Actuellement 11e au classement mondial de World Triathlon, Jeanne Lehair a réalisé une saison 2023 des plus abouties, avec en point d’orgue un titre de championne d’Europe décroché à Madrid en juin dernier. Désormais, le cap est mis sur Paris 2024.
Jeanne, vous vivez une très belle année sur le plan sportif. Que vous a apporté ce titre de championne d’Europe décroché à Madrid en juin dernier ?
Fondamentalement, dans la vie de tous les jours, cela n’a pas changé grand-chose, mais entre ce titre et la saison de manière générale, beaucoup de bonnes prestations se sont enchaînées cette année. Petit à petit, cela m’a permis de prendre conscience que j’ai passé un cap. Et disons qu’il y a eu une course avant les Championnats d’Europe qui en termes de performance était peut-être encore plus réussie, c’était à Cagliari, où je suis arrivée cinquième sur cette manche WTCS, qui est en gros le plus haut niveau en triathlon. C’était un objectif, mais je ne m’attendais pas à faire un top 5 cette année.
Il y a eu un autre rendez-vous important pour vous récemment en vue des Jeux olympiques de Paris 2024 avec l’épreuve test du triathlon. Au niveau de l’obtention de votre billet pour les J.O., où en êtes-vous ?
En triathlon, on a une période de qualification olympique qui dure deux ans, qui va s’achever en mai 2024, et toutes les courses que l’on fait sur les manches de Coupe du monde et épreuves de World Triathlon Series, et également le Test Event. Cela rapporte plus ou moins de points selon la distance. Avec tous ces points, on fait un classement, et pour aller aux J.O., il faut être dans les 55 premières places. Je suis aux alentours du top 15 en ce moment, donc normalement je ne suis pas trop mal. Avant, je me disais que sauf blessure j’irais aux Jeux, mais même en me blessant maintenant je pense que ça passe. Mais bon, on ne va pas jouer avec le feu non plus (rires).
Quels enseignements avez-vous tirés de ce Test Event à Paris, que vous avez achevé à la 11e place ?
J’y suis allée avec peu de pression, contrairement à d’autres. Avec la Fédération luxembourgeoise de triathlon, je n’ai pas de critères particuliers à respecter, du genre devoir réaliser un podium sur telle ou telle course. Ce n’était pas mon objectif ultime de la saison, mais cela s’est passé correctement. Mais c’est sûr que si l’on m’avait dit en début d’année que je terminerais 11e, j’aurais payé pour ça. Finalement je suis contente, mais sans plus, je n’avais pas des sensations incroyables. J’espère me sentir mieux ce week-end (ndlr : interview réalisée le 19 septembre avant la dernière manche de Pontevedra). Mais à la suite du Test Event, j’ai fait d’autres bonnes courses qui se sont bien passées, et j’ai toujours un peu peur que le pic de forme soit passé et que ce soit compliqué ce week-end. On ne va pas y penser et on verra comment cela se passe.
Au rayon des belles courses, il y a eu aussi cette victoire à Londres en Super League Triathlon. Ce résultat vous a-t-il surpris ?
C’était presque inespéré vu le début de la course, car j’ai failli être out,comme j’avais très mal nagé sur la première partie. En fait, le format, c’était trois triathlons d’affilée. Donc je sors très loin après la première nage, et j’ai fait toute la première partie à vélo quasiment seule. Je restais à distance, et j’ai dû faire un effort très important sur la première course pour venir me recoller au groupe. Si j’avais un peu lâché l’affaire, ou du moins été un peu plus en dedans, en mode « bon maintenant je regarde derrière », je n’aurais pas gagné. Et là, il n’y a que les 500 derniers mètres où j’ai vu que je pouvais le faire, mais sans certitude. C’est vraiment juste à la fin que je comprends que je vais gagner, mais il reste alors seulement 200 m ! Une cinquième place m’aurait convenu après une course pareille, mais réussir à faire mieux et surtout gagner une manche de Super League, où on retrouve les meilleurs de notre discipline, je ne me voyais absolument pas le faire.
Toujours dans cette compétition, mais à Toulouse une semaine plus tard, vous avez été disqualifiée de la course. Que s’est-il passé, c’est à cause de la fermeture de votre casque ?
Oui, et pour le coup c’était très décevant, surtout que j’habite à Toulouse maintenant. Et ce n’est pas lors de sa course à domicile qu’on a envie qu’une chose comme ça arrive. D’autant plus que la règle est différente en World Triathlon, où je n’aurais entre guillemets reçu qu’une pénalité. C’est rageant, car je pense que j’aurais pu finir 2e minimum si je n’avais pas reçu cette disqualification. Sur le coup, pendant quelques jours, je n’étais vraiment pas bien. Cela ne fait jamais plaisir de se faire disqualifier, et mine de rien c’est une perte financière super importante, que ce soit le jour J ou au classement général. Surtout pour une erreur comme cela.
Vous êtes native de Metz, vous vivez désormais à Toulouse, et vous avez récemment changé de nationalité sportive au bénéfice du Luxembourg. Pourquoi avoir fait ce choix qui n’est jamais anodin ?
Au Luxembourg, il n’y a pas énormément de solutions si l’on veut obtenir la nationalité. Mais en ce qui me concerne, en l’occurrence, c’est avec le droit du sang du côté de ma mère. J’ai recouvré ma nationalité luxembourgeoise, et maintenant j’ai une double nationalité. Pour le triathlon avec la France, ce n’est pas que j’avais de mauvaises relations, mais je n’étais pas dans les petits papiers, et c’était toujours la croix et la bannière pour avoir accès à des courses. Juste un exemple, pour pouvoir participer au Test Event, les triathlètes françaises avaient un critère, c’est-à-dire faire un top 5 sur une manche WTCS, une performance que je n’aurais jamais pensé possible de ma vie, et c’est assez fou comme critère. Et en fait, à part les 3 filles qu’ils ont bien voulu envoyer, aucune n’a eu l’accès aux courses qui permettaient de faire ce critère ! À partir de là, quand on met autant de bâtons dans les roues aux sportifs… à quoi bon continuer à courir pour eux si tu restes bloquée à un niveau, alors que tu as envie d’aller au niveau au-dessus et que potentiellement tu le mérites ? Je pense que partir a été la meilleure décision que j’ai prise, et cela se voit avec la saison que je fais. Je n’aurais jamais pensé atteindre ce classement actuel, en tout cas pas aussi rapidement, mais plutôt d’ici quelques années.
En tout cas cette décision a dû ravir la Fédération luxembourgeoise de triathlon…
Oui, je pense que cela leur fait plaisir. Ils ont conscience qu’il n’y a pas une grande densité d’athlètes ici. Il y a eu un luxembourgeois vice-champion d’Europe en 2009 (ndlr : Dirk Bockel), et d’autres athlètes performants, mais c’est sûr qu’en ce moment, je suis en forme et c’est tant mieux pour eux, et d’ailleurs si ça va bien, c’est grâce à eux aussi. L’environnement pour un sportif c’est important, ils participent à ma stabilité en se montrant bienveillants avec moi, ils ne me mettent pas la pression sur les courses, si je me rate je me rate, si je ne me rate pas tant mieux… Quand je courais pour la France, ce n’était pas la même mélodie…
Vous êtes donc installée à Toulouse, c’est une ville épanouissante pour la pratique de votre sport ?
À la base, je m’entraîne l’hiver au Portugal depuis trois ans. En fait, un de mes meilleurs amis était parti vivre à Toulouse, je suis passée le voir, et j’ai bien accroché avec les gens, la ville, et accessoirement la météo (rires). Et c’est là-bas que j’ai rencontré mon copain, donc je viens le plus souvent possible pour le voir et m’entraîner. Je vais continuer comme cela jusqu’aux Jeux, et après j’envisage de m’installer à Toulouse pour de bon. J’irai en stage de temps en temps, mais pas sur de longues durées comme je le fais actuellement. Je serai une vraie Toulousaine, en plus d’être Messine et Luxembourgeoise !
Vous avez commencé le triathlon à l’âge de 7 ans, c’est votre père qui vous a transmis cette culture sportive ?
En fait, c’était à 6 ans ! Cela fait extrêmement longtemps, 21 ans donc. Mon père a toujours été très sportif, et je regardais cela avec admiration. Mes parents m’ont appris à nager et puis m’ont envoyée sur un triathlon que je le veuille ou non (rires). Mon deuxième, j’en garde un mauvais souvenir… Mais je suis assez compétitrice de base. Je prends du plaisir à être devant. Si je vais faire une partie de ping-pong, je préfère juste faire des échanges plutôt qu’un match, car je sais que je ne vais pas gagner. J’ai bien accroché avec le triathlon, et avec les sports d’endurance en général. Cela demande des qualités que je possède, et dont j’ai peut-être hérité génétiquement grâce à mon père. Dans la famille on a toujours bougé, quand j’étais petite on faisait beaucoup de randonnées. On n’était pas du genre à rien faire. Après l’école, si je n’allais pas faire du sport, je courais partout avec mes copains, on faisait tout le temps du vélo, donc j’ai toujours été dynamique, si on peut dire.
Parmi les trois sports qui composent le triathlon, avez-vous une préférence ?
C’est surtout la course à pied que j’aime vraiment. Les deux autres, en fait, je n’aimais pas tant que ça, même si je fais de la natation depuis que j’ai cinq ans. Quand j’étais à l’école primaire, je disais à mon père : « Je veux arrêter la natation, je n’aime pas ça. » J’avais le droit à trois sports, mais c’étaient eux qui choisissaient, et la natation, c’était obligatoire. Finalement, je suis contente qu’ils m’aient forcé la main là-dessus, parce que si je n’avais pas nagé autant ce serait encore plus compliqué maintenant…
La plus grande des difficultés en triathlon, est-ce de trouver l’équilibre entre les trois disciplines ?
Il y a pas mal de difficultés en triathlon, mais oui, c’est toujours dur de doser. Est-ce que je vais plus bosser sur ma faiblesse, ou au contraire mettre l’accent sur ma qualité principale afin de faire la différence là-dessus ? Moi par exemple, c’est la course à pied, mais si j’abandonne avant… Donc je dois surtout mettre l’accent sur la natation et le vélo, car c’est le début de course et j’ai beau très bien courir, si je me fais sortir avant comme ça a failli être le cas à Londres, la course est pliée. Si je termine 30e avec le meilleur temps à pied je m’en fous. Certains s’en satisferaient, mais moi je m’en fiche. Ce ne sont pas forcément les plus rapides à pied qui vont gagner. Il faut essayer d’être le meilleur partout, mais c’est difficile.
C’est quoi le plus beau triathlon qui existe ?
C’est une très bonne question. Moi, je fais du triathlon courte distance, qu’il soit beau en soit, ce n’est pas que je m’en fiche, mais quand j’ai la tête dans le guidon je ne m’en rends pas forcément compte. Concernant le public, par exemple, à Toulouse c’est une course où il y a énormément de monde et c’est hyper sympa. Une autre course qui s’en rapproche c’est la WTCS d’Hambourg. Et à Paris lors du Test Event, même si la course a démarré à 8 h, il y avait vraiment beaucoup de monde et c’était vraiment bien. Quand on avait fait les reconnaissances du parcours la veille, on avait en tout cas été bluffés de pouvoir disputer un triathlon sur les Champs, près du Petit Palais, la tour Eiffel, plein d’endroits sympathiques… C’est quand même quelque chose.
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