Vous abordez votre dernière année avant la retraite. Est-ce quelque chose que vous appréhendez ou que vous attendez plutôt avec impatience?
Généralement, quand on pense à la retraite, on s’imagine arrêter quelque chose totalement pour, pourquoi pas, commencer quelque chose de tout à fait nouveau. Mais je ne pense pas que cela sera mon cas. Je ne serai en effet plus présent au sein du comité, mais il y a encore bien des projets auxquels nous réfléchissons et dans lesquels j’aurai encore un rôle à jouer.
Quels ont été les plus gros challenges à ce poste ?
Même si cela fait fort longtemps que je suis à ce poste, le métier a toujours évolué. Quand j’ai commencé, c’était une position complètement nouvelle avec un chantier total à développer. Durant ces premières années, tout a énormément changé. Entre ce que je faisais au départ et mes activités aujourd’hui, il y a un véritable monde. Au début, il s’agissait surtout de trouver une corrélation entre les athlètes et les fédérations, pour réussir à régir tout cela et créer un mode de fonctionnement commun. Et, avec le temps, les missions se sont de plus en plus focalisées sur l’amélioration des conditions de travail des athlètes et le développement de possibilités pour eux à travers le pays afin d’aller chercher le maximum de leur potentiel. Il a toujours été important de repérer les points faibles et de les améliorer pour les quatre années suivantes, et ainsi de suite. Des obstacles, il y en aura toujours, il ne faut pas se leurrer. C’est difficile de les hiérarchiser. Aujourd’hui, je vous dirais que c’est l’organisation des Jeux olympiques de Tokyo dans ces conditions extrêmement difficiles et changeantes. De nouvelles règles apparaissent constamment. Mais ça fait partie du job. Et je dirais même que c’est ce qui le rend passionnant. Il y a tout le temps de nouveaux challenges et défis.
Vous avez préféré être coach ou directeur national ?
Cela ressemble un peu à des questions que je reçois toujours, comme « Quels ont été vos jeux olympiques préférés ? » : c’est sincèrement impossible d’y répondre. Mais si je devais le faire, voici ce que je dirais : si je n’avais pas été coach avec des athlètes de très haut niveau, je n’aurais jamais pu faire le métier de directeur national. C’est une véritable leçon de vie qui m’a permis de comprendre comment fonctionnent et réfléchissent des athlètes, des entraîneurs. Si tu n’es pas capable de saisir leur manière de penser, cela sera quasiment impossible.
Avez-vous des regrets, des choses que vous estimez ne pas avoir réussi à accomplir ?
(Il hésite) Ce qu’on ressent sur les dix dernières années, c’est qu’on y est presque. Nous avons commencé à gagner des médailles, dans toutes les compétitions de jeunes, jusqu’aux Jeux olympiques pour les jeunes. Nous avons remporté des médailles dans les Jeux européens, et nous étions très proche de remporter des médailles aux JO. Le travail aujourd’hui consiste à simplement trouver et définir les petites choses manquantes, et essayer de les améliorer. C’est là le cœur du travail. C’est difficile pour nous, en tant que petite nation, de réussir cette mission, mais nous sommes conscients de ce que nous faisons pour nous améliorer, et ce qu’il faut aller chercher. Cela implique d’avoir les bonnes idées au bon moment pour gagner, avec, bien entendu, une petite touche de chance. On n’était pas loin à Athènes, à Beijing et à Londres… Cela s’est souvent joué sur des détails. C’est peut-être cela qui reste avec moi, de ne pas avoir réussi à faire ce petit pas supplémentaire pour récupérer une belle médaille. Nous avons beaucoup d’athlètes qui sont très talentueux, et je continue de croire que nous pouvons y arriver. Cela restera mon regret, de ne pas avoir réussi. C’est facile de ressasser les choses : si nous avions eu tel entraîneur, telle aptitude, etc. Mais il faut continuer à aller de l’avant.
Donc, il est juste de dire que sur les vingt dernières années, vous voyez une grosse amélioration au sein de la fédération et des joueurs ?
Nous sommes meilleurs qu’avant, c’est certain. Mais nous pouvons aller encore plus loin. Il faut encore et encore améliorer les structures académiques. C’est un domaine dans lequel nous sommes en retard au Luxembourg. Si tu veux avoir des compétences académiques, il te faut une structure du genre universitaire, sinon tu es trop dépendant de forces extérieures. Nous avons énormément de ressources qui viennent d’autres pays, mais peut-être pas assez du Luxembourg. Il faut trouver le bon équilibre entre les deux. Amener du sang nouveau, et réussir à avoir l’équilibre approprié. Nous avons un équilibre dans l’éducation sportive au niveau des professeurs. Pour les entraîneurs, nous nous reposons par contre énormément sur des forces extérieures. Il faudrait réussir à rapprocher les deux. Si nous réussissons cela, nous pouvons produire nos propres connaissances, nos propres conclusions, et ainsi de suite. C’est l’étape suivante de notre développement.
Vous avez dit dans une interview, il y a longtemps, que lorsque vous avez débuté en tant qu’entraîneur national ici, vous n’imaginiez pas durer plus de deux ans…
C’est totalement vrai. J’avais étudié pendant huit ans, mais à côté de cela, j’étais devenu entraîneur de ping-pong à un niveau quasi professionnel. Après ma thèse de master, j’étais plus intéressé par le métier de professeur à l’université, mais une coïncidence a fait que le chemin anticipé a changé. Mon école n’avait finalement pas les moyens de m’engager à plein temps comme c’était prévu, et j’ai reçu à ce moment-là une offre du Luxembourg. Je me suis alors dit : « Allez, sors de ta zone de confort, tente quelque chose de différent. » Et je connaissais les athlètes, que j’avais rencontrés dans bien des sessions d’entraînement. Je savais qu’il y avait du potentiel, et je me suis convaincu de tenter l’aventure pendant maximum deux ans.
Et qu’est-ce qui a changé pour que vous restiez finalement toute votre vie ici ?
J’ai rencontré des gens formidables. Certains sont encore présents aujourd’hui. Il y avait une vraie motivation et un désir de s’améliorer. Et le niveau était objectivement bon. La première étape était de trouver des structures, etc. Très motivant. Et au final, à chaque fois que je me posais la question, je me disais que j’étais heureux où j’étais, donc je prolongeais. Comme j’aime le dire, durant la vie, c’est un peu comme si vous étiez sur une rivière à glisser et à flotter. Vous essayez de trouver la bonne direction, mais vous ne savez jamais quand vous allez vous arrêter. Pensez à votre bonheur et essayez d’aller bien. C’est aussi simple que cela.
Parlons des JO de Tokyo. Préparation très étrange, nouvelle situation incertaine… Cela enlève-t-il le plaisir et la magie des Jeux olympiques ?
En vérité, nous n’en savons rien. Je viens juste d’en discuter avec des amis, collègues et athlètes ces derniers jours. La seule chose de certaine, c’est que ces Jeux seront différents de tout ce qu’on a vécu jusque-là. Personne ne sait comment cela va être. Ce seront des Jeux spéciaux, assurément. Et, au vu des règles qui nous ont été présentées récemment, cela ne risque pas d’être une partie de plaisir. Mais c’est comme cela. Tous les jours, on avance et on essaie d’apprendre et de s’habituer. On marche vers l’inconnu. Mais on a pu voir dans la préparation de nos athlètes qu’ils sont extrêmement motivés. Et c’est quelque chose de profondément stimulant. On sent la détermination de tous et de chacun d’aller jusqu’au bout. Quand les Jeux ont été reportés l’an passé, tout le monde repartait de zéro. Et il en fallait du caractère pour retourner à l’entraînement pour une compétition décalée et incertaine. Nous sommes très chanceux. Et j’ai confiance en nos chances.
Seriez-vous prêt à donner un objectif clair pour ces JO ?
À l’époque, on aurait pu dire que l’objectif était atteint avec la participation. Aujourd’hui, on a plus d’ambition. On a cette envie de ramener une médaille à la maison. Nicolas Wagner a énormément de potentiel ; à voir comment le cheval va supporter le voyage, mais nous avons des raisons d’y croire. La moitié de nos athlètes présents sont à un niveau supérieur à ce que l’on attendait. Il y a aussi une autre composante à prendre en compte, c’est que nous ne savons pas à quel point les autres athlètes seront clean. Le réseau anti-dopage est moins fort pour cette édition, donc cela pourrait être un problème. Et un autre objectif que nous avons, c’est aussi tout simplement d’arriver en bonne santé, et repartir de la même manière. Plus que jamais, c’est vital.
Profitez-vous des Jeux olympiques ou le travail est-il trop stressant pour prendre du plaisir?
Ça n’est pas tout noir ou tout blanc. Le stress sera toujours là, et c’est normal. Mais il y a quand même un ressenti de joie, de plaisir, c’est évident. Cela sera évidemment différent avec un masque sur le visage de tous les collègues, mais les Jeux olympiques sont une expérience absolument fantastique. Et c’est l’aboutissement d’un travail de quatre ans, d’un labeur constant. Se préparer pour quelque chose pendant quatre ans, c’est très rare. Alors quand ça arrive, c’est assez dingue. Je pense qu’il faut le stress pour avoir de la joie.
Pensez-vous qu’aujourd’hui, au Luxembourg, les athlètes sont exploités au maximum de leur potentiel ?
Nous avons des forces et des faiblesses. Dans les forces, la petite taille du pays nous permet de tous nous connaître, de pouvoir travailler ensemble. Nous essayons de créer des conditions qui rendent les athlètes plus aptes à atteindre le maximum de leur potentiel. Là-dessus, nous sommes bien. Mais ce qui nous manque, c’est peut-être de se rendre compte qu’ils ne sont pas que des produits de leurs structures. Chacun a sa personnalité propre. Et il faut savoir trouver et comprendre ce qui motive, fait bouger, encourage à se donner plus. Tout le monde en est capable. Mais chacun a une manière différente d’atteindre son top. Regardez Gilles Müller : il a commencé dans une structure, avant de partir aux États-Unis, puis se forger tout seul, etc. Il faut apprendre de ça. Mais cela ne signifie pas pour autant que cette méthode fonctionnera pour tout le monde. Parfois, les parents vous aideront à tout donner. Parfois, ce seront les entraîneurs. Et dans d’autres situations, ça sera l’athlète tout seul. Et c’est à nous de nous rendre compte de cela, et d’agir en conséquence. Nous ne sommes pas en présence de robots. Ils ont leurs sentiments, leur ego, leur entourage, leurs ambitions. Toujours différents.
Quel conseil donneriez-vous à la personne qui va vous succéder ?
Ce n’est pas un conseil. C’est un bloc d’expérience, qui se transmet sous forme de discussions. Nous n’avons pas besoin de faire un débrief. Nous nous connaissons depuis des années, et nous dialoguons depuis toujours. Nous avons la même opinion sur bien des choses, différente sur d’autres, et nous continuerons dans ce sens-là. Ce serait très difficile pour un successeur s’il me rencontrait le jour du départ, où je lui donnerais, le temps d’un après-midi, une liste des choses à faire et basta. C’est bien mieux comme situation de se connaître depuis plus de 20 ans. Il connaît exactement ma manière de penser, et il a aussi toujours fait partie du développement, en particulier avec le Sportlycée. Donc, au final, je suis persuadé qu’il sait exactement où et comment les choses doivent avancer.
Que pouvons-nous vous souhaiter de meilleur personnellement dans le futur ?
Que je puisse rester un peu plus longtemps sur ce bel endroit qu’est la Terre. J’étais un peu en surpoids avant le confinement, et j’ai réussi à perdre tout cela. Approximativement 20 kilos, ce qui n’est clairement pas rien. J’ai passé mon test dans le département médical pour pouvoir continuer à pratiquer un sport. Et vous pouvez me souhaiter de continuer de voir les avancées d’assez près et de contribuer à ma manière. Le métier s’achève peut-être officiellement, mais mon implication pas du tout. Je veux rester acteur du développement de nos athlètes et des fédérations au Grand-Duché.
Mental Médias SARL
15 Rue Emile Mark
L-4620 Differdange LUXEMBOURG
m : moien@mental.lu