se trouvait Motor Toon Grand Prix, premier jeu plutôt réussi d’un studio interne à Sony, répondant au nom de Polys Entertainment. Ça ne vous dit rien ? C’est normal ! Ce jeu n’est jamais sorti chez nous, et il faudra attendre sa suite en 1996 pour que le public européen puisse s’essayer à cette licence de course très cartoon aujourd’hui tombée dans l’oubli, mais qui permettra à son créateur Kazunori Yamauchi de valider le développement du projet de ses rêves… Gran Turismo ! Véritable passionné de sport automobile (il possède plusieurs modèles prestigieux), il intègre la section jeux vidéo de Sony en 1992, pour débuter à la tête d’une équipe de sept personnes. Son rêve ? Développer un jeu de course s’éloignant complètement de ce qui se fait chez la concurrence, à savoir une vraie simulation qui procurerait des sensations inédites, manette en main. Problème : à ce moment-là, personne ne croyait vraiment à sa vision des jeux de course, et le projet est refusé par sa direction. Mais il ne lâchera pas l’affaire :
« C’était un concept qui tranchait radicalement avec le reste, et il était difficile de les convaincre de s’y essayer. Ce que j’ai fait, c’est créer un projet de jeu de course plus simple à comprendre pour la direction, afin d’obtenir un budget pour créer Motor Toon Grand Prix. Nous avons fait avancer ce projet en façade, pendant que nous commencions le développement de Gran Turismo en coulisses… » Kazunori Yamauchi, en 2017.
Un travail d’équipe
C’est donc pendant que l’équipe se fait la main sur le premier Motor Toon Grand Prix qu’ils se lancent dans la conception de ce gros bébé, qui les occupera pendant cinq années éreintantes !
Si ce développement de longue haleine ne sera pas aidé par la création en parallèle de Motor Toon Grand Prix 2, c’est grâce au succès de leur premier jeu, réalisé un peu par dépit, qu’ils vont enfin gagner la confiance de leurs supérieurs, qui se décident alors à valider officiellement le projet Gran Turismo. Tous les feux sont au vert, et la jeune équipe peut enfin complètement se concentrer sur ce projet, en y travaillant jour et nuit.
Pendant toute la durée de gestation de ce qui donnera le hit que l’on connaît, Yamauchi ne s’accordera que peu de répit. Selon ses propres déclarations, il ira même jusqu’à vivre sur son lieu de travail pour ne retourner chez lui que quatre jours par an… Oui, quand on aime, on ne compte pas, même si ce fonctionnement aurait bien du mal à passer aujourd’hui ! Perfectionniste, le jeune game designer donne tout pour faire son jeu The Real Driving Simulator, mais il sait très bien qu’une si petite équipe ne sera jamais suffisante pour y arriver, et il faut donc rapidement recruter. De cinq personnes – dont Yamauchi lui-même – l’équipe de Polys Entertainment finira par arriver à une vingtaine environ lors des moments les plus intenses de son développement. Shuhei Yoshida, coproducteur du jeu et futur président de Sony Entertainment Interactive, raconte dans une interview pour le PlayStation Blog en 2017 comment le charismatique Kazunori Yamauchi se donnait là encore à fond pour former une dream team autour de son jeu :
« Je me rappelle la manière dont il a approché des développeurs qui travaillaient sur des moteurs physiques et 3D et écrivait régulièrement des articles dans des magazines spécialisés afin de les convaincre de rejoindre son équipe et de construire son projet idéal. »
Concevoir LA simulation !
En réunissant une équipe talentueuse et en travaillant avec la confiance de sa hiérarchie, Kazunori Yamauchi peut enfin pleinement se concentrer sur ce qui fera que son jeu de course marquera bientôt une étape dans la jeune histoire du jeu vidéo : son réalisme.
En se rapprochant au maximum des fabricants officiels pour obtenir les données les plus précises possibles, les développeurs parvinrent à modéliser les différentes voitures du jeu, avec un rendu complètement inédit sur console.
Le but de Gran Turismo était de retranscrire le plus fidèlement possible le caractère de chacune des 140 voitures disponibles dans leur garage. En plus des paramètres d’origines, il était déjà possible, dans ce premier jeu, d’appliquer des réglages ou de modifier des composants pour booster nos véhicules préférés.
Pourtant, même si la volonté était de proposer la simulation la plus réaliste possible, il n’était pas question de se couper d’un public plus large, qui aurait pu se retrouver sur le côté de la route face à une simulation trop élitiste.
Lors de différentes sessions de tests mises en place, en observant une vingtaine de testeurs, Kazunori Yamauchi se rend vite compte qu’ils n’utilisent pas assez leurs freins lors de virages serrés et qu’ils se retrouvent beaucoup trop souvent dans les murs, à force de ne pas réussir à les négocier. Il fallait donc rapidement opérer quelques changements pour rendre le jeu plus accessible, sans dénaturer son style unique. Un gros travail sera alors effectué sur la physique des voitures, afin que le joueur puisse ressentir avec précision comment il doit faire réagir son véhicule.
« Pour moi, conduire une voiture n’est pas censé être difficile, c’est généralement plus facile que de conduire dans un simulateur. J’avais donc l’intime conviction que si la physique du jeu était d’une grande précision, conduire ne serait pas difficile, car dans la réalité, c’est quelque chose d’assez simple. » Kazunori Yamauchi
Un plaisir aussi pour les yeux
Si une attention toute particulière a été portée au réalisme de la conduite et au comportement des différentes voitures disponibles, ce n’est pas pour autant que les graphismes ont été mis de côté. C’est même le contraire. Si le studio s’était déjà démarqué dès le lancement de la PlayStation avec sa maîtrise de la 3D, il va carrément se surpasser en proposant ni plus ni moins que l’un des plus beaux jeux de la machine lorsqu’il déboule en décembre 1997 au Japon.
Même pour ceux qui n’avaient que très peu d’intérêt pour le sport automobile, Gran Turismo est une claque, et il faut l’avoir essayé, voire le posséder dans sa ludothèque, pour profiter des somptueux replays qui donnaient l’impression d’assister à la retransmission d’une vraie course de voitures.
Bien sûr, regarder les images peut aujourd’hui prêter à sourire, mais à une époque où nous étions surtout habitués aux jeux d’arcade comme Wipeout, Ridge Racer ou Destruction Derby, se retrouver face au nouveau titre de Kazunori Yamauchi faisait un choc. La modalisation était folle, la distance d’affichage impressionnante, et voir les voitures réagir en fonction de la route nous laissait pantois ! Cerise sur ce beau gâteau motorisé, le contenu était lui aussi à la hauteur avec son fameux mode Gran Turismo, qui parvenait à nous tenir en haleine durant des heures. Très inspiré par les jeux de rôle qu’il pratiquait sur PC dans les années 80, Yamauchi nous propose ainsi de lancer une course à l’équipement et à la collection de véhicules, chaque course gagnée nous rapportant des crédits que nous pouvons utiliser pour investir dans un bijou à quatre roues ou dans de l’équipement pour améliorer ceux que l’on possède déjà dans notre – immense – garage.
Un vrai plaisir pour les fans, qui n’auront de cesse de pousser plus loin les limites de leur voiture préférée afin de gratter de précieuses secondes aux chronos ou de débloquer le prochain championnat.
Une réussite complétée par un mode multijoueurs en local efficace, où l’on pouvait se tirer la bourre avec des ami(e)s en écran splitté. Si tout n’était pas parfait, notamment au niveau des collisions et de l’intelligence artificielle, le tour de force réalisé par l’équipe de Yamauchi était néanmoins impressionnant, et les sensations au rendez-vous, surtout si l’on s’était décidé à adopter en même temps la toute nouvelle manette « dualshock » équipée de ses sticks analogiques. C’est sûr, il y aura un avant et un après Gran Turismo !
Un succès hors du commun
S’il était moins évident de capter l’attention du public en 1997 qu’aujourd’hui, Gran Turismo n’en restait pas moins très attendu, surtout grâce à la bande-annonce présentée lors du salon de l’E3 de 1997 et des images qui nous faisaient baver dans les magazines. Lorsqu’il arrive enfin dans les boutiques japonaises, le succès est immédiat et de longues files d’attente se forment pour l’obtenir. Un immense souvenir pour Kazunori Yamauchi, qui évoque avec émotion le lancement de son bébé :
« Je voyais tout ça se dérouler, incapable d’en croire mes yeux, alors que les gens achetaient notre jeu.Je pense qu’à ce moment-là, je ne pouvais pas me sentir plus fier que je ne l’étais déjà. Nous étions heureux et nous n’arrivions pas à y croire. Comme nous avions travaillé sur le premier Gran Turismo pendant très longtemps, le jeu était presque devenu une partie de nous. »
Partout où il sort, il remporte un succès considérable, et aujourd’hui encore, avec près de 11 millions de copies vendues dans le monde, il reste le plus vendu sur PlayStation, qui possède pourtant de nombreux grands jeux dans sa ludothèque. Très bien accueilli par la critique spécialisée qui lui reprochera surtout – et à raison – une intelligence artificielle bien trop fan de la queue leu leu et une ambiance sonore qui n’est jamais au niveau du reste, le jeu est un vrai succès populaire.
Rapidement, les choses s’emballent pour Kazunori Yamauchi qui, aidé par Yoshida, va fonder son propre studio baptisé Polyphony Digital avant de se lancer immédiatement dans la production de Gran Turismo 2.
Les ambitions sont claires : imposer la série en corrigeant certains défauts, mais aussi en proposant encore plus de contenus pour les fans.
Avec environ 650 voitures (!) et 27 circuits, dont des courses de rallye, ce second jeu rencontrera lui aussi un énorme succès, confirmant l’engouement des pilotes virtuels pour la nouvelle licence phare de la PlayStation.
La suite, vous la connaissez ; chaque console PlayStation aura droit à son épisode, et même si parfois le manque d’innovation provoque la grogne chez les fans de la première heure (l’IA, les collisions et bien entendu la gestion des dégâts), près de 25 ans plus tard, Gran Turismo est toujours là, droit dans ses pneus. Malgré une concurrence de plus en plus rude qui l’obligera plus d’une fois à se remettre en question, la série culte de Polyphony Digital n’est pas près de s’arrêter, et c’est d’ailleurs en fanfare qu’elle signe son grand retour sur PS5, mais aussi sur PS4.
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