Ce sont deux femmes aux parcours différents. Deux personnalités qui ont, à leur manière, marqué l’histoire du tennis de table au Luxembourg. Et si la construction et les résultats ne se sont pas faits de la même manière, les souvenirs, eux, se ressemblent. Ainsi, l’une et l’autre aiment à se rappeler cette époque le temps de longs entretiens où les souvenirs reviennent, avec une véritable passion, signe que l’amour de ce sport et de cette époque demeure. Ainsi affirment-elles sans la moindre ambiguïté : « Aucun regret. »
Pour Jeanny Dom, l’histoire commence assez tôt, au sein de l’école primaire. « À l’école primaire à Echternach, ils avaient créé une institution LASEP », explique Jeanny Dom. « J’ai tout de suite beaucoup aimé ce sport. Au début, j’avais 8 ans, j’appréciais tout simplement, sans réfléchir. On faisait des petits tournois entre les différentes sections, et comme j’en ai pas mal gagné, j’ai décidé de continuer. » Pour Risch, le coup de foudre arrive bien plus tard : « J’ai commencé le tennis de table très tard, à onze ans. Mon père était un joueur de loisir. Il aimait le sport, mais ne jouait réellement que par plaisir. » De fil en aiguille, les deux gamines se prennent de passion pour ce sport et enchaînent tranquillement, mais sûrement, les résultats. Sans réellement réaliser qu’elles ont un talent et un potentiel supérieurs à la moyenne. « Il n’y a pas eu de moment précis où je me suis dit que j’étais au-dessus », confirme Risch. « Je ne m’en suis pas aperçue. J’ai été championne des minimes, si je ne me trompe pas, lors de ma toute première année. Ensuite, il y a eu les scolaires, les cadets, et ainsi de suite… Je m’entraînais beaucoup, et quand je fais quelque chose, je me donne à fond. Je faisais tous mes entraînements, je suivais les conseils de mes coachs. Pour mes parents, l’école restait prioritaire, évidemment. Si les devoirs étaient faits, je pouvais aller à mon entraînement. J’étais vraiment très stricte avec moi-même. Écoles, études, entraînement. » Une insouciance et une discipline également partagées par Jeanny Dom qui, elle aussi, ne réalise pas elle-même ses capacités : « Ce sont les autres qui m’ont dit que j’avais du talent. C’est vers 13-14 ans, quand j’ai commencé à battre les numéros 1 et 2 du Luxembourg, que j’ai commencé à m’en rendre compte. Alors, les entraîneurs m’ont poussée à continuer. Et assez vite, j’ai été appelée en équipe nationale. »
Sacrifices et consécrations
Ainsi, la routine se met en place. Les sacrifices aussi. Aux études ou métiers succèdent les entraînements de tennis de table, dans un rythme extrêmement intense pour deux athlètes déterminées à marquer l’histoire de leur sport. Avantage non négligeable, Dom et Risch peuvent s’opposer à des adversaires masculins à l’entraînement, grâce au système du Luxembourg. « J’avais des demandes à l’étranger, mais je voulais continuer à Echternach. Il faut se rappeler qu’à l’époque, au Luxembourg, nous jouions contre les hommes. Pour la progression, c’était excellent. C’était plus rapide, plus fort, donc cela fournissait un entraînement plus intensif, des confrontations plus compliquées. » Un constat que Carine Risch partage, mais qui ne l’empêche pas de finalement céder aux sirènes d’écuries étrangères. « J’aurais pu rester, oui, mais cela me tentait d’aller vivre ailleurs, de découvrir un autre monde. J’ai toujours été curieuse de nouveautés. Et bien entendu, la possibilité de progresser encore plus entrait en compte. »
À Echternach pour l’une, à Düsseldorf pour l’autre, les parties et entraînements se succèdent, avec une domination nationale, mais aussi des participations à de nombreuses compétitions internationales. Des périodes pas toujours simples, mais qui créent inévitablement des souvenirs assez fameux. Ainsi, Jeanny Dom se souvient particulièrement de ces championnats mondiaux ou européens qui pouvaient donner lieu à des aventures pittoresques. À l’image de cette compétition organisée en Corée du Nord : « Rien que le trajet avait été fou. Le pays n’acceptait pas les avions européens, donc nous avons dû utiliser leurs avions en partant de Genève. L’équipe de Corée du Sud était aussi en Suisse, mais ils ont refusé de les emmener. On est allés de Luxembourg à Moscou, de Moscou à Irkutsk, d’Irkutsk à Novossibirsk, et enfin à Pyongyang. À chaque escale, ils nous sortaient de l’avion et nous enfermaient dans un petit hall. Sur place, si on sortait de l’hôtel, on avait tout de suite une escorte de deux gardes du corps. On vient d’un petit pays dans lequel on n’a jamais vu des choses pareilles. »
Pour Risch, ce voyage est fait de souvenirs marquants. La pongiste se remémore en particulier une situation ubuesque dans l’avion : « J’étais allongée dans le couloir pour préparer mon baccalauréat lors du voyage à Pyongyang pour les Championnats du monde. » Autant d’anecdotes qui ont forgé le caractère des deux jeunes joueuses, d’une certaine manière livrées à elles-mêmes, et vite dans l’obligation d’apprendre à s’en sortir toutes seules. « Tous les championnats, ces déplacements, cette vie, cela m’a beaucoup apporté dans mon développement personnel », confirme Risch. « J’étais souvent seule, à l’étranger, et il faut apprendre à se débrouiller dans ce domaine. Le caractère personnel, quand on est loin de la famille, des amis, cela forge. Même si on a des délégués, des coéquipières, cela reste un sport individuel. Je me suis toujours battue pour tout, aussi bien dans la vie que derrière ma table de ping-pong. J’ai été habituée à me battre toute seule. Ça m’a donné confiance en mes capacités, et une véritable confiance en moi. » Une opinion partagée par Dom, qui acquiesce sans le moindre doute : « J’ai appris à me débrouiller pour tout. Le tennis de table m’a énormément apporté. Être à l’étranger, cela apprend la vie, tout simplement. »
Un monde sans cesse changeant
La fin de leur carrière passée, les deux joueuses suivent toujours l’actualité du tennis de table au Luxembourg. Elles sont, évidemment, admiratrices des résultats des athlètes du Grand-Duché. À commencer par Ni Xia Lian, qui force l’admiration de Carine Risch. « Ce que fait Ni Xia Lian est tout simplement impressionnant. Ses résultats sont formidables. »
Pour Dom, septuple vainqueur du titre de meilleure sportive luxembourgeoise, l’apport de la pongiste de 59 ans va bien au-delà des résultats. « Ni Xia Lian a fait une énorme différence dans l’approche de ce sport. Elle a élevé le niveau, tant en matière de qualité et d’investissement que de rigueur. Jouer et côtoyer des joueurs plus forts améliore forcément votre niveau. » Une bouffée d’air et un surplus de motivation qui expliqueraient depuis toujours la réussite dans cette discipline des sportifs nationaux. Un facteur, certes, mais pas le seul, selon Carine Risch, qui voit en ces résultats continus le fruit d’un travail de longue haleine : « Je crois qu’il y a avant tout du talent. Et également aujourd’hui un entourage professionnel qui fait une grosse différence. Toute la structure fait que les athlètes peuvent maintenant se concentrer uniquement sur le sport. Ils peuvent y aller à 100 %, ce qui est génial. »
Un soutien structurel et organisationnel qui aurait ainsi totalement changé au fil des décennies et qui offre des possibilités bien plus larges pour pratiquer, tant sur le plan financier que logistique « On ne pouvait pas vivre du tennis de table », se remémore Jeanny Dom. « C’était impensable. En ces temps-là, les gens qui pouvaient en vivre étaient les pongistes de l’Union soviétique. Même les Allemands ne pouvaient pas. C’est quelque chose qui a commencé aux alentours des années 2000. Il fallait donc travailler, et faire du tennis de table. C’était beaucoup. Pendant une douzaine d’années, je n’ai pas eu de vacances. Tous mes congés passaient dans les déplacements et les compétitions. Mais attention, j’ai beaucoup aimé cette époque. Ensuite, quand je me suis arrêtée et que j’ai pris mes premières vacances après une quinzaine d’années, je me suis dit “Tu aurais dû faire ça plus tôt !” » (Rires)
Même son de cloche du côté de Risch, qui se souvient d’une époque où le tennis de table n’offrait pas, comme aujourd’hui, une possibilité de confort financier. « C’était plus compliqué qu’aujourd’hui, c’est certain. J’étais soutenue, naturellement, les déplacements et championnats étaient payés par la Fédération. On n’avait pas l’aide financière d’aujourd’hui. Ce que je gagnais en Allemagne en Bundesliga me servait juste à subvenir à mes besoins. » Au-delà de l’aspect financier, c’est aussi le jeu dans son ensemble qui a énormément évolué au fil des années. « Le système de comptage, les balles, l’entraînement, la dimension physique… Tout a changé. C’est le jour et la nuit », assure Dom avec conviction.
Des souvenirs toujours aussi marquants
Des titres individuels, des compétitions internationales et une reconnaissance de tout le pays : un âge d’or pour ces deux joueuses, qui, après une décennie à enchaîner les succès, prennent la décision de se mettre en retrait. Pas par désaveu ou désamour du sport, mais tout simplement car de nouvelles étapes de leurs vies commençaient. « Je n’en ai pas eu marre, mais je me suis mariée et je voulais me consacrer à ma vie familiale », explique Carine Risch, qui aura toujours l’honneur d’avoir été la première Luxembourgeoise à intégrer le ranking mondial. « M’entraîner à l’excès ne m’intéressait plus vraiment. Je sentais qu’il était temps de passer à autre chose. C’était une période de ma vie extraordinaire, que je ne changerais pour rien au monde, mais je suis contente de comment cela a été géré. Et me consacrer à la famille, aux enfants, cela a été une formidable expérience. »
Pour Jeanny Dom, la reconversion s’est faite toujours dans le microcosme du tennis de table. D’abord secrétaire au sein de l’Union européenne de tennis de table, la sexagénaire devient alors secrétaire générale, faisant ainside son « loisir une profession ». Carine Risch a totalement bifurqué après une expérience en politique qui l’a laissée assez désabusée, et travaille aujourd’hui chez Mercedes-Benz. Un changement de cap global qui a aussi coïncidé avec une certaine prise de distance avec la discipline. « Je suis les résultats et suis très contente de voir que cela se passe bien. Mais regarder à la télé me rend nerveuse ! (Rires) Je pense être passée à autre chose. Je pratique beaucoup d’autres disciplines sportives aujourd’hui, qui arrivent à me poser, me relaxer. »
Pas de quoi empêcher Risch, lors d’un dernier retour vers le passé, d’évoquer avec émotion certains succès et réussites. « Je me rappelle encore du moment où j’avais été présélectionnée en tant que meilleure sportive du pays et où j’ai découvert, dans la voiture, que j’étais deuxième à un point de Jeanny Dom. Cela m’est tombé dessus, j’étais très surprise. Aujourd’hui encore, j’ai la chair de poule en repensant à ça. Et l’année d’après, je suis passée première. »
Pour Dom, les souvenirs exaltants demeurent aussi, évidemment. À l’image de ces nombreuses rencontres où, donnée perdante ou prise de haut, elle avait fait parler son talent pour surprendre ses adversaires. Avec en point d’orgue ce souvenir inoubliable contre la numéro 1 mondiale de l’époque. « Nous sommes allés à Sarajevo en train. J’avais passé les qualifications en simple et j’étais dans le tableau final, en seizième de finale. Je suis tombée contre la numéro 1. J’ai dit à la délégation “Si je gagne, vous m’offrez un ticket en avion pour rentrer.” Ils ont tous rigolé, y compris mon coach, qui est allé soutenir une autre joueuse, car pour eux, je n’avais aucune chance. Je peux vous dire que je n’ai jamais vu une délégation courir aussi vite vers une table lorsque j’ai empoché le premier set ! (Rires) J’ai fini par perdre en quatre sets, mais c’était un très beau souvenir. »
De 1970 à 1982, les deux pongistes auront trusté à elles seules onze des treize trophées de meilleure sportive luxembourgeoise. Une réussite insolente, qui aura été avant tout le fruit d’un long travail, au pays ou à l’étranger. Une aventure faite de débrouillardise, de succès, de sacrifices, et qui aura offert son lot de souvenirs inoubliables. L’une et l’autre n’avaient qu’un seul désir – sans se préoccuper d’autrui – : s’améliorer, encore et encore. Si Jeanny Dom et Carine Risch ont lâché leurs raquettes et continué leur chemin, cette époque demeure une superbe parenthèse dans leurs vies. Un point de vue qui ne saurait mieux être résumé que par cette phrase de Jeanny Dom, au moment de nous quitter : « Je n’avais pas de vacances, je sacrifiais tous mes congés, et j’étais souvent seule dans des pays très différents. Mais, en y repensant, je n’ai absolument aucun regret. Je suis fière de ce que j’ai fait, et c’était une très belle époque. » Une phrase qu’assurément – au vu de son émotion lors de notre entretien – Carine Risch aurait parfaitement pu prononcer.
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